CHINAHOY

5-April-2016

Xuequfang = une bonne éducation ?

 

Entraînement au football dans une école réputée de la capitale. (PHOTO : WEI YAO)

 

À l'instar de la légende de la mère de Mencius qui déménage trois fois pour permettre à son enfant d'avoir une meilleure éducation et un environnement favorable à l'étude, beaucoup de parents chinois cherchent les xuequfang (appartements situés dans les zones scolaires des bonnes écoles) pour leurs enfants.

WEI YAO*

Ces derniers temps, Jiang Le, un cadre pékinois, cherche un nouvel appartement. Sa femme et lui ont l'intention de vendre la maison où ils habitent pour trouver un xuequfang à Beijing pour leur fils qui a seulement un an.

Dans les grandes villes, beaucoup de parents sont inquiets pour l'éducation de leur enfant et essaient souvent de faire jouer leurs relations pour envoyer leurs enfants dans une bonne école. Ces dernières années, bien que la construction d'un État de droit s'approfondit en Chine, et que la corruption dans le domaine éducatif diminue, les parents cherchent toujours une meilleure éducation pour les enfants. L'achat d'un xuequfang semble donc une voie plus direct et surtout plus légale pour permettre aux enfants d'aller dans une meilleure école.

Pourquoi un xuequfang ?

Les premiers 9 ans de l'enseignement scolaire chinois, c'est à dire l'école primaire et secondaire, font partie de l'enseignement obligatoire. Selon la loi chinoise, tous les enfants en âge d'être scolarisés ont le droit d'accéder à une éducation. Toutefois, il existe une différence entre les différentes écoles. Les gens font donc le tri selon le taux de réussite aux examens d'admission, le niveau professionnel des enseignants, et la qualité de l'enseignement.

Les zones scolaires chinoises sont organisées selon le hukou (registre de l'état civil) et le lieu de résidence familiale. C'est à dire qu'un enfant à l'âge scolaire ne peut entrer que dans une école proche de là où il est né et enregistré, ou une école proche du lieu de résidence. Quand une école est réputée, le quartier qui l'entoure, devient alors une « zone d'école réputée », et les appartements situés dans cette zone, des xuequfang.

Fin 2015, un ami de Jiang Le a lui aussi vendu son appartement tout neuf à côté du deuxième périphérique de Beijing pour acheter un logement datant des années 1990 au nord du quatrième périphérique. Tout ça, parce que le quartier où est situé l'appartement fait partie de la zone de l'École primaire n°1 de Zhongguancun, qui est une des meilleures écoles de Beijing. Ce logement de 75 m² lui a coûté au total 5 600 000 yuans (environ 800 000 euros), soit presque 80 000 yuans le mètre carré. Le prix le plus bas dans cette zone par rapport aux autres qui peuvent monter à 90 000, voire 100 000 yuans.

L'arrondissement Xicheng dans le centre de Beijing est très cher, car il y a beaucoup d'écoles dans le quartier et le prix au mètre carré dépasse facilement les 100 000 yuans. Les gens achètent pour pouvoir faire enregistrer leur hukou dans cet arrondissement et avoir une chance d'entrer dans une bonne école.

Malgré la hausse des prix de l'immobilier, les gens cherchent quand même à acquérir des xuequfang. Zhao Feng qui travaille dans une entreprise de technologie informatique à Zhongguancun a acheté en 2011 un logement de la zone de l'École n°1 de Zhongguancun au prix de 40 000 yuans le mètre carré. Un prix déjà très haut par rapport au prix moyen de 25 000 yuans le mètre carré à l'époque. Après quatre ans, les prix ont presque doublé.

Aujourd'hui, son fils et sa fille bénéficent de ce xuequfang. Et quand les enfants auront fini l'école primaire, Zhao Feng a l'intention de vendre son xuequfang pour acheter un logement plus large et de bonne qualité dans une zone moins démandée. Pour certains Pékinois comme Zhao Feng, les xuequfang sont aussi un bon investissement. À Beijing, il est normal de vendre son xuequfang après les études des enfants, ceux-ci sont comme des bâtons de course de relais, se transférant des parents aux parents, à la seule différence que les prix montent continuellement.

En 2016, une politique autorisant tous les Chinois à avoir deux enfants, on peut imaginer que dans les années à venir, la Chine va connaître un baby-boom, et la demande en matière de xuequfang s'accroître conséquemment.

To be or not to be ?

Les Chinois ont la tradition d'attacher de l'importance à l'éducation des enfants. Il y a quelques années, Amy Chua, une mère de famille sino-américaine auteur de L'Hymne de Bataille de la Mère Tigre a beaucoup fait parler de lui. Et dans les grandes métropoles comme Beijing et Shanghai, les parents sont de plus en plus exigeants quant à la qualité de l'éducation de leurs enfants. Beaucoup d'entre eux estiment qu'un bon environnement est favorable aux enfants pour trouver un bon emploi et avoir une meilleure qualité de vie. Les xuequfang sont devenus une tendance de la société chinoise.

Sur le forum éducatif Jiazhangbang (groupe des parents), la section consacrée aux xuequfang attire plusieurs centaines de parents par jour dont beaucoup de couples qui viennent d'avoir un enfant, voire même des couples sans enfant. Pour eux, les xuequfang sont un problème important.

Certains employés d'agence immobilière se sont introduit sur ces forums et se font passer pour des parents afin de faire hausser le prix de l'immobilier. Les prix parfois mirobolants de ces biens immobiliers sont aussi dûs au marketing à outrance de certaines agences immobilières.

Sur la page d'accueil de Lianjia, la plus grande agence immobilière à Beijing, la section xuequfang a été mise à la place la plus voyante. Les agences utilisent aussi le marchéage psychologique : faire visiter une maison à plusieurs clients en même temps pour créer l'illusion que le bien est très demandé. Il arrive même que les enchères commencent lors de ces visites.

En 2014, on considérait que le secteur de l'immobilier en Chine était morose, mais les xuequfang sont devenus le pivot du secteur. À Beijing, plus de 100 000 enfants entrent annuellement à l'école primaire, et ce marché énorme va continuer à s'élargir à cause du déséquilibre dans l'éducation.

Toutefois, les xuequfang ne sont pas le seul choix pour tous les parents. Wang Yajuan a choisi d'envoyer son fils dans une école non réputée de l'arrondissement Xicheng. Elle a bien une fois essayé de chercher une meilleure école, puis finalement elle a abandonné. Elle nous explique ses raisons : « Bien qu'il existe un écart entre les écoles, les politiques éducatives commencent à rééquilibrer la qualité de l'éducation. En plus, les écoles primaires et secondaires sont seulement une partie de l'éducation, ce n'est pas la peine de s'embêter à déménager. »

Aujourd'hui, beaucoup de familles aisées choisissent l'enseignement privé. En 2015, Yang Lusi a donné naissance à son fils. Son mari et elle travaillent à Beijing depuis dix ans, mais n'ont pas obtenu le hukou pékinois. Donc quand leur fils aura six ans, il devra retourner dans le Shandong, la province natale de son père. Mais Yang Lusi n'est pas inquiète : « On va envoyer notre fils à l'école privée, puis il partira faire des études à l'étranger parce que c'est plus facile de continuer ses études à l'étranger. »

Cependant, ces parents, qui ont l'intention d'envoyer les enfants à l'étranger, constatent aussi que le xuequfang n'est pas un phénomène unique à la Chine, il existe également en Europe et aux États-Unis.

Huang Yingxue, Chinoise de 33 ans, s'est installée à Paris après ses études universitaires. Elle est maman de deux filles. Aujourd'hui, sa fille Anne est en CP. D'après elle, les xuequfang existent aussi à Paris, et la carte scolaire de Paris est même plus détaillée qu'à Beijing. Elle habite dans le 16e arrondissement, le prix de l'immobilier du côté de la rue où se trouve une bonne école est même 10 % plus cher que de l'autre côté.

Pour éviter la spéculation immobilière, la mairie de Paris change chaque année la carte scolaire. Mais selon Huang, les gens ont aussi des contre-mesures. Par exemple les faux divorces, pour choisir une meilleure école enregistrée à l'adresse de la mère et du père. Certains envoient aussi les enfants à l'école privée pour éviter d'entrer dans une mauvaise école. Elle admet quand même que le niveau entre les écoles ne diffère pas autant qu'à Beijing.

La réforme casse le déséquilibre éducatif

Les xuequfang dans les grandes villes chinoises provoquent des injustices au niveau de l'éducation. On a même vu naître des « coopérations » entre des écoles et des organismes gouvernementaux pour garder des places aux enfants des fonctionnaires. Coopération qui rimait avec corruption. Cette mesure a été supprimée. Mais encore aujourd'hui, les familles aisées profitent d'une meilleure éducation, ce qui entraîne un déséquilibre dans l'enseignement et des conflits sociaux. Pour remédier à cela, le gouvernement chinois a accru les investissements dans l'éducation pour résoudre le problème.

En 2014, la municipalité de Beijing a mis en place la plus grande réforme dans le domaine éducatif depuis ces 12 dernières années pour réduire l'écart entre les écoles et mieux répartir les ressources éducatives. Par exemple, la promotion de l'enseignement en groupe, l'intégration des écoles, l'optimisation de la division des zones scolaires, et l'amélioration des règles à poursuivre les études. Dans l'arrondissement Xicheng, après cette réforme, les « mauvaises écoles » ont obtenus plus de places pour leurs élèves dans les bonnes écoles secondaires. Et dans l'arrondissement Dongcheng, le système pour intégrer l'école primaire et secondaire, soit neuf ans consécutifs dans la même école a même provoqué la réforme de l'enseignement obligatoire.

Le ministère de l'éducation a aussi lancé des mesures pour « refroidir » le marché des xuequfang. En janvier 2016, l'arrondissement Xicheng a mis en place une mesure : une famille doit posséder un bien immobilier pour une durée de 6 ans pour inscrire son enfant à l'école de la zone scolaire. Ce genre de mesures limitent efficacement la spéculation immobilière dans l'arrondissement Xicheng.

Dans les autres grandes villes chinoises, on a également pris des mesures pour rééquilibrer le système éducatif. En 2015, Shanghai a mis à l'essai une réforme pour promouvoir l'enseignement en petits groupes, la circulation des enseignants, le partage de ressources et d'expérience. Il est prévu qu'en 2017, la moitié des écoles primaires et secondaires de Shanghai passent à l'enseignement en groupe.

 

*WEI YAO est journaliste pour Beijing Review.

 

 

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