CHINAHOY

27-February-2015

Les travailleurs migrants ont une vie culturelle

 

Xu Duo et sa Troupe des ouvriers nouveaux se produisent au gala de la fête du Printemps 2015. (Photo par Wei Yao)

 

À quelques encablures de l'aéroport international de Beijing, de jeunes travailleurs chinois ont créé une Maison des travailleurs migrants et un spectacle très médiatisé pour enrichir la vie culturelle de ces jeunes ruraux qui viennent travailler dans les usines des grandes villes.

HU YUE, membre de la rédaction

Li Xiangyang, 31 ans, travaille depuis deux ans à la Maison des travailleurs migrants du village de Picun, dans l'arrondissement Chaoyang de la capitale chinoise. C'est le contrat le plus long qu'il ait gardé jusqu'à aujourd'hui. Il est parti d'un village de Baiyin au Gansu en 2007. À Beijing, il a été serveur, gardien, livreur et saisonnier entre autres. Il a aussi fait partie d'une troupe folklorique et participé à des spectacles. Pourtant, ce n'était pas la vie dont il avait envie.

Le 7 janvier dernier, j'ai rencontré Li Xiangyang à Picun. Il s'occupe actuellement des affaires culturelles et artistiques de la Maison. Il organise une fois par semaine un karaoké pour les travailleurs qui résident à Picun. Li Xiangyang adore chanter. Il fait exprès de chanter comme une casserole, afin de mettre l'ambiance très rapidement. Son but : rendre les travailleurs migrants joyeux.

Un rêve qui devient réalité

En comparaison avec le caractère enjoué de Li Xiangyang, Xu Duo, lui, semble un peu sérieux. Il est l'un des créateurs de la Troupe des ouvriers nouveaux et de la Maison des travailleurs migrants. Il est très attaché au village de Picun. En 1999, Xu Duo a quitté son village natal situé à Haining dans le Zhejiang et commencé à gagner sa vie à Beijing en chantant dans un passage souterrain. À cette époque-là, il rêvait d'être un chanteur de rock. En 2002, il rencontre Wang Dezhi et Sun Heng. Les trois jeunes commencent alors leur aventure au sein de la Troupe des jeunes travailleurs migrants. Plus tard, ils en changent le nom en Troupe des ouvriers nouveaux.

Wang Dezhi et Sun Heng rêvaient aussi de devenir artistes. En 1995, alors qu'il avait 18 ans, Wang est parti de sa région d'origine, la Mongolie intérieure, avec seulement 700 yuans en poche. Il rêvait de donner un spectacle de xiangsheng (dialogue comique) au grand gala de la fête du Printemps sur la CCTV (Télévision centrale de Chine). En 1998, Sun Heng a abandonné son travail de professeur de musique au Henan pour migrer dans la capitale. Il n'était pas satisfait du système éducatif de l'époque. Au début, les trois jeunes participaient un peu à tous les spectacles. Une fois, ils ont joué devant des travailleurs migrants sur un chantier de construction. C'est une révélation pour eux ! Ils décident d'écrire et de chanter désormais pour les travailleurs migrants.

En 2005, ils gagnent 70 000 yuans de droits d'auteur grâce à leur premier album et trouvent un lieu dans le village de Picun pour commencer leur projet. à l'heure actuelle, la Maison des travailleurs migrants compte une centaine d'employés, et les affaires vont bien. Xu Duo et ses amis y ont ouvert une école, un musée d'art et de culture, une bibliothèque, plusieurs supermarchés et créé un festival artistique des travailleurs migrants.

Aujourd'hui, Xu Duo a également un autre rôle : celui de metteur en scène du gala de la fête du Printemps des travailleurs migrants 2015. Ce n'est pas une mince affaire, car en plus de s'occuper des spectacles de la soirée, il doit aussi se concentrer sur la trésorerie. Début janvier, les préparatifs de la soirée sont terminés ; Xu Duo et ses collègues organisent un appel de fonds sur Internet. Ils réussissent à recueillir 20 000 yuans sur le site Tencent pour l'hébergement des acteurs venus de différents endroits du pays. 50 000 yuans sont recueillis sur le site zhongchou.cn. Il m'explique : « Ces 50 000 yuans sont destinés au voyage des acteurs, il nous reste seulement une dizaine de jours, et on a encore besoin de 10 000 yuans. Il faut que je rameute plus de personnes pour nous aider. » Aujourd'hui, Xu Duo a 9 000 followers sur Weibo et poste régulièrement des messages sur la soirée en espérant attirer l'attention des internautes. Quelques jours plus tard, il finit tout de même par joindre les deux bouts.

 

Répétition pour les enfants de l'école Tongxin en vue du gala. (Photo par Wei Yao)

 

Une soirée vraiment spéciale

Le premier gala de la fête du Printemps pour les ouvriers a eu lieu en janvier 2012. C'est seulement après l'organisation de plusieurs festivals des travailleurs migrants que cela a pu être possible. Cette première édition a eu lieu dans une salle de spectacle du village de Picun. Cui Yongyuan, célèbre animateur de la CCTV, a gracieusement accepté de présenter la soirée, ce qui a beaucoup attiré l'attention sur le spectacle. La salle, construite par les travailleurs du village, est assez rudimentaire. Il n'y a pas de chauffage. Malgré cela, une centaine de personnes sont venues assister au spectacle dans le froid. La vidéo du show a été transférée sur Internet et visionnée plus de 500 000 fois en dix jours. Une consécration pour un spectacle peu ambitieux au départ.

Dès lors, le gala a obtenu les soutiens du Centre culturel de l'arrondissement Chaoyang, du comité du Parti de Chaoyang, de la Fédération des syndicats de Beijing ainsi que de la Fédération nationale des syndicats. En 2015, la soirée a été enregistrée dans le Nine Theater avec l'aide du Centre culturel de Chaoyang.

Mais l'attention portée à ce spectacle amène également de la pression. Xu Duo a commencé à préparer le gala de 2015 depuis septembre de l'année dernière. Il a fait la sélection des programmes à Beijing et à Shenzhen, puis est entré en contact avec les organisations locales des travailleurs migrants pour trouver des artistes pour le gala. Lors de notre interview en janvier dernier, il était en plein dans les répétitions. Il ne restait plus qu'un mois pour enregistrer le gala.

Il me raconte : « Plusieurs programmes ne sont pas encore fixés. » Le gala comprend une vingtaine de performances différentes : chanson, danse, sketch, xiangsheng, récitation etc. La plupart des acteurs viennent de Beijing, de Shanghai et de Guangzhou. Ces trois zones sont les trois plus grandes régions ouvrières de Chine. Chaque année, plusieurs centaines de millions de jeunes ruraux de tout le pays s'y rendent pour travailler, y offrant leur force et leur jeunesse. Le gala de la fête du Printemps des travailleurs migrants est un véritable symbole pour eux.

Un spectacle familial

Shi Jia a 9 ans. Ses parents sont originaires du Henan et travaillent actuellement dans une usine de Picun. La petite étudie à l'école expérimentale Tongxin. Le midi, elle va au cours de danse de l'école avec une trentaine d'autres camarades, avant les cours de l'après-midi. Elles répètent pour le gala. Chaque année, l'école fournit plusieurs programmes pour le spectacle. Pour Shi Jia, c'est une première, mais son institutrice, Mme Zhu Qiuyan, lui a quand même confié le rôle de meneuse.

Zhu Qiuyan est enseignante à l'école Tongxin depuis neuf ans. Elle s'occupe des cours artistiques (musique et danse), ainsi que de la troupe des jeunes pionniers. Chaque année, elle prépare un programme pour le gala. Devant le grand miroir de la salle de danse, elle enseigne aux enfants avec patience. Leur visage dégouline de sueur, tellement ils sont sérieux et concentrés pendant les répétitions. À l'extérieur, une ribambelle d'enfants regarde leurs camarades danser. Cette scène est assez commune dans les écoles de Beijing. Pourtant, pour Shen Jinhua, directrice de l'établissement, Tongxin est vraiment une école spéciale.

 

Xu Duo en plein travail de composition musicale. (Photo par Wei Yao)

 

La recherche identitaire des travailleurs migrants

L'école expérimentale Tongxin a été créée en 2005 par Sun Heng et ses amis, peu après leur installation au village de Picun. L'établissement compte aujourd'hui 600 élèves, pour la plupart des enfants de travailleurs migrants. Pendant notre entrevue, Mme Shen a mentionné plusieurs fois les concepts sociaux de « développement personnel » et d'« urbanisation des villageois ». Elle a aussi émis des idées concernant le système éducatif chinois. D'après elle, dans une école idéale, chaque enseignant devrait être un psychologue expert en problèmes sociaux.

Beijing étant l'une des villes les plus développées de Chine, celle-ci regroupe le siège de près de 500 entreprises internationales. Mais au village de Picun, distant seulement de 20 km du centre économique de la capitale, il subsiste encore beaucoup de petites usines. Environ 20 000 travailleurs migrants vivent ici, et leurs enfants reçoivent leur éducation à l'école Tongxin. Ces dernières années, le gouvernement de Beijing a fait fermer les écoles illégales. Les travailleurs migrants autour de Picun envoient donc également leurs enfants étudier à l'école Tongxin. Là-bas, une vingtaine d'enseignants et de volontaires doivent résoudre des problèmes résultant de la différence entre le monde urbain et le monde rural.

Selon Shen Jinhua, les élèves à l'école Tongxin ont également plus d'occasions de s'adapter à la vie en ville. Elle est persuadée que les activités culturelles sont profitables aux travailleurs migrants tout comme à leurs enfants. D'ailleurs, quand nous regardions Shi Jia danser pendant les répétitions, elle était souriante et m'a dit qu'elle était « contente de participer à la soirée ».

Bu Wei, directrice du centre des recherche en communication-média et développement de la jeunesse de l'Académie des sciences sociales de Chine, effectue des études sur le village de Picun depuis quelques années déjà. Selon elle, les activités culturelles provoquent une recherche identitaire chez les travailleurs migrants. Wang Dezhi ajoute : « Notre gala de la fête du Printemps est là pour montrer notre optimisme et espoir d'une vie meilleure. Il ne faut pas toujours s'apitoyer sur notre sort ni décourager les gens. » Dans un certain sens, les activités culturelles permettent aux gens de changer leur attitude face à la vie, mais sans les brusquer ni les braquer.

En 2009, Xu Duo a pris la décision de changer le nom de son groupe en Troupe des ouvriers nouveaux. Selon lui, l'ouvrier nouveau est un terme qui implique une possibilité d'évolution des travailleurs migrants : ils font partie intégrante de l'époque et de la capitale. Ils recherchent une vie simple, mais ont besoin d'avoir plus de droits. D'après Xu Duo, ces nouveaux ouvriers ont du mal à retourner dans leur village après avoir travaillé quelques années à la ville. Ils n'ont pas envie de finir comme la génération de leurs parents qui, dans les années 1980, sont rentrés au village pour finalement y continuer à vivre dans la pauvreté après avoir fait don de leur jeunesse et de leur force à la ville. C'est pour cela que Xu Duo et ses amis maintiennent leurs efforts : ils espèrent qu'un jour, les ouvriers migrants pourront bénéficier d'un traitement plus juste.

 

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