CHINAHOY

1-July-2014

Jean-Jacques Annaud et Le Totem du Loup

 

Jean-Jacques Annaud et un loup, lors du tournage du Totem du Loup. (CFP)

 

LIU CHENGZI, membre de la rédaction

Face à face avec le célèbre réalisateur français, qui se livre sur les difficultés du tournage de son prochain film et nous donne sa vision du cinéma chinois.

Cheveux argentés naturellement frisés, lunettes rondes un peu rétro vissées sur le nez, costume noir, jeans bleu foncé délavé : tel est le style qu'arborait Jean-Jacques Annaud quand nous l'avons rencontré. « Ces dernières années, j'ai passé plus de temps en Chine qu'en France. D'ailleurs, je me sens très chinois, bien que je ne parle pas encore le mandarin », a-t-il décrit. Sans s'éparpiller en politesses, ce grand réalisateur français m'a parlé comme il aurait conversé avec un vieil ami. Je n'ai pas retrouvé chez lui cet air sévère qu'on lui connaît à l'écran, seulement l'élégance de ses gestes.

Ces dernières années, M. Annaud est devenu le chouchou des médias chinois pour plusieurs raisons : il a enchaîné les Oscars ; il a réalisé L'Amant, adapté de l'autobiographie romancée de Marguerite Duras, un film qui avait révélé au monde la star hongkongaise Tony Leung Ka-fai ; et enfin, il s'est lancé en 2008 dans le tournage de l'adaptation du best-seller chinois Le Totem du Loup, entretenant à cette fin des échanges fréquents avec des cinéastes chinois.

Lors du IVe Festival international du film de Beijing, M. Annaud a révélé qu'après sept ans de préparation et de tournage, ce film sino-français était dorénavant en phase de postproduction. Il devrait sortir sur les écrans fin 2014.

Suivre la trace des loups jusqu'en Chine

Il y a dix ans, à sa publication, le roman non fictionnel Le Totem du Loup a suscité une vive discussion sur la nature de ce canidé à travers la Chine. Les quelques dizaines d'histoires à propos des loups rapportées dans le livre sont tirées de l'expérience de l'auteur Jiang Rong (Lü Jiamin de son vrai nom), qui dans sa jeunesse avait vécu dans les prairies de Mongolie intérieure à proximité de ces animaux. Et coïncidence : l'année où Jiang Rong prenait la route vers les campagnes mongoles, Jean-Jacques Annaud quittait la France, s'enrôlant dans les forces armées stationnées en Afrique. « Comme Jiang Rong s'est épris de la Mongolie intérieure, moi, je suis tombé amoureux de l'Afrique : des lieux différents, mais une expérience similaire », a commenté M. Annaud en souriant.

Dans ses films, M. Annaud accorde toujours une importance majeure au scénario. « Si l'on se penche sur l'histoire mondiale du cinéma, on découvre que les films d'exception sont tous singuliers. Peu importe leur pays d'origine, ils ont su charmer le cœur des spectateurs, chacun à leur manière. » La particularité de l'histoire, c'est ce que M. Annaud cherche à mettre au premier plan dans ses productions.

« La première fois que j'ai lu Le Totem du Loup, j'ai été tellement fasciné par l'intrigue, a-t-il indiqué. Depuis tout petit, je m'intéresse à la Chine, et notamment à la vie des habitants dans les hautes steppes mongoles. Ce livre est une vraie mine d'informations ! » Le Totem du Loup lui a non seulement fait découvrir des mystères du monde oriental, mais l'a aussi touché pour son appel à la protection environnementale. « L'harmonie entre l'homme et la nature est un concept sur lequel j'insiste toujours. C'est sur le continent africain que j'ai compris comment vivre en symbiose avec la nature. Ainsi, les idées écologistes défendues dans Le Totem du Loup sont très proches des miennes. »

En 2004, les studios Forbidden City Film Co. ont acheté, pour un montant d'un million de yuans, les droits d'adaptation cinématographique du roman, mais le début du tournage se faisait encore attendre. « Il est extrêmement difficile de tourner avec des animaux. Aucun grand réalisateur chinois n'était prêt à se mouiller, a signalé Zhang Qiang, directeur général de ces studios. C'est seulement en 2008, au moment où Le Totem du Loup a fait son apparition dans les librairies françaises, que Jean-Jacques Annaud a pris l'initiative de nous contacter. » M. Annaud a déclaré : « J'étais la seule personne capable de réaliser ce film! » Il insiste sur le fait qu'il a recouru à de vrais loups pour les différentes scènes, même si à notre époque, les effets spéciaux permettent de reconstituer virtuellement une meute en mouvement. « Nos films sont empreints de réalisme, a fait remarquer Xavier Castano, producteur qui travaille depuis de nombreuses années aux côtés de M. Annaud. Tourner un film avec de vrais animaux, c'est la spécialité de Jean-Jacques. » Que ce soit pour L'Ours ou Deux frères, M. Annaud adhère à une approche créative du « réel » et du « réaliste ».

Labeur et bonheur

Les préparatifs du film ont été aussi longs que difficiles. « Le loup est une bête sauvage, difficile à apprivoiser. Dresser un loup, ce serait comme dresser une langouste », a plaisanté M. Annaud. En préparation depuis 2008, les séquences de tournage n'ont débuté qu'en juillet 2012. Tout au début, les équipes sont parties à la recherche de loups à travers tout le pays. Après une stricte sélection, 35 ont finalement été retenus pour suivre des séances de dressage durant trois ans. Une fois domptés, ces loups, dont l'état sauvage avait tout de même été préservé, pouvaient répondre aux exigences du tournage. Malgré tout, il était impossible pour un loup d'assumer un rôle à lui tout seul. Il en fallait plusieurs se relayant.

« Je suis resté longtemps en Mongolie intérieure pour ce film, a rappelé M. Annaud. La prise de vues devait s'étendre sur les quatre saisons, et nous avons connu un hiver très rude, rythmé par les tempêtes de neige. Notre producteur a failli mourir de froid dans les montagnes. Nous n'arrivions pas à régler la mise au point sur nos caméras gelées. Par ailleurs, il n'était pas rare que nous escaladions plusieurs sommets au cours d'une même journée, en quête du décor idéal. C'est vraiment ce genre de film qu'on a l'occasion de faire qu'une fois dans sa vie. » Malgré les difficultés, M. Annaud ne peut cacher la joie qu'il a eue de réaliser ce long-métrage.

Afin de filmer les scènes impliquant hommes et loups, qui nécessitent une prise de vues rapide et efficace, la partie chinoise a envoyé une équipe brillante sur place. « Nous avions 30 éclairagistes et 20 techniciens d'équipement pour Le Totem du Loup. C'est la meilleure équipe que j'ai connue, a loué M. Annaud. J'ai beaucoup apprécié le tournage. Tout du long, on m'a laissé beaucoup de libertés pour développer mes idées. »

Au total, 480 personnes, dont huit étrangers seulement, ont travaillé sur cette coproduction sino-française, dans les steppes de Mongolie intérieure, proches de la frontière nord. En dépit du climat difficile et de l'altitude élevée, ces huit étrangers se sont vite acclimatés ; ils se sont très bien entendus avec le reste de l'équipe et ont même appris quelques mots de chinois. « J'étais très heureux d'être tous les jours là-bas avec mon équipe. Pour moi, c'est essentiel pour réaliser un film : si vous n'aimez pas votre équipe, il vaut mieux partir tout de suite », a conseillé le chef de file, M. Annaud.

L'essor du marché cinématographique chinois

Ces dernières années, le marché cinématographique chinois, en pleine croissance, est devenu le deuxième plus grand au monde, après celui de l'Amérique du Nord. Les coproductions entre la Chine et l'étranger, qui se sont multipliées, permettent au pays d'« introduire des ressources étrangères pour mieux sortir des frontières ». « Comme en France, la Chine a fixé un quota sur les films étrangers. Mais justement, les coproductions ont l'avantage de pouvoir contourner ces quotas et pénétrer les marchés chinois, français et européens sans restriction. De cette façon, Le Totem du Loup pourra jouir du même traitement que les films français en France et en Europe », a précisé M. Annaud.

Dans le contexte actuel de mondialisation économique, les coproductions bénéficient des échanges de capitaux, talents et technologies, des atouts permettant des gains maximums. « La France est une puissance cinématographique en Europe. Elle possède une riche expérience en matière de collaboration avec d'autres pays. Il existe même de nombreux fonds spéciaux dédiés aux films étrangers. En fait, beaucoup de longs-métrages chinois sont financés par des cinéastes français, a révélé M. Annaud. Je pense que ces procédés contribuent aux échanges cinématographiques sino-français ».

« Le marché chinois du film est entré "en éruption" ! Il attire de plus en plus l'attention, de sorte que beaucoup commencent à l'explorer progressivement. Tous les gens, d'où qu'ils viennent, s'accordent à dire que la Chine deviendra un géant du cinéma, tant en termes de succès dans les salles que de créativité. Je crois fermement en son potentiel d'innovation », a exprimé M. Annaud, confiant quant à l'avenir du marché cinématographique chinois. Et à ceux qui disent que le cinéma chinois ne triomphe pas au box-office, M. Annaud rétorque : « Je suis persuadé que dans le futur, ce marché se portera de mieux en mieux et se révèlera plus intéressant, plus professionnel et plus attractif. » Pourquoi tant d'optimisme ? « La demande sur ce marché est astronomique ! Les cinéastes chinois doivent simplement s'armer de patience. »

 

La Chine au présent

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