CHINAHOY

31-May-2016

Un réformateur volontaire et constructif de l’ordre international

 

La 10e réunion de hauts fonctionnaires sur l'application de la Déclaration sur la conduite des parties en mer de Chine méridionale se tient à Chengdu le 20 octobre 2015 en présence de Liu Zhenmin, vice-ministre chinois des Affaires étrangères et d'autres officiels des pays de l'ASEAN.

 

KOU LIYAN*

« Voici la postérité des fils de Noé, Sem, Cham et Japhet. Il leur naquit des fils après le déluge. [...] C'est par eux qu'ont été peuplées les îles des nations selon leurs terres, selon la langue de chacun, selon leurs familles, selon leurs nations. » Ainsi se termine dans la Genèse l'histoire de Noé et de son arche. De nombreux pays possèdent des légendes de ce type qui racontent comment les premiers ancêtres, menacés par des désastres, se sont dispersés dans différentes régions du monde. La Bible raconte aussi, dans l'histoire de la Tour de Babel, la façon dont les langues et les styles de vie se sont mis à diverger après la séparation des peuples.

L'équivalent chinois est la « légende du grand acacia » qui remonte à plus de 700 ans. Selon cette histoire, l'empereur d'alors ordonna au peuple du Shanxi de quitter sa province pour aller s'installer dans d'autres contrées. Les migrants ont d'abord voyagé jusqu'au district de Hongtong, dans le Shanxi où se sont rassemblés sous un grand acacia. C'est après ce rassemblement qu'ils se sont dispersés. Ce « grand acacia » est devenu une expression figée en souvenir des migrants du Shanxi et de leurs descendants. Aujourd'hui, plus de 1 000 noms de famille de la région contiennent une allusion à ce rassemblement sous le grand acacia aujourd'hui.

L'humanité qui peuple la planète a pris sa source dans une poignée de villages originels. Avec l'accroissement de la population, les fossés se sont creusés entre les différents peuples. Mais même alors que les technologies se sont développées pour faciliter les déplacements et la communication, refaisant du monde un village, on n'a pas vu revenir l'harmonie qu'avaient connue nos ancêtres. Si notre vie et notre travail en commun ne peuvent générer que la confusion et le conflit, c'est clairement une tragédie pour nous, comme cela l'aurait été pour nos ancêtres, puisque l'humanité a une soif profonde d'harmonie.

Défenseur de l'ordre international

Ces dernières années, le développement rapide de la Chine et sa politique étrangère ont généré une inquiétude croissante au sujet de leurs effets potentiels sur l'ordre international. Le défi que représente en apparence l'émergence de ce pays pour les puissances établies présage une bataille imminente pour conquérir ou préserver l'hégémonie mondiale.

La Chine a pour tradition de respecter l'ordre. Les Entretiens rappellent la colère de Confucius lorsqu'il entendit qu'un ministre avait organisé une danse dans sa maison avec 64 danseurs, rangés en huit rangs et huit colonnes. Selon le protocole de l'État, un tel événement était réservé à la cour impériale, alors que pour un ministre, la règle était que les danses devaient comporter au plus 16 personnes, en quatre rangs et quatre colonnes. Pourquoi Confucius était-il furieux d'une affaire apparemment aussi triviale ? C'est parce qu'il pensait que cette infraction au protocole des danses pouvait avoir des conséquences sur la société, encourager les gens à mépriser les règles de la société et les mandarins à mépriser leurs supérieurs et les monarques, et que finalement tout cela pourrait conduire à la destruction de l'ensemble de l'édifice social.

Ce prix accordé à l'ordre a exercé une grande influence sur la pensée chinoise. Les étrangers qui sont entrés en contact avec des Chinois, qu'il s'agisse de membres de l'administration ou d'hommes d'affaires, n'ont pas pu se rendre compte de cet « ordre » qui existe dans tous les domaines. Appliquant ce mode de pensée aux affaires internationales, les Chinois se plaignent souvent de la disparité du statut des nations concernant l'observation des règles. Dans son traitement des problèmes internationaux et régionaux, la Chine soutient systématiquement et sans conditions les organismes internationaux comme l'ONU, le FMI et l'OMC dont elle renforce l'autorité. D'autres pays plus développés, au contraire, prennent souvent des libertés avec ces organismes ou se constituent en coalitions pour en contourner les règles.

Certains pays ont récemment gonflé la question de la mer de Chine méridionale et accusé la Chine de défier l'ordre international. C'est une interprétation faussée des faits, qui provient, soit d'une mauvaise compréhension, soit d'un désir de provoquer un conflit géopolitique. Le droit et les intérêts de la Chine sur les îles et îlots de la mer de Chine méridionale et les eaux adjacentes se basent sur des faits historiques précis. Le statu quo a fait que certains pays se sont mis à revendiquer la souveraineté sur 42 îles et récifs, tandis que la Chine poursuit sa politique de négociations pacifiques suivant les lignes d'un « raisonnement à deux voies. » Cette approche consiste d'une part à négocier amicalement ces questions entre pays directement concernés pour rechercher des solutions pacifiques, et d'autre part à faire de la Chine et des pays de l'ASEAN les gardiens communs de la paix et de la stabilité dans la région.

En d'autres termes, le « raisonnement à deux voies » signifie que les parties prenantes du problème doivent s'asseoir à la table des négociations en vue de créer des règles. C'est pour cette raison que la Chine a fait activement la promotion d'une négociation entre les parties concernées d'un Code de conduite dans la mer de Chine méridionale, mais refusé de soumettre le conflit à un arbitrage international alors qu'il reste des chances de trouver un accord négocié. Un arbitrage ne serait pas, du point de vue chinois, la bonne manière de procéder, parce qu'il consisterait à inviter des parties supplémentaires dans la dispute qui en deviendrait d'autant plus complexe. Transposer le problème sur une scène plus large va causer une prolifération des questions au lieu de donner naissance à des règles.

La Chine recherche une mise en ordre du problème de la mer de Chine méridionale mais n'est pas prête à sacrifier ses droits légitimes. Des projets d'exploitation et d'équipements de certaines îles et certains récifs, qui comprennent la construction de phares, de pistes et d'autres infrastructures, correspondent à des activités normales entreprises par un pays souverain sur son territoire. Elles peuvent aussi constituer une amélioration et un soutien à la navigation libre des pays concernés dans la mer de Chine méridionale. Personne n'a le droit de limiter la liberté de navigation dans la Mer de Chine méridionale ni de contrecarrer la politique chinoise de renforcement de l'ordre international.

La réforme attendue de l'ordre international

Maintenir l'ordre ne signifie pas s'accrocher à telle ou telle règle obsolète. Respecter la réforme, cela fait partie de notre tradition. Confucius a enseigné à ses disciples le Classique des Changements, ou Yi Jing, un texte qui définit les principes du changement. Pour comprendre l'importance de la stabilité et du changement pour l'ordre, il est bon d'analyser le développement de la société et de la culture chinoises.

La culture chinoise a pris forme et s'est développée à partir de l'âge agraire. Dans l'antiquité, la collaboration des paysans sur des projets d'irrigation et des plantations à grande échelle sur des lots individuels était essentielle. C'est là que se sont accumulées des règles de base de la communication entre personnes, des règles cruciales sans lesquelles on risquait de mauvaises récoltes, la famine ou l'isolement. D'un autre côté, des facteurs climatiques, vitaux pour l'agriculture, comme des sécheresses, des inondations ou le détournement de rivières provoquaient des instabilités inattendues. C'est pourquoi le peuple devait se tenir prêt à réagir et à s'adapter à toutes les situations. Les Chinois ont ainsi intégré au fil des siècles la nécessité d'observer les lois et développé une faculté à s'adapter aux réalités.

C'est en gardant ces éléments à l'esprit que l'on peut mieux comprendre la vision chinoise de l'ordre international. En général, les Chinois sont prêts à s'adapter à un environnement neuf et à obéir aux règles qui y ont cours. Les dizaines de millions de jeunes qui ont migré des campagnes vers les villes y ont presque immédiatement changé de mode alimentaire, vestimentaire, et même leur façon de parler. Un autre exemple est celui des Chinois qui font des affaires ou qui voyagent à l'étranger, un phénomène de plus en plus massif ces dernières années. Après quelques bourdes et quelques déconvenues, les nouveaux venus s'adaptent rapidement à l'environnement peu familier et aux coutumes existantes pour finalement vivre en bonne intelligence avec les autochtones. On peut se rendre compte de cette évolution en constatant le haut niveau de conscience sociale des entreprises chinoises à l'étranger et le civisme des touristes chinois.

C'est pourquoi en parlant de l'ordre international, il faut considérer la Chine comme une force qui s'y adapte et non comme une force qui le défie. Une autre chose à garder à l'esprit, c'est que ce n'est que ces dernières années que les Chinois ont commencé à voyager à l'étranger en grand nombre, et que le pays doit encore apprendre beaucoup de choses. Plutôt que de tancer un nouveau venu pour son ignorance des règles, il est plus constructif de constater la bonne volonté des Chinois pour s'adapter et changer et le fait qu'ils apprennent vite et bien.

Tout en s'adaptant au monde extérieur, pourtant, la Chine considère que l'ordre international devrait lui aussi s'adapter aux nouvelles réalités. Le monde suit un système, mais celui-ci n'est pas équitable ; le concert des nations peut être considéré comme dynamique, mais il manque d'enthousiasme ; les pays communiquent entre eux, mais pas suffisamment en profondeur. Des mouvements comme « Occupy Wall Street » ou les actions de protestation qui se succèdent partout dans le monde expriment le mécontentement général qui règne envers l'ordre mondial. D'ailleurs la Chine n'est pas seule à appeler de ses vœux une réforme de l'ordre international. En fait, chacun veut la réforme.

La Chine, comme le reste du monde, est persuadée que les humains méritent un ordre meilleur. Un système meilleur devrait comprendre un ordre clair suivi strictement par tous, qui bénéficie à tous, tout en demeurant flexible vis à vis des changements, et garantissant des échanges équilibrés entre les parties dans la confiance et la coopération mutuelles.

Réformes en Chine et dans le monde

La Chine est une force de réforme constructive de l'ordre international. Elle appelle à maintenir le système actuel mais à le faire bouger dans une meilleur direction. Elle considère que l'ordre existant ne devrait pas être renversé mais qu'il ne peut rester immobile. La réforme de l'ordre international devrait ressembler à une symphonie plutôt qu'à un solo, et représenter un travail collectif, joué dans l'harmonie de tous les pays, sur la base de la bonne volonté et du consensus, tout en prenant en compte les différentes situations des pays. C'est pourquoi le plan chinois comprend des réformes pour elle et le reste du monde et vise à créer un avenir meilleur.

Premièrement, la Chine entend approfondir sa propre réforme. La culture chinoise traditionnelle souligne la nécessité de s'améliorer soi-même avant d'essayer de guider les autres. L'un des ouvrages classiques du confucianisme, le Livre des Rites, explique qu'il faut d'abord cultiver ses propres qualités pour poursuivre l'harmonie dans la famille, puis savoir administrer la politique, avant de prétendre à organiser le monde. Un processus qui souligne la nécessité d'une introspection et de se maintenir à jour. Une idée profonde qui continue à influencer la pensée collective, que ce soit dans les entreprises ou les gouvernements, jusqu'à ce jour.

Dans le XIIIe plan quinquennal publié récemment, le gouvernement chinois s'engage à réaliser une réforme structurelle axée sur l'offre en réduisant les capacités de production excédentaires, les stocks, l'effet de levier, les coûts, et en renforçant les maillons faibles. Chacun de ces objectifs constitue l'équivalent d'une « opération chirurgicale » que doit subir l'économie actuelle. Ce traitement va requérir un certain courage et un grand sens des responsabilités, mais la Chine est déterminée à poursuivre dans cette voie, et l'une de ses motivations est son souhait de créer un ordre international plus rationnel. Avec cet objectif en tête et disposant de la seconde puissance économique mondiale, la Chine est déterminée à devenir un contributeur fiable, efficace et inscrit dans la durée.

Par ailleurs, la Chine appelle à un effort mondialisé conjoint en vue de la réforme de l'ordre international qu'elle souhaite réaliser par la vertu de ses propres réformes. Elle veut prendre la tête de cet effort et mettre en avant des propositions et des collaborations. Les solutions proposées par la Chine visent à créer un nouveau type de relations internationales marquées par coopération et relations mutuellement bénéfiques. Celles-ci représentent une tentative de construire une communauté de futurs partagés ; d'établir des partenariats sur la base de l'égalité et du respect mutuel ; de construire une structure de sécurité marquée par l'équité, la construction commune et le bénéfice partagé ; de rechercher une perspective de développement qui soit à la fois innovante, inclusive et réciproque ; de promouvoir des échanges et l'émulation entre les civilisations ; enfin, de construire un environnement international qui respecte la nature et le développement durable.

Troisièmement, la Chine offre de nombreux biens publics, tant matériels qu'immatériels, à la réforme de l'ordre international. Ainsi, la Chine est consciente du fait qu'un nouvel ordre international équitable et raisonnable ne va pas émerger simplement de discussions idéalistes ou abstraites. Ces dernières années, le pays a fourni de plus en plus de biens publics, comme l'initiative des nouvelles Routes de la Soie, la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, le Fonds Chine-ONU de paix et de développement et le Fonds d'assistance pour la coopération Sud-Sud, toujours dans cet esprit qui consiste à promouvoir l'équilibre et la démocratie dans les relations internationales. Les contributions immatérielles de la Chine concernent la participation de la Chine aux Nations unies, à l'APEC, aux BRICS, au G20, à la Rencontre des leaders de l'Asie de l'Est et au Forum Bo'ao pour l'Asie, dans lesquels elle en appelle à la communauté des nations pour renforcer la coopération et former un meilleur consensus sur ce que serait un meilleur ordre international.

Dans ce processus de recherche d'un monde idéal, la Chine a posé les fondations avec les idées d'un autre grand philosophe, Laozi, qui ont fait leurs preuves dans la durée, et selon lesquelles toutes les choses reviennent finalement à leur source, et tous les changements finissent par s'accorder avec la nature. En reliant la réalité du village global à la légende du grand acacia, on peut voir que la proposition chinoise pour un ordre international nouveau correspond à une volonté de ramener le monde vers la communauté harmonieuse qui fut celle des humains d'autrefois.

 

*KOU LIYAN est chargé de recherche au Centre chinois des études internationales contemporaines.

 

 

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