CHINAHOY

29-January-2014

Une photo de leur jeunesse

 

Tian Song a ardemment cherché un emploi à Beijing.

 

LU RUCAI, membre de la rédaction

«Dans la Chine d'aujourd'hui, il y a une catégorie particulière de personnes : la plupart d'entre elles sont nées dans les années 80 et 90, et beaucoup de ces jeunes sont venus s'installer en ville, loin de leurs régions natales. Ils sont célibataires, dépensent tout ce qu'ils gagnent mois après mois, mais sont incapables d'envisager l'achat d'un appartement ou d'une voiture. Néanmoins, leur désir de bénéficier d'une vie meilleure est si fort qu'ils se démènent en errant entre rêve et réalité. En fait, ils n'arrivent pas à imaginer leur avenir et ce qui va leur arriver. Bien que perplexes, ils persévèrent en gardant leur rêve en tête jusqu'à ce qu'ils abandonnent celui-ci ou même qu'ils s'habituent à une telle vie. » Le photographe Tian He décrit ainsi les sujets de sa série de photos Laissez une photo de votre jeunesse.

Pourquoi avoir choisi ce thème ? « Parce qu'à la base, je n'étais pas satisfait de ma situation et je voulais savoir comment vivaient les autres jeunes de ma génération », dit Tian He. Finalement, il a compris que « si nous ne sommes pas satisfaits de notre situation, c'est parce que nous rêvons d'un autre idéal, » « un vrai optimiste doit persévérer et rester en ville dans un état d'esprit déterminé et se battre sans relâche. »

Aller chercher son rêve dans les grandes villes

Tian He est né en 1985 mais c'est déjà la sixième année qu'il vivote à Beijing. Début 2011, il quitte son travail dans une chaine de télévision et va étudier la photographie à l'Institut cinématographique de Beijing. Cette même année, une de ses séries de photos ayant pour sujet « Les gens du Nord-Ouest en Chine » a été exposée à l'Exposition Internationale de Photographie de Pingyao. Aujourd'hui, il se consacre aux actions d'intérêt public et ses photos ont été sélectionnées par nombre de médias nationaux réputés.

« Pour pouvoir rester dans la ville où nous sommes, nous faisons un travail que nous n'aimons pas et nous devons nous cacher pour garder notre dignité, supporter la solitude et le délaissement. » Ses mots sont très poétiques mais également pleins de mélancolie. Toutefois, il a persévéré et est resté à Beijing.

La plupart des jeunes de son âge qui apparaissent sur ses photos sont, tout comme lui, désireux de vivre leur rêve dans une grande ville.

Tian Song est originaire de Baoding, dans le Hebei. Il est l'une des premières personnes apparaissant dans les photos de Tian He à être venue à Beijing pour y chercher son rêve. En 2011, il fut diplômé en conception d'art environnemental, et plus d'un an après la fin de ses études, incité par ses parents et des amis, il est venu à Beijing. Il est à la recherche d'un emploi depuis plus de deux mois. Lorsque Tian He l'a pris en photo, il l'a placé spécialement devant un mur tapissé de plusieurs masques de l'Opéra de Beijing. Tian Song, comme la plupart des jeunes provinciaux, est venu à Beijing avec un rêve. Ce qui revient le plus souvent dans le discours de ces jeunes c'est la vision qu'ils ont de la grande ville.

Contrairement à Tian Song, Yu Qing, un autre personnage capturé par le photographe, ne se souciait pas de rechercher un travail mais simplement d'écouter son cœur. Sa ville natale est Jingdezhen, dans le Jiangxi, célèbre producteur de porcelaine de Chine. Il avait là-bas un emploi stable, au Bureau de la météorologie. Mais passer chaque jour « avec une tasse de thé et un journal » aurait été un style de vie qui l'aurait fort ennuyé. Il se décida à quitter cet emploi, pourtant très sûr et stable aux yeux des autres, et il est parti à Beijing. Il a commencé par travailler dans une société de médias comme photographe, réalisateur, éditeur… il a un peu tout fait. « La seule chose que je ne peux pas faire, c'est de me photographier moi-même avec mon appareil photo », a-t-il dit. Tian He a l'impression que Yu Qing est « très valorisé par son apparence, mais au fond il a l'air vide ». « La vie vous oblige souvent à faire des compromis. Nous sommes obligés de laisser de côté certaines choses nous tenant vraiment à cœur car nos préoccupations principales sont manger ou payer nos loyers par exemple. » Tian He trouve que les paroles de Yu Qing sont incisives et réalistes. Sous la pression de la réalité, la jeune génération doit mettre ses rêves de côté.

« Bien que nous ayons assez de temps libre et que Beijing soit une ville immense, nous ne voulons pas aller n'importe où, car si on sort, on dépense de l'argent. » C'est comme ça que pensent beaucoup de personnes photographiées par Tian He et venues à Beijing en quête de leur rêve. Travailler pour gagner de l'argent est la seule chose qu'ils peuvent faire, leurs loisirs principaux sont de regarder la télévision ou jouer aux jeux vidéo dans leur logement loué.

Mais malgré ça, « parmi les jeunes que j'ai photographiés, seulement un ou deux ont quitté Beijing, la plupart sont encore ici. Moi-même je suis l'un d'entre eux », nous dit Tian He. Il a persévéré. Presque chaque jeune qui vient s'installer à Beijing ou à Shanghai est tiraillé entre deux choix : rester dans la grande ville ou retourner dans son village natal. Pourtant, la plupart d'entre eux restent en ville. Ce que Tian He voulait immortaliser c'est l'évolution de l'état d'esprit et du moral des jeunes qui s'efforcent de rester dans une grande ville.

Exploration jamais interrompue

« D'après ce que je connais de l'ensemble de la génération née dans les années 1980, ce groupe de personnes a grandi avec des rêves façonnés par les films et les séries télé. Ils ont une grande confiance en eux, leur façon de voir le monde va bien au-delà de leur environnement. Mais pour des raisons familiales, économiques ou de capacité personnelle, beaucoup d'entre eux se sont mis à ne pas se satisfaire de leur situation. Ils sont perdus entre idéal et réalité, donc ils se plaignent. Maintenant, ils sont confrontés aux mêmes problèmes que les autres : se marier, avoir un enfant, l'achat d'un appartement, d'une voiture, etc… Toute une série de problèmes pratiques viennent l'une après l'autre avant la réalisation du but dont ils ont tant rêvé ». Tian He continue, « Aujourd'hui, les jeunes nés dans les années 90 ont commencé à poser un pied dans la société et cela a aggravé la pression sur la vie de ceux nés dans les années 80 qui sentent que leur idéal leur échappe. »

Chercher sans relâche un emploi adéquat qui leur permettra de se développer est la situation la plus répandue chez les personnes photographiées par Tian He, dont la Shanghaienne Shen Meng est un exemple. En 2006, ayant réussi le concours d'entrée à l'université, mais prise par la fièvre de l'émigration, Shen Meng est partie en Australie pour faire ses études. Shen Meng aspirait à la spécialité de gestion hôtelière mais son père n'était pas d'accord avec son choix. Il pensait que cette spécialité appartenant à la «jeunesse» ne convenait pas à une fille. Elle a donc dû choisir la comptabilité et la finance comme spécialité. En raison de changements dans la politique d'immigration de l'Australie, Shen Meng a dû retourner à Shanghai et a trouvé un travail dans une entreprise du secteur de la finance installée sur la rue Nanjing. Au moment où Tian He l'a photographiée, elle occupait un emploi qu'elle a trouvé deux mois auparavant. Cependant, elle a commencé à revoir le choix de son orientation. « Les relations entre les gens sont trop compliquées, ça fatigue le cœur », s'exclamait-elle en montrant son regret de ne pas avoir pu choisir sa spécialité préférée, la gestion hôtelière.

Quant au jeune Zhou, né en 1987 dans la petite ville de Heze, dans le Shandong, il habite maintenant à Huilongguan, à l'extérieur du 5e périphérique au nord de Beijing. Il a étudié la création de pages web dans une école supérieure privée de Beijing, mais les cours ne l'intéressaient pas et il a rapidement dû quitter l'école sans diplôme pour gagner sa vie. Durant trois années, il a successivement été designer de pages web, vendeur de batteries contrefaites à Zhongguancun et responsable d'une petite usine qui fabriquait des batteries de téléphone mobile avec les capitaux de certains de ses amis dans la ville de Shenzhen. Il est ensuite revenu à Beijing où il a travaillé pour un site Internet ouvert par un ancien camarade de classe. Tian He explique que le rêve de Zhou est d'être patron dans n'importe quel domaine. Mais aujourd'hui, après de multiples expériences, il est devenu plus réaliste. Son but est de travailler dur, de gagner plus d'argent et d'accumuler plus d'expérience afin d'ouvrir une entreprise lui appartenant.

« J'ai toujours pensé que les gens nés dans les années 80 étaient la première génération dans l'histoire de la Chine à pouvoir choisir eux-mêmes leur destin. Ils peuvent choisir librement leur éducation et leur école, leur travail et avec qui se marier », dit Tian He. Cependant, qu'ils soient nés dans les années 80 ou 90, la plupart des jeunes chinois n'ont pas de plan concernant leur avenir professionnel. « C'est une grande perte d'un point de vue de l'éducation. »

Pourtant, les parents et la famille ont quand même beaucoup influencé la vie des jeunes, comme le montre l'exemple de Shen Meng et de son père ayant influencé son orientation professionnelle. Ce genre d'histoire est arrivé à presqu'une trentaine de jeunes apparaissant sur les photos de Tian He. « L'origine de la famille a une forte influence sur les enfants, et peut même influencer toute la vie d'une personne. Et alors que les jeunes nés dans les années 80 prennent de l'âge, les parents commencent à intervenir sur les questions de mariage, sur le choix d'avoir un enfant, de s'installer quelque part, etc.... » Tian ajoute que « L'insatisfaction d'une vie dans une ville inconnue couplé à la forte intervention des parents rendent ces jeunes de plus en plus perdus entre idéal et réalité. »

Idéal sans limite

On trouve, parmi les personnages qui apparaissent dans la série de photos réalisée par Tian He Laissez une photo de votre jeunesse, des jeunes diplômés en stage, des taxis clandestins, des peintres en bâtiment et des responsables de boutique en ligne, mais aussi des jeunes revenus de l'étranger et d'autres souhaitant y partir, ainsi que des jeunes venus de Hong Kong à Beijing pour effectuer des stages. « Si tous ces gens-là sont mes sujets c'est parce qu'ils ont un rêve », dit Tian He.

Après avoir photographié un jeune Hongkongais qui était venu un mois auparavant à Beijing pour y effectuer un stage, Tian He a compris les similitudes et les différences entre les jeunes gens de la partie continentale et ceux de Hong Kong. Ces derniers aiment la beauté grandiose et le côté sympathique de Beijing ainsi que le côté introverti des jeunes gens. Ils ne se sentent pas étrangers à Beijing. Néanmoins, leur connaissance de Beijing et de la Chine reste limitée. Ils croyaient même que les trains de la partie continentale de la Chine étaient toujours les trains verts qu'ils avaient vus dans les films ! C'est seulement après avoir pris le train pour aller à Tianjin que ce jeune Hongkongais a pu découvrir, à sa grande surprise, l'avancement des trains sur la partie continentale.

Lu Yuxin, née en 1991, est étudiante en Marketing et Economie à l'université des Sciences et Technologies de Hong Kong. Elle a dit à Tian He que son séjour à Beijing a changé beaucoup de choses dans sa vie car, dit-elle, « Avant j'étais toujours dans une situation passive, à l'écoute des choix de mes parents. » Sur ce point-là, on peut dire que toutes les familles d'origine chinoise sont semblables.

Au début, le projet de Tian He n'a pas été facile. Il a tout d'abord utilisé quelques amis comme «cobayes» puis, lorsque de plus en plus de gens se sont intéressés à sa série de photos, beaucoup de personnes l'ont sollicité pour apparaitre sur ses clichés. « Mais il y a des gens qui voulaient seulement partager leurs histoires et devenir ami avec moi mais sans apparaitre sur les photos », dit-il, « Il m'est souvent arrivé d'aller à un rendez-vous pour rien. »

Tian He aime que ses photos soient prises dans des lieux et sous des angles différents mais cela n'est parfois pas possible, particulièrement avec les jeunes filles. « Le domicile est l'endroit le plus représentatif de la vie d'une jeune fille mais pour des raisons de sécurité et de respect de leur vie privée, ce genre de demande est souvent refusée », dit Tian He. C'est pourquoi, les photos de filles sont généralement prises dans des lieux publics.

Tian He apparaît lui-même sur le 23e cliché de sa série de photos sur le thème de la jeunesse. Sur ce cliché, Tian He est assis au milieu de bagages en mauvais état : un vieux sac, une vieille télévision et une grande boîte remplie d'objets divers… C'est tous les biens qu'il a réussi à accumuler ces dernières années à Beijing. En repensant à cette époque où il vivotait à Beijing, il nous dit qu'il a erré avec ses bagages aux quatre coins de la ville. Sur une autre photo, on voit la pièce où il logeait, sans lui ni ses bagages, seulement un lit vide et une table de travail ainsi que de la poussière visible sur le sol.

« Les photos de la Série de la Jeunesse représentent non seulement les autres jeunes mais aussi moi-même. L'idéal est apparemment inaccessible et la réalité est souvent ennuyeuse. Mais dans cette ère matérialiste, nous devons nous adapter à la réalité : trouver un emploi stable et mettre de l'argent de côté », dit Tian. « Pourtant les salaires augmentent régulièrement mais nous nous sentons toujours moins heureux. Pourquoi ? » Il continue, « Ce qui est le plus triste, c'est que notre rêve nous échappe avec le temps. C'est pareil pour moi, je n'ai plus de rêve précis, je veux juste faire un truc que j'aime et qui m'appartienne, finir ma série sur 'la jeunesse'. » « Trois ans ? Cinq ans ? Dix ans ? Ça m'est égal tant que je suis heureux » conclut-il.

 

La Chine au présent

Liens