CHINAHOY

31-March-2014

S'imprégner de l'expérience chinoise

– Interview de Jean-Robert Goulongana, Ambassadeur du Gabon en Chine

 

Le 13 mars 2014, son Excellence Jean-Robert Goulongana, Ambassadeur du Gabon, en Chine reçoit notre reporter. (YU JIE)

 

Propos recueillis par ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

Traversée par l'équateur et bordée par le golfe de Guinée, la République gabonaise est le pays africain affichant l'indice de développement humain le plus haut. Ses abondantes ressources naturelles (hydrocarbures, minerais, forêt) ont érigé les piliers de son économie, stabilisés par une politique constante.

À plus de 10 000 km de là, la Chine, pays avec lequel le Gabon a établi des relations diplomatiques dès le 20 avril 1974. Ces relations n'ont cessé de prospérer depuis maintenant quarante ans.

À l'occasion de cet anniversaire, son Excellence Jean-Robert Goulongana, Ambassadeur du Gabon en Chine, nous a fait l'honneur d'accepter notre interview. Cet homme au CV bien rempli (autrefois Ambassadeur en Italie, puis en Belgique, ainsi que Secrétaire général du Groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique) nous fait part de ses impressions sur la Chine, revient sur les liens qui unissent le Gabon et la Chine dans les domaines économique, social et culturel, et nous communique les festivités prévues dans le cadre de ce quarantenaire.

Quel regard portiez-vous sur la Chine avant la prise de vos fonctions ? Ce regard a-t-il évolué depuis ?

J'étais admiratif déjà des actions entreprises par le peuple chinois pour se défaire de la domination. Comme vous le savez, le peuple chinois a mené une longue lutte de libération nationale pour se défaire de l'oppression et a retrouvé son indépendance en 1949. C'était un combat long, difficile, qui a suscité en moi un réel sentiment d'admiration à l'égard de ce grand peuple.

Et depuis 1949, la Chine a entrepris de bâtir une économie socialiste, d'abord avec un système très centralisé. Cette orientation a porté un certain nombre de fruits puisqu'il a fallu rebâtir évidemment l'État, construire des infrastructures de base, relever une économie qui était relativement arriérée, notamment, sur le plan agricole et industriel. Et puis, quelques années après, en 1978, a été lancée la grande réforme et l'ouverture, réforme consistant à bâtir une économie socialiste aux caractéristiques chinoises. Cette orientation a également porté ses fruits. Elle a permis d'accélérer le développement économique et social de la Chine. On en voit aujourd'hui les résultats, puisqu'au niveau économique, la Chine se situe au deuxième rang mondial.

Depuis que je suis ici, ce sentiment vis-à-vis des efforts et des progrès remarquables accomplis par la Chine et par le peuple chinois n'a fait que se réaffirmer. Ce sentiment d'admiration s'est transformé réellement en des enseignements que l'on peut tirer de l'expérience chinoise.

La première leçon est que la pauvreté et le sous-développement ne sont pas insurmontables. La deuxième leçon, c'est que chaque pays doit définir sa propre voie de développement. Si les politiques mises en place sont appropriées, les résultats s'en feront immédiatement sentir.

Omar Bongo, l'ancien président du Gabon, est le leader africain qui a effectué le plus grand nombre de visites d'État en Chine et a misé pendant longtemps sur le partenariat sino-gabonais. Comment expliquez-vous ce grand intérêt à l'égard de la Chine ?

Le président Omar Bongo a été un observateur très attentif de l'évolution de la Chine. Et il a été probablement frappé par les progrès remarquables observés en Chine dans un laps de temps très court. Il a donc voulu s'imprégner de cette expérience pour pouvoir la transposer en l'adaptant, bien entendu, aux réalités gabonaises. C'est une des raisons pour lesquelles il venait souvent en Chine rencontrer les responsables chinois et aborder avec eux les voies par lesquelles ils sont passés pour pouvoir atteindre les résultats que nous connaissons aujourd'hui.

Les relations sino-gabonaises ont-elles évolué depuis leur établissement il y a 40 ans ?

Elles ont évolué, puisqu'au départ, elles étaient principalement politiques, avec la reconnaissance d'une seule Chine par le Gabon, ainsi que le soutien que le Gabon a apporté à la Chine pour que celle-ci retrouve son siège au sein des Nations unies.

Par la suite, ces relations se sont progressivement élargies à d'autres domaines, notamment économique et commercial. Aujourd'hui, la Chine est le deuxième partenaire économique et commercial du Gabon.

Des projets d'infrastructures ont en outre été mis en œuvre : construction au Gabon de routes, de barrages, de ponts, de stades, etc... Cette dynamique continue et nous espérons qu'il y aura davantage de projets de cette nature qui permettront de renforcer les relations.

Il semblerait que la Chine investisse majoritairement dans le secteur minier, pétrolier et forestier. Y a-t-il d'autres atouts que le Gabon voudrait faire valoir auprès de la Chine ?

La Chine n'investit pas seulement dans les secteurs minier, pétrolier et forestier. Dans les services, il y a déjà une présence de ressortissants et d'entreprises chinoises, notamment dans les domaines de l'hôtellerie, des télécommunications et du commerce de détail.

Je pense que l'un des secteurs où il manque encore une présence active, c'est celui du tourisme. Le Gabon offre des atouts indéniables en la matière ; les Chinois ont soif de découverte aussi dans ce domaine : je pense que nous pouvons établir une coopération fructueuse à ce niveau. Derrière le tourisme, il y a le transport aérien, bien sûr. Là aussi, je crois qu'une coopération fructueuse peut être établie avec la Chine, pour que des compagnies aériennes chinoises desservent le Gabon.

Le Gabon compte devenir un pays émergent d'ici 2025. Quel rôle la Chine a-t-elle à jouer dans l'atteinte de cet objectif ?

Un rôle essentiel. D'abord, l'expertise : nous apporter son savoir-faire en matière de planification et de programmation, parce que je crois qu'une des clés de la réussite de la Chine, c'est aussi de savoir planifier sur le long terme les investissements, les infrastructures, etc... Donc nous pouvons apprendre d'elle à ce niveau.

Ensuite, les financements : nous voulons bâtir une économie plus diversifiée d'ici 2025. Nous voulons pour cela nous doter d'infrastructures dans tous les domaines : routes, logement, éducation, santé. Nous voulons bâtir également un réseau de télécommunications qui soit performant. Nous voulons disposer de sources d'énergie abondantes et posséder une agriculture dynamique. Voyez-vous, les domaines sont nombreux.

Pour réaliser l'objectif du Gabon émergent, nous avons défini trois axes de développement. « Le Gabon industriel » : valoriser sur place les nombreuses ressources naturelles du Gabon. « Le Gabon des services » : développer une industrie des services. « Le Gabon vert » : mettre en valeur nos atouts forestiers, maritimes et touristiques.

Les entreprises et investisseurs chinois peuvent, et doivent même, prendre une place très importante dans la transposition de ces atouts en facteurs concrets de développement.

Certains accusent la Chine de mener en Afrique une forme de « néocolonialisme ». Quel est votre avis sur ces critiques ?

Je crois que ce sont des griefs qui ne sont pas fondés. Il est injuste de faire de telles affirmations, parce que quand vous regardez la politique extérieure de la Chine, vous pouvez voir qu'elle est fondée sur un certain nombre de principes : l'égalité entre les partenaires, le respect de la souveraineté des partenaires ou encore la non-ingérence dans leurs affaires intérieures. Ces principes sont à l'opposé d'une politique néocolonialiste.

Par ailleurs, sur le plan économique, le principe des avantages mutuels, ce qu'on appelle ici plus couramment le principe du gagnant-gagnant, est le principe régissant la coopération économique et commerciale. Une politique néocolonialiste ne peut pas être fondée sur le principe des avantages mutuels : elle est plutôt basée sur la domination, sur l'oppression, sur le diktat et sur l'exploitation.

Au-delà des relations économiques, qu'en est-il des échanges culturels ?

À mon sens, il n'y a pas suffisamment d'échanges culturels entre la Chine et le Gabon. Et c'est un des points sur lesquels nous pouvons faire davantage. Comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, la Chine est caractérisée par la diversité, la richesse et l'ancienneté de sa culture. Le Gabon aussi affiche une culture diversifiée, riche, dynamique, active, mais qui n'est pas très bien connue ici en Chine. Inversement, la culture chinoise n'est pas très bien connue au Gabon. Dans ce domaine, je pense que nous pouvons faire beaucoup.

Dans le domaine de la formation et de l'enseignement, nous avons déjà quelques ressortissants gabonais ici en Chine, qui y poursuivent leurs études. Certains ont même terminé leur formation et sont rentrés au Gabon, où ils contribuent au développement du pays. Bien entendu, nous souhaitons qu'il y ait davantage d'échanges d'étudiants.

Mais je voudrais particulièrement insister sur les arts : arts de la scène, arts plastiques et autres. On pourrait organiser davantage d'expositions d'artistes chinois au Gabon et d'expositions d'artistes gabonais en Chine. On pourrait également amener des troupes de danses, des chanteurs, des conteurs... Ce sont des domaines par ailleurs qui intéressent beaucoup les jeunes. Ils peuvent servir de cadres d'échanges entre les jeunes chinois et gabonais.

Dans la perspective de célébration des 40 ans de nos relations diplomatiques, nous espérons pouvoir accueillir en Chine, au mois de mai, le Ballet national du Gabon. Par ailleurs, dans le cadre des Rencontres du cinéma francophone célébrant la francophonie en Chine, nous allons projeter un film gabonais, Le Cœur des Femmes, qui sera vu par le public chinois. Au Gabon, actuellement, est diffusée sur la télévision nationale une série chinoise, Doudou et ses belles-mères, qui permet là aussi de montrer des aspects de la culture chinoise... Ces échanges culturels commencent donc à prendre corps, mais pas suffisamment à mon goût. Nous travaillons pour qu'ils s'intensifient davantage.

Quelle image le peuple gabonais a-t-il du peuple chinois ?

Une image positive, que ce soit à travers ce que l'on voit dans les médias ou à travers ce que les jeunes gabonais qui ont vécu en Chine rapportent.

Il y a aussi des ressortissants chinois au Gabon qui travaillent dans le cadre des projets sino-gabonais et qui vivent en bonne intelligence avec les Gabonais. Ils n'ont, ma foi, aucune difficulté d'ordre relationnel avec eux.

On peut souligner aussi que les Chinois sont un peuple travailleur et rigoureux. C'est quelque chose qui est frappant. On les voit sur les chantiers travailler d'arrache-pied, tenir les délais qui sont fixés dans le cadre des cahiers des charges, parfois même, anticiper sur ces délais.

Quelles activités sont au programme pour célébrer les 40 ans des relations bilatérales sino-gabonaises (en Chine comme au Gabon) ? Des visites d'État de haut niveau sont-elles prévues ?

Un certain nombre d'actions seront entreprises pour célébrer ces quarante ans. D'abord, les chefs d'État et ministres des Affaires étrangères des deux pays s'échangeront des messages de félicitations. Ensuite, il est prévu de réaliser un timbre commémoratif pour marquer cet évènement.

Des manifestations auront lieu à Libreville, mais ici également à Beijing, notamment, la projection d'un film documentaire sur les quarante ans de notre relation et la réalisation d'une brochure qui retracera les temps forts de cette relation. Et nous aurons, à l'occasion d'une soirée de gala, la production d'artistes chinois et gabonais. Et comme je vous l'ai dit, nous espérons recevoir à Beijing le Ballet national du Gabon, qui offrira un spectacle de danses et de chants.

La célébration de quarante ans de coopération est un évènement important, et nous souhaitons que l'année soit marquée aussi par l'échange de délégations de haut niveau, et qu'à l'occasion de ces différentes visites, des accords supplémentaires puissent être signés ou en tout cas, que des projets nouveaux puissent être annoncés et conclus.

 

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