CHINAHOY

4-May-2016

La mondialisation de la Chine dans une nouvelle phase

 

JOHN ROSS*

La Chine a récemment lancé sa nouvelle politique internationale de « coopération sur les capacités de production. » Son trait caractéristique, comme le définit Gu Dawei, de la Commission nationale du développement et de la réforme (CNDR), est le suivant : « La coopération sur les capacités de production signifie que l'on passe de l'exportation de produits finis au transfert de chaînes industrielles complètes, afin d'aider des pays étrangers à accroître leurs capacités de production. » Cette politique ne vise pas le court terme mais au contraire s'inscrit dans l'entrée de la Chine dans une nouvelle étape de sa mondialisation. Elle s'adapte particulièrement bien aux industries manufacturières et bénéficie du potentiel immense de la Chine en termes de construction d'infrastructures à l'international dans des domaines tels que la production énergétique, le transport ou le BTP.

Une des formes de cette coopération internationale sur les capacités de production consiste, pour des entreprises chinoises, à entreprendre des projets industriels dans un pays hôte, soit indépendamment, soit en coopération avec des entreprises locales. Des exemples récents en sont la construction de lignes de chemin de fer au Brésil dans le cadre de la préparation des Jeux Olympiques de 2016 ou la construction d'infrastructures majeures au Kazakhstan. Une autre forme, alternative ou complémentaire à celle-ci, consiste pour des entreprises chinoises à coopérer avec des entreprises d'un pays étranger pour opérer sur le marché d'un pays tiers. Un exemple de cette forme de coopération peut être trouvé dans la coopération entre entreprises chinoises et françaises sur le marché de la production électrique sur des marchés tiers. Les raisons du développement de cette forme de coopération internationale et son importance pour la Chine s'expliquent facilement par l'analyse des forces qui conditionnent l'internationalisation du pays et son positionnement global.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, on a vu les principales forces économiques à l'œuvre dans la mondialisation évoluer et s'approfondir. Au départ, la mondialisation résidait principalement dans le commerce, puis elle a poursuivi son développement dans les investissements directs à l'étranger (FDI). De nos jours, c'est la création de chaînes de valeur intégrées mondialement, qui culmine dans la coopération de production au niveau international, la Chine jouant un rôle de plus en plus important dans ce processus.

La force motrice la plus fondamentale dans ce processus de mondialisation est l'immense avantage de productivité libéré par la division du travail qui se fait non plus uniquement sur un plan national mais sur un plan mondial. Ce processus n'est pas nouveau. La première phrase du premier chapitre de l'ouvrage fondateur de l'économie moderne, Recherches sur les causes de la richesse des nations, par Adam Smith, le disait déjà clairement : « La plus importante amélioration de la puissance productive (...) a été l'effet de la division du travail. »

La statistique économique moderne donne raison à l'analyse d'Adam Smith et confirme l'actualité d'une phrase écrite voici plus de deux siècles. Toutes les études empiriques majeures démontrent la corrélation positive qui existe entre l'ouverture d'une entité économique au commerce et la rapidité de sa croissance économique. La division du travail accrue au niveau national, qui se reflétait dans ce qu'il appelle les « produits intermédiaires », soit les entrants fournis à une industrie par une autre, représentent la part de la production qui connaît la plus forte croissance.

Adam Smith a identifié ce processus, mais son échelle s'est bien sûr infiniment accrue depuis. L'excellente étude de la mondialisation signée par les auteurs Breznitz et Murphree sous le titre Run of the Red Queen décrit avec précision la dernière étape du processus : « Ces dernières décennies, le monde a assisté à une fragmentation de plus en plus importante et accélérée (parfois appelée aussi décomposition, décloisonnement ou modularisation) des activités productives. Ceci signifie que la production des biens et services n'est plus organisée par des sociétés hiérarchiques intégrées verticalement dans un pays. Les sociétés divisent de plus en plus leurs activités en modules plus petits et indépendants qui peuvent être sous-traités ou délocalisés. Ce processus de fragmentation a modifié le système économique international et conduit les différentes régions vers une spécialisation sur des aspects spécifiques de la production dans le cadre de certains secteurs industriels bien définis. » La volonté de la Chine de promouvoir la coopération sur les capacités de production s'inscrit dans ce processus.

La mondialisation continue dès lors à se développer le long des lignes prédites par la théorie économique en poursuivant la division mondiale du travail. Ce phénomène est déjà extrêmement développé dans les industries manufacturières. Par exemple, l'Organisation mondiale du commerce a constaté que la voiture américaine moyenne n'a vu que 37 % de sa valeur ajoutée sur le territoire des États-Unis, tandis que 30 % proviennent de Corée du Sud, 18 % du Japon, 8 % d'Allemagne, 4 % de Singapour et Taiwan. 63 % de la valeur du produit vendu aux États-Unis viennent donc de pays étrangers.

La Chine a longtemps joué un rôle clé en fournissant des composants aux chaînes de production mondialisées grâce à des entreprises devenues des leaders mondiaux comme les batteries BYD et les pièces automobiles Wanxiang. D'autres pays, pour des raisons politiques ou pour créer des emplois, ont souhaité que ces entreprises chinoises viennent implanter leurs capacités de production sur leur territoire.

Mais cette situation est encore plus flagrante dans d'autres secteurs économiques où différentes parties du processus productif doivent nécessairement être situées au même endroit, ou du moins à proximité immédiate les unes des autres, que ce soit pour des raisons techniques ou de coûts. Ceci est souvent le cas dans les infrastructures et les industries lourdes. Par exemple, les différentes parties d'une centrale de production électrique ne peuvent pas se trouver sur des sites différents, une ligne de chemin de fer ne peut pas être séparée géographiquement en voie, caténaires, gares et plates-formes logistiques, un barrage hydroélectrique ne peut pas être séparé du cours d'eau qui l'alimente.

Dans un grand nombre de ces secteurs industriels, les entreprises chinoises jouissent d'une position de leader mondial grâce à leur capacité à combiner un bon niveau technique avec un avantage en termes de coûts. Une force qui a bien entendu bénéficié du volume inégalé du marché chinois de l'investissement en actifs fixes. Le volume des investissements chinois en actifs fixes est actuellement supérieur de 40 % à celui qui existe aux États-Unis. En 2014, année pour laquelle les données comparables les plus récentes sont disponibles, l'investissement fixe représentait en Chine 4 600 milliards de dollars, contre 3 200 milliards de dollars aux États-Unis. Ceci confère bien évidemment un avantage aux entreprises chinoises dans de nombreux secteurs, par un savoir-faire et une expérience incomparables. Cependant, pour les raisons techniques et économiques mentionnées, de telles entreprises chinoises leader sur leur marché ne peuvent pas compter sur le commerce pour se développer à l'international.

La coopération internationale sur les capacités de production découle de cette combinaison entre le processus de mondialisation et le rôle spécifique de la Chine dans la chaîne de valeur internationale. Alors que la Chine est désormais un pays à revenu intermédiaire, voire élevé selon les standards internationaux, ses avantages se concentrent bien évidemment dans les secteurs technologiques moyens et hauts. D'autres pays possèdent des avantages complémentaires qui se situent dans d'autres parties de la chaîne de production. Les pays à économie avancée possèdent des avantages en termes de hautes technologies, ce qui explique la coopération des entreprises chinoises avec des entreprises françaises dans le secteur de la production électrique. Simultanément, en raison de l'accroissement rapide des revenus de la population chinoise, la Chine voit sa compétitivité décliner dans des secteurs qui dépendent fortement d'une main-d'œuvre très bon marché. Il est donc logique, par exemple, que des fabricants chinois de chaussures délocalisent leur production et leur savoir-faire acquis en Chine vers l'Éthiopie, ainsi que l'avait préconisé Justin Yifu Lin, un des économistes chinois les plus en vue. Les sociétés chinoises du BTP déploient une activité importante dans de nombreux pays d'Afrique. Dans les deux cas, d'autres parties de la chaîne de production sont reprises par des sociétés africaines.

La coopération internationale en matière de capacités de production permet aux entreprises chinoises de mettre à profit leurs avantages comparatifs spécifiques en coopération avec différentes parties de la chaîne de valeur qui se trouvent dans d'autres pays, pour un avantage partagé.

 

*JOHN ROSS est chercheur à l'Institut d'études financières Chongyang dépendant de l'université Renmin à Beijing. Il a été responsable de la politique économique et commerciale au sein de l'Administration du maire Ken Livingstone à Londres.

 

 

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