CHINAHOY

3-May-2016

Élections américaines : the show must go on !

 

Le débat télévisé entre les candidats du Parti républicain, le 13 février 2016, à Greenville.

 

ZHENG RUOLIN*

Lors de l'élection présidentielle américaine de 2012, j'ai rédigé pour la revue française Revue des Deux Mondes un article intitulé Obama, Romney et le casse-tête chinois qui a été publié dans le numéro de novembre-décembre. Suite à mon article, j'ai été invité à participer à toutes sortes de conférences, séminaires et discussions sur cette élection américaine, organisés par des établissements universitaires ou des centres de recherches, dont l'ENA. Les Français ont constaté avec surprise que les médias chinois s'intéressaient, tout autant que les médias français ou ceux d'autres pays, aux élections américaines. Cette marque d'intérêt est celle que la deuxième puissance mondiale porte à ce qui se passe dans la première puissance mondiale. L'autre surprise pour les Français a été de découvrir que la Chine ne s'inquiétait pas du résultat du vote, alors que le pays s'était passionné lors de la première campagne électorale de Barack Obama en 2008. Connaître l'identité du prochain président américain n'est plus une préoccupation pour la Chine : quelle que soit son identité, il n'aura d'autre choix que d'entretenir de bonnes relations avec la Chine, tant les deux pays dépendent étroitement l'un de l'autre.

Le résultat n'affectera pas les relations sino-américaines

Si les Chinois s'intéressent toujours aux campagnes électorales qui se déroulent de l'autre côté du Pacifique, c'est en tant que spectateurs d'une comédie. Il y a quatre ans, j'écrivais que même si M. Romney remportait l'élection, les relations entre la Chine et les États-Unis resteraient intactes en raison de la forte interdépendance économique qui existe entre les deux. Une règle d'or régit le dossier de la Chine dans la campagne électorale américaine : tous les candidats se doivent d'afficher une attitude critique envers la Chine pour se présenter comme le meilleur défenseur des intérêts américains. Une fois élus, tous ou presque deviennent « des vieux amis de la Chine ». Dans le vocabulaire diplomatique chinois, « le vieil ami » s'applique aux dirigeants de pays étrangers qui entretiennent une relation amicale avec la Chine. Bill Clinton en est un bon exemple. Pendant sa campagne électorale, il critiquait vivement George Bush senior qu'il décrivait comme « à genoux devant la Chine », mais une fois élu à la Maison Blanche, il a revu sa copie. Pendant tout son premier mandat, les États-Unis ont accordé à la Chine le statut permanent de la nation la plus favorisée ; lors de son deuxième mandat, il a effectué une visite de 9 jours en Chine, la visite la plus longue effectuée par un président américain en exercice.

Mais cette fois, mes analyses portent sur une autre question : c'est au tour des Américains de se demander comment le prochain président défendra les intérêts américains face à la Chine émergente ? L'intérêt que portent les Chinois à l'élection présidentielle américaine est resté le même, alors que les relations sino-américaines se sont légèrement modifiées.

Dans les médias chinois

Les médias chinois couvrent la campagne électorale américaine avec la même passion qu'il y a quatre ans. Aujourd'hui, cette campagne électorale n'en est qu'à la phase des primaires, et déjà on ne compte plus les reportages dans les médias chinois. Sur Internet, de nombreux sites ont lancé des dossiers « Spécial élection présidentielle américaine 2016 », où l'on trouve des reportages, des articles analytiques, des photos, des interviews et des sondagés. L'agence de presse Xinhua a, elle aussi, lancé un dossier « Focus sur les primaires de l'élection présidentielle américaine 2016 ». Rien qu'au mois de mars, une centaine d'articles et de reportages ont été publiés. Un site de presse a de son côté lancé des mots-clés à propos de la campagne électorale américaine. On y trouve 200 mots-clés qui permettent de se renseigner sur l'évolution de la campagne électorale, presque une encyclopédie sur l'élection présidentielle américaine. On peut constater que les reportages des médias chinois sont très détaillés. Ils présentent clairement la situation des candidats, même peu connus des électeurs américains.

Les médias chinois se penchent bien sûr sur les points de vue exprimés par les candidats à l'égard de la Chine. Hillary Clinton est une figure familière pour les Chinois, qui connaissent son point de vue de « faucon » en politique étrangère. Mais ses prises de position intransigeantes ne posent pas de problème, même si elle est l'initiatrice et la promotrice de la stratégie américaine du « Pivot vers l'Asie » et si elle critique souvent la Chine sur des questions comme les droits de l'homme, le taux de change du yuan ou la question de la mer de Chine méridionale. Dans le même temps, elle souligne en public que les relations sino-américaines sont les relations bilatérales les plus importantes dans le monde du XXIe siècle. Une déclaration qui donne le ton de la politique américaine vis-à-vis de la Chine. La Chine n'a donc rien à craindre de l'accès éventuel à la Maison Blanche de la première femme présidente des États-Unis.

L'autre favori de la campagne électorale, Donald Trump, soulève des émotions contradictoires dans l'opinion chinoise. Ses partisans le considèrent comme un grand dirigeant, tandis que ses opposants le prennent pour un clown. Il faut admettre pourtant que le candidat Trump connaît mieux la Chine que ses concurrents. Lors d'une interview accordée au Washington Post, Donald Trump déclarait « je connais bien la réalité de la Chine depuis des années que je fais affaire avec les Chinois... » C'est vrai que M. Trump fait partie de cette minorité d'Américains conscients du fait que les infrastructures américaines accusent un retard sur celles de la Chine. Il est l'un des rares candidats qui parle de l'écart de quotient intellectuel qui existe entre les dirigeants des deux pays. D'après lui, la Chine se développe en profitant de son accès au marché des États-Unis, et c'est pourquoi il préconise la mise en place d'un impôt prélevé sur les produits chinois pour « ramener les emplois aux États-Unis ». Il s'oppose par ailleurs à une intervention américaine dans les disputes en mer de Chine méridionale. « C'est un conflit entre la Chine et d'autres pays. Nous ne devons pas déclencher la troisième guerre mondiale contre la Chine pour des affaires qui ne nous concernent pas. » Des paroles acceptables, et même sensées, pour un auditoire chinois. Donald Trump en futur hôte de la Maison blanche ne constitue pas un souci pour la Chine.

Ce que les candidats américains doivent comprendre, c'est que les États-Unis ont d'ores et déjà cédé leur place de premier pays manufacturier à la Chine. Depuis 1895 et jusqu'en 2010, les industries manufacturières américaines occupaient le premier rang mondial. Mais la donne a changé. En 2010, la production mondiale de produits manufacturés représentait 10 000 milliards de dollars, dont 1 925 milliards de dollars, soit 19,8 %, produits en Chine, contre 1 830,6 milliards de dollars, soit 19,4 %, aux États-Unis. Après 115 ans de suprématie, les États-Unis étaient pour la première fois devancés par la Chine. Ce changement n'a pas suscité beaucoup d'attention de la part de la communauté internationale, et même des spécialistes ont considéré que ce n'était là qu'un phénomène éphémère, un effet secondaire de la crise des subprimes de 2008. Dès que l'économie américaine reprendra des couleurs, le pays reprendra sa place de premier producteur mondial, pensaient-ils à l'époque. Quelques années plus tard, l'écart s'est creusé. La production des industries manufacturières chinoises atteignait 2 740,7 milliards de dollars en 2013, contre 2 028,5 milliards de dollars pour les États-Unis. La Chine est en avance. Lesquels, parmi les candidats, ont-ils conscience de ce fait ?

Les failles du modèle démocratique

Si les Chinois s'intéressent à l'élection américaine, c'est parce que les États-Unis sont considérés comme un exemple de démocratie. Pour une partie des Chinois proches des valeurs américaines, ce pays représente le futur de la Chine. Mais cette année l'irruption de Donald Trump transforme en farce le jeu démocratique américain. L'élection américaine, remplie d'épisodes scandaleux, présente bien des paradoxes, qui n'échappent pas aux médias chinois.

Alors que les primaires se déroulent au sein des deux principaux partis américains, il se pourrait qu'aucun candidat républicain ne parvienne à obtenir les 1 237 voix nécessaires pour une investiture au premier tour de vote. Si M. Trump n'obtient pas les voix requises au sein de son parti, il devra se soumettre au second vote des délégués républicains, et chacun sait qu'il n'est pas le favori de l'establishment, d'où un résultat imprévisible en cas de second tour. Pour le moment, c'est lui qui possède le plus de voix de délégués républicains. Mais un candidat populaire n'est pas assuré d'une victoire lors de la convention républicaine. Une situation qui s'est déjà présentée pas moins de dix fois dans l'histoire du parti Républicain, et dans sept cas, le candidat finalement désigné n'était pas celui qui avait obtenu le plus de voix.

C'est cette particularité du scrutin qui soulève le plus de controverses en Chine. L'opinion des électeurs joue-t-elle réellement un rôle dans l'élection présidentielle américaine ? Depuis le début de la crise des subprimes en 2008, l'attitude des Chinois a changé, et c'est particulièrement au moment de l'élection présidentielle américaine que l'on s'en aperçoit. Les Chinois suivent la campagne électorale américaine comme la série télévisée House of Cards...

 

*ZHENG RUOLIN est un ancien correspondant à Paris du quotidien Wen Hui Bao de Shanghai.

 

 

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