CHINAHOY

3-March-2014

Arnaud et Déborah : une vie de professeur français en Chine

 

Déborah et Arnaud Clément avec leur classe d'étudiants en français de 2e année. (Photo par ARNAUD CLÉMENT)

 

LAURENT CASSAR, membre de la rédaction

Avec ses longs cheveux bruns, il ne passe pas inaperçu sur le campus de l'université Ludong, situé dans la ville côtière de Yantai, dans la province du Shandong.

Arnaud Clément, 27 ans, en est à sa deuxième année en tant que professeur de français dans cette université et a récemment été rejoint par sa femme, Déborah, 24 ans, dont c'est la première expérience en tant que professeur, à fortiori en Chine.

Arrivé en Chine, Master d'Anglais et de FLE en poche, « pour se dépayser au maximum », Arnaud fut de prime abord un peu déçu de voir un pays plus moderne qu'il ne l'aurait imaginé. Déborah a eu la même impression. Mais ils ont très vite été charmés par la gentillesse et le naturel serviable des Chinois. « À plusieurs occasions, des Chinois sont venus m'aider ou m'ont proposé leur aide dans les magasins, dans la rue, nous raconte Déborah. En France ce n'est pas quelque chose que l'on voit souvent ».

En ce qui concerne l'université, le jeune couple est logé dans un appartement de fonction à deux pas de l'Institut des langues étrangères où ils enseignent. Si les équipements des salles de classe sont beaucoup plus modernes qu'en France, note Déborah, les étudiants sont en revanche très différents des étudiants français ! « Je crois que la plus grosse différence réside dans la façon de travailler. Les étudiants chinois sont capables de passer la soirée à la bibliothèque de l'université et de dormir à peine pour apprendre leurs leçons si le professeur le leur a demandé. Mais si, comme à mon arrivée, on compte sur leur autonomie ou sur leur prise d'initiative, on a tout de suite des surprises ! », note Arnaud. « Là où les universités françaises vont beaucoup donner la parole aux étudiants, leur donner les outils et les laisser expérimenter ; l'université chinoise va, pour sa part, donner aux étudiants de grands modèles à suivre et à imiter à force de répétition. Ca me rappelle un peu 'La Tête Bien Pleine'contre 'La Tête Bien Faite' de Gargantua. »

Une autre différence réside dans le système de notation. « Mettre une mauvaise note à un élève est très compliqué en Chine ; on fait perdre la face à son élève, à soi-même et à l'université», résume Déborah.

Déborah, quant à elle, pointe la grande différence entre la vie étudiante des jeunes français et celle de leurs homologues chinois : « Etre étudiant en France, c'est être libre, partir de la maison de ses parents pour prendre son propre appartement et faire ce que l'on veut. C'est la période où on profite de la vie avant de travailler et d'être sérieux. Le soir on peut sortir où on veut, avec qui on veut, sans se soucier de rien, pas même d'aller en cours le lendemain alors que les étudiants chinois vivent dans des dortoirs à six et ont un couvre-feu. »

Arnaud et Déborah s'accordent pour dire que les étudiants chinois sont plus respectueux des professeurs mais également plus « candides » que les étudiants français.

En ce qui concerne les rêves des étudiants chinois, ils rejoignent plus ou moins ceux des Français dans la recherche d'un emploi stable. Arnaud nous dit : « De plus en plus de jeunes Français considèrent la fonction publique avec intérêt, et les jeunes Chinois sont également dans cet état d'esprit. Il y a tout de même une différence de prestige, 'devenir fonctionnaire' en Chine semble être un événement majeur pour les étudiants, et très peu d'entre eux parviennent à obtenir ce statut. » Mais il note cette différence sociologique : « Je pense que plus de jeunes Français rêvent de gloire et de faste, quand les Chinois rêvent de prospérité. On rêve de comment on va dépenser notre argent, et eux à la façon dont ils vont le gagner ! »

Globalement, ils ne regrettent absolument pas leur choix d'être venus enseigner en Chine. « Ça me permet de réaliser un rêve d'enfant ; devenir professeur de français pour des étrangers, même si je pensais aller moins loin quand j'étais gamine, nous dit Déborah. ça rebooste le moral d'avoir des étudiants aussi gentils que ceux de Yantai, ils font toujours de grands sourires et de grands signes de la main quand ils vous croisent dans les couloirs alors même que vous les avez déjà vus. » Arnaud a, quant à lui, découvert « une langue aussi étrange à l'oral que fascinante à l'écrit. »

S'adapter aux us et coutumes de la vie professionnelle chinoise représente aussi un défi pour un expatrié, qui y note souvent une certaine désorganisation. Mais, comme nous le dit Arnaud, « Du moment que vous êtes une personne polie et sociable, avec une bonne dose d'autodérision, vous serez toujours très bien (et très vite !) intégrés. »

Selon nos jeunes Bourguignons, la France pourrait s'inspirer de beaucoup de choses venant de Chine. « En France, on a comme une culture de la mauvaise humeur, on se dispute souvent avec les autres, on les contredit par plaisir. En Chine, il règne une atmosphère zen partout dès qu'on pose le pied sur le sol chinois », dit Déborah. Arnaud note quant à lui l'efficacité du modèle de gouvernance chinois : « Je pense qu'on a perdu l'esprit de famille dans l'entreprise et dans le pays en général. On a tendance à voir le patron, la police, les responsables, etc, comme de Grands Méchants. Plus brièvement, on a tendance à considérer toute forme d'autorité comme un ennemi, toute détention de pouvoir comme une menace. Je pense que la France a assez découpé de têtes comme ça, il est peut-être temps de laisser plus de latitude aux dirigeants. »

Du côté des choses négatives qu'ils ont trouvées ici, ils notent l'incivilité des automobilistes, particulièrement envers les piétons, et le traitement des ordures, partiellement lié aux mauvaises habitudes de la population qui a encore trop tendance à jeter des déchets dans les rues.

Néanmoins, plus le temps passe, plus ils se sentent Chinois. Ils ont décalé l'horaire de leurs dîners, passant de 20h à 18h, pour être synchronisés avec les Chinois et se sont mis à apprécier les sorties dans les KTV (les salles de karaoké locales).

Arnaud aime particulièrement le système très codifié des repas en Chine : « Le repas est vraiment un moment important, et un dîner entre amis/collègues doit respecter de nombreuses petites règles pour être réussi : l'hôte face à l'entrée pour s'occuper des commandes, trois grands toasts, une pause pour discuter, et toujours garantir l'opulence sur la table à tous les instants. Il faut prouver qu'on sait faire plaisir, et ça me fait plaisir de faire plaisir, donc j'apprécie cette façon de faire, je la pratique sans trop me forcer ! »

 

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