CHINAHOY

4-May-2016

Buller à Suzhou

 

Suzhou est surnommée la Venise chinoise à cause de ses canaux qui quadrillent toute la ville. (Photo par SÉBASTIEN ROUSSILLAT)

 

La ville de Suzhou dans l'Est de la Chine, à côté de Shanghai, est connue en Europe comme la « Venise chinoise ». Ville de canaux et de jardins, Suzhou enchante par son raffinement et le calme de ses ruelles au bord de l'eau, de ses jardins centenaires où poètes et peintres chinois de l'Antiquité profitaient de la douceur du climat.

SÉBASTIEN ROUSSILLAT, membre de la rédaction

Suzhou est une des plus anciennes et plus importantes villes historiques chinoises. Fondée par le roi Helü du royaume de Wu pendant l'époque des Royaumes combattants, elle compte plus de 2 500 ans d'histoire. À l'époque des Song (960-1279) elle était la deuxième plus grande ville de Chine après la capitale Bianliang. Un proverbe chinois la décrit avec sa voisine Hangzhou comme un « paradis sur Terre ».

Suzhou est une des seules villes chinoises qui ait conservé son organisation urbaine héritée de l'Antiquité : un carré entouré de remparts, entrecroisé de rues et de canaux à la mode d'un camp romain.

Le voyageur Marco Polo en fait une description très exagérée dans son récit de voyage où il déclare que la ville compte 6 000 canaux (elle n'en compte en réalité qu'une grosse centaine).

Ses canaux, ses maisons traditionnelles aux murs blancs et aux tuiles noires typiques du Jiangnan (région du sud du Yangsté) lui ont conféré le titre de « Venise chinoise ». La plupart des canaux de Suzhou sont doublés sur leur rive d'une allée pavée et abritée par des saules.

Reliée au Grand Canal, la ville était un carrefour commerçant très important entre Beijing et Hangzhou et la plaque tournante de la soie chinoise à l'époque Song où le brocart était produit dans la ville. Aujourd'hui, le Grand Canal ne fonctionne plus, mais le TGV Beijing-Hangzhou permet toujours de faire le trajet en cinq heures depuis la capitale pour un week-end. Trois ou quatre jours suffisent pour visiter cette petite ville où le temps semble être comme ralenti.

 

Concert de guzheng (cithare chinoise) dans un des nombreux jardins de Suzhou.

 

Au bord de la rivière calme

À Suzhou, les rues s'appellent des jie ou des xiang à la différence de Beijing où celles-ci sont appelées hutong et sont nettement plus larges. L'Auberge du Pont, où nous avons posé nos valises se situe dans Niujia Xiang (rue de la famille Niu) au bord du canal de Pingjiang (la rivière calme).

Les pavés devant l'entrée de l'auberge, le hall dallé d'ardoises, l'architecture si typique du Jiangsu, l'odeur de l'encens au santal dans la pièce de réception dépaysent et apaisent. L'Auberge du Pont est installée dans une antique maison datant du milieu des Qing (1644-1911). Dans la courette à l'entrée, du bambou, des bonzaïs, des pierres ornementales. Chaque cour de l'auberge est paysagée et a un thème différent : jardin des bambous, jardin des azalées, jardin des pêchers.

Les chambres sont agencées dans le style traditionnel Qing et du sud de la Chine : rideaux en tissus indigo, lit à baldaquin avec moustiquaire et tout le confort moderne : douche et même baignoire-baquet en bois à la japonaise. Un bon moyen de faire un petit voyage dans le temps et de se dépayser tranquillement en sirotant le thé offert par la maison au bord de la fenêtre, en écoutant tomber la pluie dans la cour au rez-de-chaussée.

À la sortie de l'hôtel, la rue Pingjiang qui longe le canal du même nom et remonte au nord vers le jardin Zhuozheng ou en français, le « jardin du Modeste administrateur ». Entrecoupée de petits ponts où l'on peut admirer les canaux perpendiculaires à la rivière Pingjiang, la rue est remplie de petites échoppes et de restaurants où l'on peut acheter du thé Biluochun, spécialité de Suzhou et de la région du lac Tai ou encore de la confiture de fleurs d'osmanthe.

On peut également s'arrêter dans un restaurant le long du canal pour manger quelques guantangbao (raviolis ronds cuits à la vapeur), ou encore du crabe d'eau douce ou du poisson découpé en forme d'épis de maïs.

À certains endroits le long du canal, on peut également emprunter un sampan pour voguer sur les eaux au son du « sampanier » qui égaie le voyage de chants traditionnels de Suzhou. Comme à Venise, mais en Chine.

Dans une des ruelles perpendiculaires à la rue Pingjiang, on peut visiter le musée du Kunqu, opéra local à l'origine en partie de l'opéra de Pékin, et véritable institution régionale. On peut également s'arrêter dans une maison de thé au bord de l'eau le soir pour écouter du pingtan, qui est une sorte de spectacle de contes chantés.

 

La pagode penchée de la colline du Tigre : le symbole de Suzhou. (Photo par SÉBASTIEN ROUSSILLAT)

 

Des oasis de calme en plein cœur de la cité

Le climat très doux et pluvieux de Suzhou en fait un paradis pour les plantes. Depuis l'Antiquité, de riches officiels ou commerçants s'y sont installés et y ont créé des jardins dans leurs luxueuses résidences. Aujourd'hui, on en compte environ une dizaine ouverts au public, dont les plus connus est le jardin Zhuozheng « le jardin du Modeste administrateur », le jardin Wangshi « le jardin du Pêcheur », Shizi Lin « le jardin de la Forêt du lion » et Canglang Ting, « le jardin du Pavillon des vagues glauques ». Ils sont tous situés à l'intérieur de la vieille ville. Les jardins Liuyuan et Dingyuan, situés à l'Ouest de la ville près de la colline du Tigre sont également à voir.

Le jardin du Modeste administrateur est l'exemple type du jardin Ming. Il a été créé vers 1510 par Wang Xianchen, un officiel chinois ayant décidé de partir à la retraite. Le jardin incarne son souhait de retour à la nature et à la simplicité. « Modeste » l'administrateur ? Pas vraiment, car le jardin occupe tout de même une superficie de près de cinq hectares…

Le jardin actuel, composé d'une partie champêtre à l'entrée du parc à l'Est, d'une partie lacustre avec des îles paysagées au centre et d'un mini-jardin avec des montagnes ornementales. Un jardin de bonsaïs dans son extrémité occidentale est le résultat de centaines d'années d'aménagement et de remaniements. Son aspect général, organisation et architecture, est typique des jardins de la fin des Qing.

Le jardin du Pavillon des vagues glauques est, en comparaison avec le jardin du Modeste administrateur, plus intimiste. C'est un jardin de lettré qui trouve son inspiration d'un vers des Élégies des Chu : « Je lave mon chapeau et mes pieds dans l'eau des vagues glauques ». C'est le lettré Su Shunqin, qui achète ce jardin à l'abandon en 1044 et décide de s'y retirer après avoir été limogé. Construit comme une île au milieu des eaux, c'est un endroit parfait pour y vivre tranquille et reclus. Le jardin est composé d'une grande montagne ornementale qui bouche la vue sur le jardin à l'entrée et au sommet de laquelle est installé un pavillon dont les colonnes et les poutres sont en pierre, ce qui est très rare en Chine (d'habitude, les pavillons sont en bois). Une partie comprenant des bâtiments datant des Qing et du début de la République de Chine est imbriquée dans plusieurs jardins assez petits, remplis de bambous, de camphriers et de magnolias. Une mare, aux eaux glauques, située en contrebas de la montagne ornementale rappelle le poème dont le jardin tire son nom. Celui-ci est l'archétype du jardin de lettré de l'époque Song.

Le jardin Liuyuan, l'un des plus vastes de Suzhou, est situé à la périphérie de la ville, à quelques encablures de la colline du Tigre dans ce qui était autrefois la campagne hors-les-murs, et regroupe toutes les caractéristiques des jardins chinois : bâtiments imbriqués dans des montagnes d'ornement, mini-courettes agrémentées de bambous et autres pierres bizarres recouvertes de vigne vierge ou de chèvrefeuille, fenêtres trompe-l'œil créant comme des paysages encadrés avec la vue sur le jardin derrière. C'est un condensé du meilleur de ce qui se fait en matière de jardin chinois et des styles paysagers de toutes les époques. On y trouve plusieurs lacs entourés de pavillons rappelant ceux du jardin du Modeste administrateur, une partie champêtre héritée du poème Retour à la Nature de Tao Yuanming. Au nord, un jardin de bonzaïs et de pierres étranges avec une grande montagne ornementale rappelant celle du jardin des Vagues glauques. L'organisation générale du jardin, quelque peu labyrinthique, dans laquelle s'intègrent bâtiments, éléments paysagers et plantes pour créer une parfaite harmonie artificielle, fait penser au style du jardin du Pêcheur.

Ce dernier, assez modeste et pas très couru, est intéressant car il a été la demeure du peintre chinois Zhang Daqian pendant sa jeunesse et avant son départ pour Taiwan. C'est un jardin d'artiste, son échelle ne rivalise avec aucun des autres jardins mais son raffinement est un exemple de ce que le style des jardins de Suzhou fait de plus exquis. La glycine qui orne la montagne ornementale au bord du bassin central et qui embaume toute la cour a 250 ans. Le jardin des pivoines avec sa rocaille en rond autour de laquelle on peut tourner pour admirer les fleurs à hauteur d'homme est luxuriant.

Dans une cour sur le côté occidental du jardin, on trouve le cabinet dans lequel travaillaient Zhang Daqian et son frère. Ils y élevaient également un tigre, dont la tombe est située dans cette cour.

Le jardin de la Forêt du lion n'a lui, malgré son nom, jamais accueilli de félin. Il tire son nom de l'histoire de son créateur : un dignitaire bouddhiste de l'époque Yuan, dont le feu maître avait trouvé l'éveil près de la Falaise du lion sur le mont Tianmu. Celui-ci a donc créé un temple avec une forêt ou un jardin pour y méditer : la Forêt du lion. D'autres expliquent ce nom un peu mystérieux par le fait qu'une des pierres étranges qui ornemente le jardin fait penser à un lion qui rugit. Le jardin était très apprécié par l'empereur Qianlong qui y fit plusieurs passages lors de ses visites dans le sud de la Chine. Il nomma même un des pavillons dans le jardin : le pavillon Zhenqu.

Après plusieurs passages de main, le jardin est acheté par Bei Runsheng à la fin de la dynastie Qing. Bei Runsheng est un commerçant shanghaïen fortuné, et le grand-père de Ieoh Ming Pei, l'architecte de la pyramide du Louvre et du Musée de Suzhou.

Pour terminer la visite de la ville par une note plus contemporaine et revoir un peu de tout ce qui fait l'âme de Suzhou d'un autre œil, une visite au musée conçu par Ieoh Ming Pei, enfant du pays qui a su incorporer une touche contemporaine au style de Suzhou dans les bâtiments et l'organisation du jardin du musée, conclura ce voyage dépaysant et relaxant dans la Venise chinoise.

 

 

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