CHINAHOY

10-June-2014

Dans la grande famille de la Maison des Arts-Pékin

 

Un jeune visiteur regarde un oreiller de l'époque Song sur lequel est gravé un poème. (YU JIE)

 

SÉBASTIEN ROUSSILLAT, membre de la rédaction

Née d'un rêve et d'une rencontre entre amis, la Maison des Arts (ou YISHU8) est aujourd'hui une grande famille dont j'ai eu la joie de rencontrer quelques-uns des membres au cours d'une matinée détente en ses murs.

C'est dans l'ambiance rouge et cosy du salon Edmond de Rothschild, mécène de la Maison des Arts, que nous commençons ce dialogue en chinois et en français.

Dans la grande famille de la Maison des Arts, je voudrais la grand-mère !

« Je pense que l'idée de cette maison est venue de ma grand-mère. C'est la première fois que je dis ça, nous confie Christine Cayol, directrice de la Maison de Arts. Pour moi, ça vient de l'enfance quand on a un rêve. Quand j'allais chez ma grand-mère, j'avais le sentiment d'avoir une maison, d'être dans l'environnement où on pouvait se sentir bien, se sentir accueilli et où il y avait des jolis tableaux sur les murs. On y respirait un certain art de vivre. C'est certainement depuis cette époque là que je me suis dit que l'art devait rejoindre la vie. »

Je voudrais la sœur : Caroline, amie de Christine, la décoratrice du lieu

« Lorsque Christine s'est installée ici en Chine, au début, elle cherchait. Elle ne savait pas ce qu'elle allait pouvoir faire. Puis un jour, elle me raconte son rêve : "je rêverais de faire une maison dans laquelle pourraient se rencontrer les artistes, les étudiants, les amateurs d'art... Un lieu où les gens viendraient avec un ordinateur pour travailler sur une grande table. On aurait une bibliothèque, on pourrait montrer les travaux des artistes !" Je lui ai alors promis qu' on allait la créer ensemble ! Je nous considère un peu comme deux sœurs qui font de leurs rêves une réalité. »

Je voudrais le frère chinois : Max Xue

Directeur général de l'entreprise de développement culturel SHANG8, le discret partenaire chinois de Christine Max Xue ne tient pas en place. Il enchaîne rendez-vous sur rendez-vous, apparaît et disparaît lors de la rencontre. Christine me le présente avant qu'il ne revienne dans le salon :

« La création d'YISHU8 ou la Maison des Arts est le fruit de la rencontre avec Monsieur Xue. C'est ce qui fait la beauté du projet. Cette maison n'est pas un projet ni français ni chinois, c'est un projet franco-chinois, explique-t-elle. On s'est rencontré à la chinoise, sur un mode improbable, amical : il est venu chez moi, a rencontré mon mari et mes enfants. Je me suis dit : il est formidable, rapide, sympathique, ouvert et esthète. J'ai trouvé qu'il était assez étonnant et détonnant ! Par la suite, on est devenu amis, il venait régulièrement chez nous. Un jour on a décidé de faire ce projet ensemble. »

Une fois installé et bu une gorgée de café déjà refroidi à cause de ses allées et venues, Max Xue m'explique sa vision de ce projet.

« Je suis très intéressé par l'art, mais aussi par les espaces. Mon entreprise : SHANG8, est spécialisée dans la rénovation d'anciennes usines en loft, un peu style SOHO, pour offrir des espaces de travail à des créateurs designers et des entreprises. Cela fait plus de quinze ans que je fais ça. Quand nous nous sommes connus, Christine et son mari venaient de se marier et elle était enceinte. C'était il y a dix ans. Faire sa rencontre m'a permis de prendre de nouvelles directions. Je l'ai suivie dans ses envies, je lui ai fait confiance, tout comme elle m'a fait confiance. YISHU8 n'est pas une agence artistique donc nous ne cherchons pas l'intérêt. Ce que nous voulons, c'est faire une œuvre. »

« En plus, je trouve qu'elle a beaucoup d'élégance. Elle est très cultivée, et dans notre relation, elle me fait penser à une grande sœur. En Chine, la relation entre grande sœur et petit frère est très importante. J'ai cotoyé beaucoup de Français, mais ce que j'ai trouvé en elle, c'est un sentiment de familiarité plus fort. Ma mère était aussi professeur et Christine était professeur de philosophie. Je trouve que beaucoup de choses sont des coincïdences entre nous deux. »

« Ne pas recommencer ce que j'avais déjà réalisé en France »

Christine Cayol raconte son arrivée en Chine : « Quand je suis arrivée en Chine, je n'avais pas du tout envie d'y aller. C'est drôle et c'est une bonne leçon pour les personnes qui ont un peu peur de venir ici. Ce qui m'a amené, c'est l'homme avec qui je vis, et qui est un passionné de Chine. C'est lui qui m'a initiée, sensibilisée et fait découvrir. Je travaillais beaucoup en Espagne avant et la Chine ne me disait rien du tout. »

Elle poursuit : « Après réflexion, j'ai changé de façon de voir les choses : je venais ici pour vivre une aventure culturelle importante. Je me disais que je ne répèterais pas ce que je faisais en France : l'enseignement de la philosophie et mon entreprise de management. Mon idée c'était "je ne vais pas en Chine pour répéter ce que je sais faire, mais pour plonger dans du nouveau !" J'ai donc appris le mandarin, j'ai commencé à cotoyer des Chinois. On s'est installé dans un vieux hutong (ruelle) pour vivre au cœur de la vie chinoise, pas en expatriés. Puis il y a eu le déclic : un de mes livres a été traduit chez un éditeur chinois. Je suis par conséquent devenue une "lettrée". On m'a invitée à donner des cours et à participer à des évènements. C'est un peu grâce à cette traduction de mon livre Voir est un Art que je suis un peu sortie de ma discrétion et que je suis entrée sur la scène culturelle chinoise. »

Unanimité du côté chinois comme du côté français

« Comme moi, Max a investi à titre personnel. C'était une sacrée décision, parce qu'on est pas des grandes fortunes ! On a monté ce centre artistique avec l' entreprise de Max : SHANG8 qui fait du développement culturel en 2008. Puis on s'est lancé dans l'aventure, sans aucuns soutiens, sans études préalables. Quand nous avons ouvert YISHU8, on marchait en aveugle, sans rien vraiment savoir de ce qui allait nous arriver », explique Christine.

« On a réussi le pari de devenir un peu alternatif, un peu différent. À Beijing finalement, il n'y a pas de lieu très différent, très chaleureux. Pour les échanges franco-chinois, il n'y avait que l'Ambassade, l'Institut français. Mais faire des évènements là-bas a une autre connotation : c'est la représentation française. Ici on n'est ni en France ni en Chine, c'est un dialogue permanent, il n'y a pas de "maître des lieux". D'ailleurs, on laisse les gens pour compte dès l'entrée de la maison, il n'y a pas de guide, ni d'accueil, vous rentrez, vous baguenaudez, vous regardez, vous vous asseyez, parfois les gens restent la journée entière... » me fait remarquer Christine.

Max de son côté m'explique : « On est fier de pouvoir dire qu'on est le deuxième organisme qui fait des échanges culturels franco-chinois après l'ambassade de France et ils nous soutiennent beaucoup. Comme on n'est ni chinois, ni français, on arrive à faire l'unanimité. Même le décor est voulu comme ça. S'il n'y avait eu que Christine, je pense que le développement de ce lieu aurait été différent ; si cela n'avait eu que moi, cela aurait été aussi autre chose. Mais le fait que nous ayons travaillé ensemble, Chinois et Français, main dans la main, à créer ce centre d'art sino-français, nous avons atteint à un autre niveau.»

« Pour moi, quand j'ai commencé la rénovation de l'ancienne université franco-chinoise, j'ai voulu quelque chose de moderne, mais qui n'oublie pas son héritage historique, et quelque chose de français qui ne prenne pas le dessus sur le côté chinois du lieu, explique Caroline lorsqu'elle me parle du design du lieu. C'est pour ça qu'on a gardé des trucs vieux, on a laissé les cadres chinois des fenêtres, mais on a mis des tapis design, des canapés qui coupent l'espace au lieu d'être collés au mur ou en rond comme les Chinois le font. On a réutilisé des meubles traditionnels, mais on les agence différement de la manière chinoise. C'est un dialogue matériel, mais qui incarne vraiment l'esprit de la Maison. Je suis heureuse que ce lieu fasse l'unanimité autant du côté chinois que du côté français.»

Des évènements emblématiques passés...

Pour Caroline, c'est l'inauguration qui l'a le plus marquée : « L'ouverture après la rénovation pour moi symbolisait beaucoup de choses. On a reçu plus de 1 000 personnes ! Nous avons souvent des hôtes de marque tels que l'ambassadeur, les ministres de passage en Chine, monsieur Raffarin qui est notre conseiller. Et puis tous nos amis chinois et français qui viennent parce qu'ils se retrouvent dans ce lieu. Je pense qu'ils venaient fêter l'amitié franco-chinoise mais aussi le fait que ce lieu, un peu abandonné, retrouvait une âme. »

Max quant à lui estime que « le moment où l'on fait la première exposition d'un jeune artiste, qu'on lui permet de réaliser un rêve est emblématique de notre esprit : aider les jeunes talents à entrer sur scène, leur offrir un espace de création et de réalisation personnelle. Lorsqu'on a décerné le premier prix YISHU8 c'était très émouvant. »

...et à venir

Pour Christine, le moment emblématique sera le Chajiulun, « Dialogue sur le Thé et le Vin ».

« Je pense que l'un des moments marquants de YISHU8 cette année est l'inauguration du Dialogue sur le Thé et le Vin et tous les évènements qui vont suivre jusqu'au mois de juillet à Beijing. Je considère cela comme un moment fort, car c'est la première fois au monde qu'on fait vraiment dialoguer le thé et le vin, sous forme d'une exposition, d'un livre, d'un film et d'ateliers consacrés à la dégustation de ces deux boissons. Nous avons mis cela en place avec des professionnels mais surtout des passionnés ! Nous allons pouvoir admirer des collections de cristals de Baccarat prêtées par la fondation Edmond de Rostchild et de porcelaines chinoises prêtées par M. Ma Weidu. Le vignoble Calissane est également venu faire un atelier de dégustation, et une spécialiste chinoise du thé va nous faire découvrir le thé chinois et la culture qui s'en dégage. »

Elle ajoute : « Cet évènement faisant partie des commémorations du cinquantenaire, on ne le fait pas uniquement en Chine ici, mais aussi en France, à Paris aux Galeries Lafayette. C'est un dialogue entre nos deux cultures, qui dépassent les frontières matérielles et nous permet de nous rencontrer dans nos styles de vie, notre philosophie, notre relation avec la nature. Le vin et le thé, que ce soit en France ou en Chine, sont des boissons "symboles" et très liées à la création artistique de chacun que ce soit en France ou en Chine. »

« Pour symboliser cette rencontre, nous avons demandé à deux artistes, dont l'un est lauréat du prix YISHU8 d'imaginer "la machine du thé et du vin". C'est un peu une sorte d'utopie esthétique, de const

ruction, un alambic du dialogue et la rencontre, voir la fusion entre le thé et le vin et par extrapolation entre la Chine et la France », conclut-elle.

 

*Dialogue sur le Thé et le Vin : du 19 mai au 16 juillet à la Maison des Arts à Beijing, et du 3 décembre 2014 au 5 janvier 2015 aux Galeries Lafayette à Paris.

 

La Chine au présent

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