CHINAHOY

31-December-2013

Du Cerf-volant au Totem du loup

Réalisée par Jean-Jacques Annaud, la coproduction sino-française Le Totem du loup sortira fin 2014. (CFP)

 

HU YUE, membre de la rédaction

La Chine et la France possèdent toutes deux une longue histoire et une riche culture. Malgré les différences culturelles entre les deux pays, les Chinois autant que les Français ont toujours été fascinés par la culture de l'autre, précisément à cause de ces différences. Les films sont un moyen de faire découvrir et comprendre la culture d'un peuple, un fait d'autant plus vrai entre ces deux pays passionnés de cinéma.

Un cerf-volant franchit deux pays

En 1958, la Chine nouvelle a réalisé son premier film en coproduction : Le Cerf-volant du bout du monde. Ce film franco-chinois ayant pour thème l'aventure et la jeunesse, a été coproduit par le Studio cinématographique de Beijing et la société française Garance Films, et a été réalisé par deux hommes de talent, le réalisateur français Roger Pigaut et le réalisateur chinois Wang Jiayi. Ces deux artistes, tous deux âgés de 39 ans à l'époque, ont écrit ensemble une page mémorable dans l'histoire des films franco-chinois.

À cette époque, le monde était en pleine guerre froide et personne ne se doutait que six ans plus tard, en 1964, la Chine et la France allaient établir des relations diplomatiques. Mais depuis 1956, la Chine nouvelle était dans une phase politique d'assouplissement, et le milieu culturel bénéficiait de l'air frais de la campagne des Cents fleurs qui clamait que « cent écoles rivalisent ». Grâce aux recommandations du réalisateur hollandais Joris Ivens, Roger Pigaut, réalisateur français de gauche, a établi la première coopération avec un réalisateur de la Chine socialiste, Wang Jiayi. Les deux hommes ont réussi à surmonter le fossé idéologique pour créer un film riche en imagination, humanisme et romantisme.

Le film a pour objet central un cerf-volant en forme de Sun Wukong (Sun Wukong, aussi appelé « Roi des singes », est l'un des personnages de fiction les plus célèbres de la littérature chinoise classique, héros du roman Le Voyage en Occident) qui a volé de Beijing à Paris. Trois enfants, Pierrot, sa sœur Nicole et leur ami Bébert le trouvent, avec une lettre y étant attachée. Après s'être fait traduire la lettre, ils apprennent que ce cerf-volant appartenait à un garçon chinois nommé Song Xiaoqing, et que celui qui trouverait ce cerf-volant pourrait devenir son ami. Alors, avec l'aide de Sun Wukong, les trois enfants français partent à Beijing à la recherche du propriétaire de ce cerf-volant. Le film présente, à travers le regard de ces trois enfants, le charme de la culture chinoise (la Cité interdite, le tramway dans les rues ou les marionnettes de Zhu Bajie portant sa femme sur son dos (Zhu Baijie est un cochon anthropomorphe, personnage de la mythologie chinoise décrit dans Le Voyage en Occident). Ce film fait bien ressentir les différences culturelles entre la Chine et la France, ce qui a suscité l'intérêt profond des enfants des deux pays.

De nombreuses années plus tard, en 2003, lorsque Vincent Pérez, vedette francophone, a visité la Chine pour présenter son nouveau film Fanfan la Tulipe, il a raconté : « Ma première impression de la Chine me vient du film Le Cerf-volant du bout du monde que j'ai regardé dans mon enfance. Depuis lors, j'ai toujours rêvé d'aller dans ce beau pays et de visiter la Chine. »

Ce film coproduit est exceptionnel, non seulement de par son concept de base, mais aussi de par la façon dont il est filmé, de par sa forme artistique et de par son scénario. Par rapport au contexte géopolitique mondial de l'époque, ce film recherchant la communication interculturelle a attiré l'attention des gouvernements des deux pays. Pendant le tournage, Zhou Enlai, premier ministre chinois de l'époque a visité le lieu du tournage et rencontré les comédiens. Ce film a obtenu des récompenses et les faveurs du public, aussi bien en Occident qu'en Orient. Il a remporté des prix aux festivals de Cannes et de Karlovy Vary.

Pendant le Festival international du film de Beijing en 2013, le film Le Cerf-volant du bout du monde a été encore une fois projeté. Il fait partie de la « mémoire de Beijing », présentant l'ancienne ville de Beijing plus d'un demi-siècle en arrière, et rappelle la période de l'histoire où la Chine cherchait la communication culturelle avec le monde.

La reconnaissance mutuelle

La Chine et la France sont des pays fiers de leur culture et occupent aussi des places importantes dans l'histoire du cinéma et dans son industrie contemporaine. D'un côté, les films chinois attirent depuis longtemps l'attention des spectateurs français. En 1993, le film Adieu, ma concubine de Chen Kaige a reçu la Palme d'or du Festival de Cannes, une première pour un film chinois. Zhang Yimou, autre célèbre réalisateur chinois, à l'instar de Chen Kaige, a reçu de la France la médaille de Commandeur de l'Ordre des Arts et des Lettres (le plus grand honneur pour un cinéaste) grâce à plusieurs films de haut niveau artistique. En 2009, Jia Zhangke a lui aussi reçu les insignes d'Officier de l'Ordre des Arts et des Lettres en récompense de son œuvre cinématographique. Ce réalisateur chinois qui aime filmer la vie des Chinois ordinaires est très apprécié de la critique française, c'est pourquoi ses films ont été inclus plusieurs fois dans la liste des dix meilleurs films de l'année, publiée par Les Cahiers du Cinéma. D'autres artistes chinois tels Gong Li, Wang Xiaoshuai, Jiang Wen ou Liu Ye ont également reçu une médaille de l'Ordre des Arts et des Lettres.

D'un autre côté, les réalisateurs français attirent toujours de nombreux spectateurs chinois, et ce depuis plusieurs décennies. François Truffaut, Luc Besson, Jean-Pierre Jeunet ou Christophe Baratier, pour ne citer qu'eux, ont présenté aux spectateurs chinois non seulement la nouvelle vague, mais aussi le post-modernisme, le romantisme français, ainsi que des films commerciaux capables de concurrencer Hollywood.

Pendant les années 1970 et 1980, la Chine a diffusé beaucoup de films français comme Zorro, Notre-Dame de Paris, La Grande Vadrouille, etc. Les Chinois ont été séduits par l'héroïsme, le romantisme et l'humour à la française. Tong Zirong, qui faisait le doublage voix du personnage de Zorro, est devenu une vedette auprès des femmes chinoises de cette époque.

Dans les années 1990, la trilogie Trois couleurs : Bleu, Blanc, Rouge explore successivement les trois termes de la devise de la France : Liberté, Égalité et Fraternité. Ces trois films ont encore une fois fasciné les Chinois. Léon et Le Cinquième Élément ont présenté aux Chinois des histoires et une qualité de production comparables aux films hollywoodiens. Le fabuleux destin d'Amélie Poulain et Le Papillon ont mis en lumière le style de vie des Français et leurs vies paisibles.

Depuis des décennies, différentes générations d'acteurs français conquièrent le cœur des Chinois grâce à leur charme spécial. La jeune Sophie Marceau dans La Boum, les yeux tristes de Juliette Binoche dans Bleu, l'air tendre du grand Jean Reno, ont profondément marqué les spectateurs chinois. Les films français se sont enracinés dans le paysage cinématographique chinois et ne manquent pas d'amateurs et de disciples. Cette dernière décennie, la chaîne cinéma de CCTV a diffusé de nombreux films français que les téléspectateurs chinois ont pu apprécier de chez eux.

Les échanges cinématographiques aujourd'hui

Le 13 mai 2013, le Festival du cinéma chinois en France s'est déroulé à Paris pour la troisième année. Durant ce festival, onze films chinois produits ces dernières années ont été présentés aux spectateurs français. D'autres festivals sont également organisés afin de présenter au public français des films chinois, dont les nombreux qui ont été produits avant l'établissement de la Chine nouvelle, en 1949. Il convient de mentionner deux autres festivals organisés par l'Association du cinéma et des artistes français : le Festival Shadows et Les Écrans de Chine. Ces deux festivals se focalisent sur le cinéma indépendant chinois et les documentaires, afin de présenter la diversité de la Chine.

Cette année, a été organisée dans six villes chinoises la dixième édition du Festival du cinéma français en Chine, ainsi que la Semaine du cinéma français, qui a tenu une place importante dans le cadre du 12e Festival du cinéma des étudiants de Beijing. Par ailleurs, l'Institut Français en Chine a beaucoup œuvré à la promotion des échanges sino-français en matière de cinéma. Dans les grandes villes comme Beijing ou Shanghai, cette organisation a projeté sur écran géant de nombreux films français, classiques ou contemporains. Aujourd'hui, les échanges entre la Chine et la France en matière de cinéma ont atteint un niveau inédit.

De plus, la coopération entre les deux pays dans ce domaine a passé un cap, et ces derniers sont déjà engagés sur l'autoroute de la coopération. Si Le Cerf-volant du bout du monde, il y a plus de 50 ans, avait franchi le fossé politique, aujourd'hui c'est la demande du marché qui pousse les cinéastes des deux pays à coopérer.

En mai 2012, le film artistique 11 fleurs de Wang Xiaoshuai, célèbre réalisateur chinois, a été projeté au même moment en Chine et en Europe. En tant que coproduction sino-française, ce film a réussi à pénétrer le marché européen. Ce film avait pu être achevé avec succès grâce au soutien du Fonds national de France. Si ce film n'avait pas été coproduit avec une société française, il aurait été difficile, en tant que film artistique, de pénétrer le marché européen, mais aussi le marché chinois. En avril 2010, l'Accord de coproduction cinématographique sino-français a donné cette chance à Wang Xiaoshuai, et 11 fleurs est devenu le premier film ayant bénéficié de cet accord. Son tournage a été mené par une équipe chinoise, et la postproduction a été prise en charge par une équipe française à Paris, où ont été faits le montage, le doublage, etc. Wang Xiaoshuai a déclaré : « La coproduction a réalisé le modèle gagnant-gagnant. Mon film a gagné non seulement l'attention à l'intérieur du pays, mais a aussi obtenu le soutien du côté français pour frapper à la porte de l'Occident. »

Avec un investissement de 700 millions de yuans et deux ans de préproduction, le tournage du film Le Totem du loup a commencé en juin 2013. Feng Shaofeng, star du cinéma chinois, tient le rôle principal dans ce film de Jean-Jacques Annaud, célèbre réalisateur français. Le tournage devrait s'achever dans un an, dans les prairies de Mongolie intérieure, avec des meutes de loups. Ce film est inspiré du roman du même nom, très populaire en Chine. Le réalisateur possède déjà une grande expérience de tournage avec des animaux après avoir réalisé les films Deux frères et L'Ours. Comparé à 11 fleurs, Le Totem du loup a attiré l'attention du public. Sa sortie en salles est prévue en 2014, et le film devrait concourir pour les Oscars en 2015. Si ces objectifs sont atteints, cela marquera une grande victoire pour le système de coproduction de films sino-français. Deux autres films coproduits, dont le casting comprend de nombreuses stars, sont actuellement en tournage : Lady in the Portrait et Seek McCartney. La coopération sino-française en matière de cinéma est sur la bonne voie ces dernières années.

Mme Frédérique Bredin, responsable du département international du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), a bien défini les processus de coproduction. L'équipe de tournage est formée par les deux parties. La France finance le film à hauteur de 20 %, puis le tournage peut débuter. Une fois achevé, le film sera diffusé en France comme les autres productions nationales et jouira du même traitement en Chine. Mme Bredin a aussi présenté la politique avantageuse dont profitent les films tournés en France. Un film étranger dont le tournage est effectué en France pendant plus de 5 jours avec un investissement total supérieur à 1 million d'euros peut bénéficier d'une réduction d'impôt de 20 %.

Aujourd'hui, la France produit en moyenne plus de 200 films par an, dont plus de 100 en coproduction. Il y a donc encore une grande marge de progression pour la coopération cinématographique entre les deux pays. Kong Quan, ancien ambassadeur de Chine en France a mentionné pendant le 3e Festival du cinéma chinois en France : « La diversité culturelle est le plus grand point commun des cinémas français et chinois. Sur cette base-là, si les deux pays renforcent leurs échanges, particulièrement en matière de coproduction, les peuples des deux pays se connaîtront de mieux en mieux. »

 

La Chine au présent

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