CHINAHOY

1-July-2014

Et si on mangeait à l’autre bout du globe ce soir ?

 

Le foie gras et les escargots figurent parmi les mets occidentaux préférés des Chinois. (YU JIE)

 

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

Les restaurants étrangers, autrefois trop déroutants et inaccessibles, attirent aujourd'hui de plus en plus de Chinois curieux (et bientôt amateurs peut-être) des cuisines du monde.

Un jour, alors que je rentre d'aller faire des courses, un vieil homme chinois m'interpelle dans l'ascenseur. « Tu aimes la nourriture chinoise ? me demande-t-il, surpris de me voir avec des sortes de mianbao (pain chinois) dans les bras. En général, les étrangers mangent étranger, et les Chinois mangent chinois. Mais la cuisine chinoise est succulente, n'est-ce pas ? »

J'ai pensé que ce mignon papy au discours patriotique commettait tout de même deux erreurs flagrantes. Tout d'abord, la « cuisine étrangère », sous-entendue occidentale, ne peut être considérée comme un ensemble homogène. Cuisines américaine, mexicaine, italienne, française, espagnole, grecque, allemande, russe... La « cuisine étrangère » s'apparente plus à une salade de fruits qu'à une compote, pour employer des termes culinaires. Ensuite, les goûts et habitudes alimentaires ne sont plus aussi opposés d'une culture à une autre, surtout parmi les jeunes générations.

Fast-food américains, grandes tables françaises

Bien que la cuisine chinoise soit un véritable art régi par de nombreuses règles visant l'équilibre entre le yin et le yang (combinaison de plats froids et chauds, harmonie des saveurs, esthétique des couleurs…), les cuisines du monde entier ont réussi à s'imposer dans les grandes villes chinoises. Prenons l'exemple de la capitale cosmopolite : les KFC et McDonald's pullulent ; côté japonais, les Yoshinoya et Ajisen Ramen ne manquent pas non plus ; les barbecues coréens ont investi le quartier universitaire de Wudaokou ; les enseignes de pizzas, qu'elles soient américaines ou chinoises, sont également bien implantées.

En outre, dans la partie est de Beijing, se concentrent une variété de restaurants occidentaux moyen et haut de gamme. Au total, plus de 40 000 ont été établis en Chine, dont 3 000 dans la capitale. Et la France, célèbre pour sa gastronomie, y est plutôt bien représentée, avec le Maxim's, la brasserie Flo, le Café de la Poste, Crêpanini et j'en passe.

Jimmy Loh, directeur du groupe Flo, nous a précisé : « Auparavant, les Chinois redoutaient d'aller dans les grands restaurants français, parce qu'ils les associaient au luxe et à des prix élevés. Avec notre groupe, nous essayons d'expliquer aux Chinois le concept de brasserie, un lieu plus accessible et plus convivial ».

Stratégie d'image, stratégie d'adaptation

La brasserie Flo va bientôt souffler ses 15 bougies. Une longévité dont Jimmy Loh nous livre la recette : « Nous restons fidèles à notre idée de départ. Nous ne voulons pas commencer à fusionner cuisine française et cuisine chinoise. Nos clients réguliers savent que chez nous, ils peuvent déguster des mets de qualité et croquer un goût de France. À travers la gastronomie française, nous représentons la culture française. »

Je me suis aussi souvent demandé comment avaient réussi à percer les chaînes américaines de restauration rapide citées au-dessus, où l'on utilise ses doigts plutôt que des baguettes, où les plats individuels n'invitent pas au partage, où le riz et les nouilles sont remplacés par des frites et du pain.

Bien sûr, elles se sont implantées très tôt, comblant ainsi la niche de la gastronomie américaine. Mais une étude intitulée Competition among Foreign and Chinese Agro-Food Enterprises in the Process of Globalization nous précise qu'elles ont réussi à grand renfort de stratégies marketing. Au début du millénaire, KFC a créé un comité spécial, dont l'objectif était d'adapter ses poulets frits aux goûts des consommateurs chinois. McDonald's, en revanche, a plus travaillé sur son image que sur ses produits : il a ouvert des restaurants climatisés durant les chaudes journées d'été pour permettre aux jeunes de préparer leurs examens scolaires dans de bonnes conditions, s'apparentant ainsi à un centre de services pour la communauté locale.

Échanges culturels, échanges gastronomiques

Avec l'ouverture du pays, de nombreux Chinois partent dans des pays étrangers, pour y étudier ou y travailler. Ils y font l'expérience de nouveaux délices, qu'ils rapportent par la suite à leurs proches. Néanmoins, même les jeunes qui n'ont pas l'occasion de voyager sont demandeurs de nourriture d'autres contrées, sous l'influence de la télévision : un soir où j'étais dans un bar avec un ami chinois, celui-ci commanda une Vodka Martini, uniquement parce qu'il s'agissait de la boisson favorite de James Bond.

Ainsi, les mets « clichés » demeurent les plus populaires. Une idée que confirme Jimmy Loh quand nous lui demandons quels plats les Chinois commandent le plus fréquemment dans son établissement : « Les choix restent assez classiques : foie gras, escargots, huîtres, soupe à l'oignon... Les spécialités françaises les plus connues. »

Par ailleurs, les étrangers de tous horizons prolifèrent en Chine, emportant dans leurs valises leurs habitudes alimentaires. Certains se délectent des mets locaux ; d'autres, plus réfractaires, aiment retrouver les produits de leur terroir. En l'occurrence, ils contribuent à la demande en la matière, et de facto, à l'offre. Alors nombreux sont les expatriés qui ouvrent, en collaboration avec un partenaire chinois, un restaurant ou un bar à l'image des établissements présents dans leur pays d'origine.

Parallèlement, l'Occident a également été frappé par une prolifération des restaurants asiatiques, appréciés des rêveurs souhaitant une bouchée d'exotisme. Toutefois, la tendance est fondamentalement différente. Si ces restaurants asiatiques se sont popularisés dans les villes, c'est notamment parce qu'ils servent des plats bon marché, relativement rapides et sains, adaptés à la vie urbaine. Les clients ne viennent pas y rechercher le luxe lors d'occasions spéciales, comme en Chine.

Variations économiques, variations alimentaires

Les aliments importés s'avèrent relativement chers par rapport aux produits locaux. Rappelons qu'en Chine, l'équivalent de 2 euros suffit amplement pour manger dans une petite gargote. Par conséquent, les restaurants occidentaux sont à la fois symboles d'originalité, de qualité et de haut statut social. Il est commun pour des riches Chinois de choisir, pour des questions de « face », la bouteille de vin la plus coûteuse par exemple, sans même être amateur, dans la seule intention d'impressionner et de chouchouter leurs invités.

Avec l'inflation rapide, l'appréciation du yuan et l'élévation du niveau de vie, cet écart de prix entre produits importés et produits locaux tend à se réduire. Une population d'aisance moyenne émerge. Ces progrès économiques ont conduit à une modification du régime alimentaire des Chinois.

L'étude Food Consumption Trends in China-April 2012 démontre qu'entre 2000 et 2010, ont crû la consommation journalière de calories, la diversification des aliments ingérés et la demande de produits de qualité. La consommation directe de céréales, graines et riz a baissé, au profit de celle de la viande, du poisson et des produits laitiers. Petite parenthèse : trois entreprises françaises de charcuterie viennent d'obtenir l'agrément sanitaire leur permettant d'exporter leurs produits en Chine. Ces tendances ne sont donc pas prêtes de s'arrêter.

En conclusion, la mondialisation croissante a eu une influence sur le contenu de nos assiettes. Reste à savoir si ce phénomène mènera plutôt à une diversité des plats ou à une uniformisation des goûts…

 

La Chine au présent

Liens