CHINAHOY

31-December-2013

Les échos d'un pianiste français avec la Chine

Le pianiste français Jean-Pierre Armengaud.

SÉBASTIEN ROUSSILLAT, membre de la rédaction

Jean-Pierre Armengaud, qui perçoit des notes communes entre la musique classique chinoise et la musique classique française, cherche à les faire découvrir respectivement aux publics français et chinois.

Il y a toujours une première fois. La première fois que furent créés le Concerto pour piano en Sol et le Concerto pour la main gauche de Ravel en Chine, c'était en 1995 à Shanghai, par un pianiste français : Jean-Pierre Armengaud. Il revient avec nous sur ses relations musicales avec la Chine.

Pour Jean-Pierre Armengaud, pianiste français spécialiste de la musique française impressionniste et moderne, certainement le premier pianiste français à avoir introduit la musique française en Chine, ce n'est pas un hasard si les compositeurs français de la fin du XIXe siècle et début XXe se sont tournés vers l'Asie pour y chercher de l'inspiration. C'est certainement par sympathie culturelle que la musique impressionniste française plaît également tant en Chine, malgré le peu d'exposition qu'elle a pu y avoir.

En effet, lorsque l'on parle de Debussy ou de Ravel, on entend revenir en échos des titres un peu orientaux tels que Poissons d'or, Laideronnette Impératrice des pagodes, Pagodes, Estampes, Reflets dans l'eau. Tous ces titres ont des résonances orientales pour ne pas dire chinoises. Le XIXe siècle, qui fut celui de l'orientalisme, laissa des traces dans la peinture, la littérature mais aussi dans la musique.

Jean-Pierre Armengaud, diplômé de l'École normale de musique Alfred Cortot et de l'Institut d'études politiques de Paris dans les années 60, entama, après des études avec le célèbre pédagogue russe Neuhaus à Moscou, une carrière internationale qui l'emmena dans plus de quarante pays. Sa carrière de diplomate en tant qu'attaché culturel aux ambassades lui fit également visiter la Suède, la Grèce et l'Allemagne. Diplomate au sens propre du terme, il fut aussi ambassadeur de la musique française à l'étranger. Il est très apprécié en Russie, en Allemagne, en Pologne et aux États-Unis notamment. Il possède une discographie de musique française parmi les plus complètes qui soient, et cela dans la plus pure tradition de la musique française car il était l'élève d'Yves Nat, lui-même interprète de Debussy et de Ravel reconnu mondialement.

Dans les années 90, à une époque où la musique classique chinoise – qui se différencie de la musique traditionnelle en cela qu'elle est notée sur partitions et pour des instruments occidentaux – n'était toujours pas très connue en France, Jean-Pierre Armengaud a fait le pari de créer un festival autour de la musique chinoise contemporaine. Il était alors directeur de la création musicale de Radio France.

À l'époque, se rappelle-t-il, les compositeurs ou interprètes chinois n'étaient pas très connus en France. Les « musiciens stars » chinois type Lang Lang, Li Yundi, Wang Yujia n'existaient pas encore. Les temps étaient moins ouverts aussi. Le Concerto du fleuve Jaune, œuvre majeure de la littérature classique chinoise pour le piano ne fut jouée en France que dans les années 60, par une élève chinoise, premier prix du Conservatoire de Paris. La musique chinoise était alors très discrète en France.

C'est à l'occasion de ce festival que Jean-Pierre Armengaud échangea avec Chen Qigang, un élève chinois d'Olivier Messian, compositeur français aujourd'hui reconnu, puisque c'est lui qui a écrit l'hymne pour les JO de 2008. Celui-ci présenta un peu la musique chinoise pour piano à Jean-Pierre Armengaud. Ce répertoire est surtout composé d'adaptations de morceaux traditionnels pour instruments chinois au piano. Puis il fut invité par le directeur du conservatoire de Shanghai à aller donner des concerts à Shanghai avec l'orchestre symphonique de la ville. Il y joua le Concerto en Sol et le Concerto pour la main gauche de Ravel. D'après les dires des musiciens de l'orchestre, c'était la première fois que ces œuvres étaient interprétées en Chine. S'ensuivit une série de master-class au conservatoire central de Pékin et des concerts à Taiwan.

S'imposer en Chine avec ce style pianistique si particulier à la musique française, toute en délicatesse, rondeur, clarté, humour et poésie, peut paraître difficile. Pourtant, Jean-Pierre Armengaud a pu se rendre compte que le public chinois aime beaucoup cette musique par une série de quatre concerts en 2006 à Gu Lang Yu, surnommée « l'île aux pianos », où plus de 3 200 spectateurs vinrent l'applaudir ainsi que lors d'une tournée de treize dates partout en Chine en 2011 dans le cadre du festival Croisements. Au début du XXIe siècle, la musique française est malheureusement très peu jouée en Chine, et peu de musiciens chinois ont fait leurs études musicales en France. Ce qui ne facilite pas l'introduction de ce style en Chine.

C'est véritablement une culture à découvrir pour les Chinois. De plus, d'après Jean-Pierre Armengaud, la musique de Ravel par exemple a beaucoup de similarités avec la musique chinoise. C'est une musique très mélodique, empreinte d'un néoclassicisme en même temps novateur et gardien d'une tradition, comme le veut la tradition chinoise. C'est une musique du suggestif, une musique qui comme la musique chinoise recherche l'équilibre et la précision. Toutes ces caractéristiques communes permettent à ces deux musiques de s'accorder.

D'après Jean-Pierre Armengaud, le monde de la musique classique est en train de se développer à très grande vitesse en Chine. Les théâtres se construisent un peu partout et les concerts se multiplient. Lors de ces tournées en Chine, il a ainsi pu jouer dans des salles entièrement neuves et sur des pianos également flambant neufs, ce qui est rare dans la vieille Europe.

La qualité des musiciens interprètes chinois s'est aussi beaucoup élevée, de sorte que l'on ne peut plus dire aujourd'hui qu'ils ne font que « copier » les grands. Pour ce qui est des pianistes, d'après Jean-Pierre Armengaud, la mode des pianistes virtuoses est en train de changer et les instrumentistes chinois prennent conscience de leur corps ainsi que de l'importance de l'expressivité et de la qualité du son.

L'atmosphère des salles de concert, elle, est très dynamique, expansive. « On sent que les gens viennent pour échanger, apprendre, s'émerveiller », dit-il. Le public, à l'inverse de l'Europe, est majoritairement composé de jeunes qui viennent car cela fait partie d'une éducation. « Même si la salle n'est parfois pas très concentrée, on sent une ferveur, une écoute attentive, remarque-t-il. Les gens viennent au concert pour découvrir, pour maîtriser conceptuellement quelque chose, voir, écouter et apprendre », conclut-il.

Même si la musique française passe souvent inaperçue à côté des colosses russes et allemands, elle a beaucoup à apporter en plaisir musical, en volupté et en poésie. C'est une musique très liée à un contenu culturel, qui pour Jean-Pierre Armengaud possède beaucoup de notes communes avec la culture chinoise. Les politiques françaises en matière d'influence culturelle à l'étranger sont très souvent axées sur les artistes modernes, très peu sur la musique classique, peut-être considérée comme un monde à part. Pourtant, c'est bel et bien une musique dont les Chinois ont envie, preuve en est la réussite des concerts de Jean-Pierre Armengaud : trois tournées en Chine, plus de vingt dates, des salles toujours pleines, des bis à n'en plus finir... Et comble de l'amitié, Jean-Pierre Armengaud joue souvent en rappel les morceaux chinois qu'il apprécie, gage du respect profond qu'il porte à la musique chinoise et preuve du dialogue possible entre ces deux musiques.

 

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