CHINAHOY

5-April-2016

Taizhou, ville d’eau et de médicaments

 

La rivière Fengcheng à Taizhou.

 

Mission découverte à Taizhou, dans le Jiangsu, la ville où la tradition médicale ancienne rencontre la science pharmaceutique mondiale qui s'établit là pour la recherche et la production. Récit.

CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction

Lorsqu'on m'a dit que je devais me rendre à Taizhou, le plan initial était de prendre l'avion jusqu'à Shanghai... Mais j'ai été ravi d'apprendre qu'en fait le train avait été privilégié pour notre délégation. Pas de trajet épuisant jusqu'à l'aéroport, pas d'attente interminable à l'embarquement, pas de fouille détaillée : on passe les valises au scanner, une dernière vérification des billets, et c'est parti.

Le TGV, c'est la géographie mise en pratique... À peine une heure après notre départ de Beijing et sa campagne semi-aride, apparaissent des canaux, on voit des petites pousses de blé d'hiver dans les champs, encore un peu et on voit défiler des arbres déjà en feuilles... Passé Jinan, le paysage s'anime un peu, des monts et des rivières longent la voie.

Le TGV chinois est plus large que le français. On est loin ici des petits sièges étriqués de notre deuxième classe ! Ici, ce sont deux fauteuils larges et profonds de chaque côté de l'allée centrale, on peut allonger les pieds, incliner (un peu) le dossier... Je suis allé voir par curiosité le compartiment business-classe : un décor carrément futuriste, des sièges de forme ovoïde, éloignés les uns des autres, des banquettes qui peuvent s'allonger à l'horizontale, la lampe de lecture et les magazines de luxe... Je me demande si le compartiment est connecté au wifi ? Renseignement pris, c'est le cas mais en 1ère classe uniquement, comme en France.

Le service à bord n'a rien à voir avec celui qu'on connaît chez nous, qui se limite au contrôle des billets et à des invitations périodiques à la voiture-bar où « vous pourrez déguster, à des prix astronomiques, nos excellentes nourritures lyophilisées. »

Ici, des consignes détaillées s'égrènent après chaque arrêt, avec une voix féminine et une autre masculine qui se succèdent, s'enchaînent et se répondent : mises en garde de santé et de sécurité ; indications relatives à l'usage des toilettes ; rappel de l'interdiction de fumer, y compris dans les toilettes ; nom du prochain arrêt et rappel de la présence d'un écart entre le marchepied et la plateforme ; suivent des consignes de courtoisie relatives à l'usage des portables, quelques points-clé du règlement des chemins de fer. Avec à chaque fois de solennels remerciements pour notre coopération... Sans compter les mielleuses félicitations et remerciements, aux passagers que le personnel de bord est si fier et ravi d'accueillir et qu'il fait vœu de servir dans toute la mesure du possible... Rebelote en anglais, évidemment.

Des hôtesses en costume mauve de la SNCC passent toutes les cinq minutes en un ballet parfaitement réglé : une première s'assure qu'aucune sangle ou courroie ne pend du compartiment bagages et réajuste ce qui dépasse ; deux avec un chariot pour distribuer des bouteilles d'eau ; les deux suivantes viennent s'assurer, avec leur plus beau sourire, que chacun est bien à la place correspondant à son billet ; elles sont suivies d'une vendeuse de friandises qui propose aussi des boissons chaudes. Toutes les 10 minutes, balai et balayette à la main, une préposée chargée de la propreté de la voie centrale ramasse les miettes, papiers ou étiquettes épars. Un peu plus tard, ce sont les repas en barquettes sous vide qui sont distribués, comme dans l'avion. Puis les hôtesses reviennent avec de gros sacs poubelle pour récupérer les déchets. Sans compter les petites patrouilles régulières sans but précis, histoire de s'assurer que tous les passagers sont là, sains et saufs et de bonne humeur.

 

Un wagon du TGV chinois.
 

Le thème du voyage était « la médecine chinoise entre histoire et modernité » et effectivement, en compulsant la brochure qui détaillait les réjouissances on pouvait constater qu'une visite de l'hôpital MTC était au programme le matin, suivi d'une autre visite vers la zone d'activités et de recherches pharmaceutiques de Taizhou pour l'après-midi, avant de conclure par une ballade nocturne dans le centre-ville historique.

Passons sur la logistique, l'hôtel et autres salamalecs : notre bus fonce et nous emporte vers l'hôpital MTC. Quand je dis fonce, c'est parce qu'à chaque carrefour, un policier posté fait passer le feu au vert exprès pour nous, et le conducteur ne fait donc pas un seul arrêt entre l'hôtel où sont restées nos affaires et le point d'arrivée.

On est reçus dans un joli siheyuan traditionnel avec panneau de maçonnerie gravée, murs de brique grise et toiture traditionnelle aux coins qui rebiquent. La cour intérieure est garnie de bouquets de bambou et de petits arbres fruitiers, de beaux cadres de fenêtre en bois sculpté ornent les fenêtres. Tout un complexe qui sert aujourd'hui de musée de la médecine chinoise traditionnelle, comme nous l'explique le guide en nous ouvrant la première salle où s'étalent panneaux explicatifs et instruments médicaux, potions et onguents dans des pots de terre cuite, flacons de porcelaine et étuis de bambou. Les portraits des 8 médecins, tous plus éminents les uns que les autres, qui se sont succédé à la tête de l'établissement, garnissent les murs, et l'on sent flotter dans l'air un petit parfum d'encens. Notre groupe remplit la salle et les smartphones entrent en action pour immortaliser l'atmosphère très particulière de ce lieu chargé d'histoire et d'histoires.

Nous sommes dans l'ancienne maison du docteur Wu Shiji qui y a fondé un hôpital voici 160 ans. Praticien réputé, adoré de ses patients, respecté de ses confrères, il a passé 50 ans à la tête de l'établissement qui est devenu la référence en matière de soins médicaux dans la ville. Lorsqu'il prit sa retraite, c'est le docteur Yao qui a pris la succession. Les recherches de ce dernier, nous explique-t-on, se sont portées sur les points de convergence entre médecine chinoise traditionnelle et médecine occidentale apportée par les missionnaires jésuites. On voit aux murs et derrière des vitrines les instruments employés, depuis les aiguilles de pierre de l'acupuncture antique jusqu'aux potions et extraits rangés dans des petites fioles transparentes.

Mais ce n'est pas qu'un musée : cet établissement est le centre vivant de la médecine traditionnelle, puisque le reste des pièces et des cours est dédié au traitement de patients. La première salle est celle où l'on consulte le médecin généraliste qui va, en quatre étapes wang-wen-wen-qie (望闻问切, c'est à dire observer, sentir, questionner, prendre le pouls), dresser un diagnostic et mettre au point votre parcours thérapeutique. Car entre acuponcture, massages, moxibustion, ventouses, sangsues, décoctions et autres thermothérapies, l'éventail des traitements est large.

Ce patient souffre du dos. Après un bref conciliabule avec le docteur en blouse blanche, celui-ci lui indique un tabouret où il prend place, torse nu. Le docteur marque quatre points au stylo sur les omoplates et le long de la colonne vertébrale du patient, qu'il désinfecte et pique ensuite à l'aide d'une seringue en expliquant au patient la démarche. Une odeur camphrée emplit la pièce et le docteur s'empare maintenant de quatre ventouses qu'il applique sur ces points à l'aide d'une petite pompe manuelle. Les appareils photo se déchaînent alors qu'un liquide rosâtre suinte des pores du patient pour venir s'accumuler au fond des ventouses transparentes. Après quelques minutes de ce régime, le praticien retire les ventouses, effectue un rapide massage du dos du patient qu'il panse ensuite en poursuivant ses explications sur la conduite à tenir pour éviter les douleurs à l'avenir.

Dans le cabinet suivant, trois patients sont allongés sur des lits, branchés à des perfusions. La lumière est tamisée, chacun pris en charge par une infirmière, les trois supervisées par un médecin qui note des informations dans un grand cahier. Ces patients, nous apprend-on, souffrent d'un spasme facial qui est traité par des aiguilles... dans les mollets et les pieds. L'une des infirmières fixe des petites boulettes de fibre sur ces aiguilles, avant de les enflammer, on les voit alors se consumer dans la pénombre, la fumée monte en volutes vers le plafond, une curieuse odeur d'encens, de plus en plus forte, se répand. Une fois de plus les appareils crépitent mais les touristes s'échappent vite vers le cabinet suivant lorsque l'atmosphère devient trop irrespirable.

On poursuit avec le service pédiatrie. Ici, il s'agit de traiter par des massages du cou des bébés de 12 à 18 mois souffrant d'une atrophie musculaire... un traitement quotidien qui s'étale sur 6 mois et donne, nous apprend-on, de bons résultats. Il en coûte 72 yuans par séance, ce qui n'est pas donné, mais pourtant moins cher et plus efficace qu'une opération chirurgicale, toujours délicate à cet âge tendre. Les petits patients ne savent plus où donner de la tête entre les grands-parents accompagnateurs qui les cajolent, les médecins qui les traitent et les touristes qui leur font des risettes.

Une visite qui se conclut par un exposé par le docteur Wang, actuel directeur de l'hôpital et lui aussi formé aux rudiments de la science médicale occidentale en plus de la MTC. Son exposé passe rapidement sur les origines millénaires de la médecine traditionnelle, sur les premiers écrits chinois connus qui sont justement des traités médicaux, et vieux de plus de 3 000 ans. « La médecine chinoise s'attache à l'étude de l'humain comme un tout plutôt qu'à l'analyse de ses parties, explique-t-il. D'autre part elle s'est construite empiriquement et non par la déduction théorique ; des pratiques comme l'acupuncture ou les ventouses donnent des résultats que la science occidentale ne sait pas expliquer. Mai la médecine occidentale a elle aussi ses avantages indispensables, notamment en ce qui concerne la virologie ou la chirurgie. » À en croire ce spécialiste, l'avenir est à une médecine qui avance sur les « deux jambes » que sont les médecines traditionnelle et moderne, même et surtout si aucune unification des deux théories n'est en vue dans un avenir prévisible. La médecine moderne ne connaît pas les flux d'énergie vitale que décrit la MTC, cette dernière ne pratiquant pas l'analyse séparée des organes... Mais elles sont complémentaires dans une certaine mesure puisque la première travaille à sauver les vies dans l'urgence d'une maladie aiguë, tandis que la seconde préfère favoriser la prévention et la restauration progressive des équilibres.

Mais ce n'était là que mise en bouche puisque nos hôtes voulaient nous en mettre plein la vue l'après-midi avec la visite de CMC (la Cité de la Médecine de Chine) et du Yangtsé Pharmaceutical Group. Effectivement, c'est plus moderne et plus spectaculaire : le bus nous dépose devant un bâtiment immense, en verre et en métal, avec une entrée et un hall d'accueil dignes d'un aéroport international. Le guide nous entraîne sur un parcours informationnel plus impressionnant par les moyens déployés que par les informations révélées : panneaux remplis de chiffres et de schémas, plans de construction et zones de développement, vidéos sur écran géant, montrant des savants et des chercheurs masqués, puissamment concentrés sur des tubes à essais multicolores, arc-boutés dans un surhumain effort de recherche scientifique, une chorégraphie entrecoupée de statistiques et de flowcharts remplis de flèches colorées qui s'entrecroisent. La musique d'introduction du film de présentation de la CMC est littéralement grandiose : elle regorge, toute en cuivres et cymbales, de bouillonnement patriotique, souligne, sur un rythme d'abord solennel et de plus en plus fougueux, le fabuleux développement de l'économie médicale de Taizhou, et partant, de la Chine. Les accents s'étirent dans les aigus pour souligner les efforts déployés, hautbois et violons rivalisent de dramatisme pour restituer les affres de la recherche, les hypothèses laborieusement échafaudées puis soumises à l'expérience impitoyable, le doute scientifique, les retards, les échecs temporaires et les difficultés surmontées à grand-peine, avant qu'éclatent les roulements de tambour et les trompettes triomphales du progrès. Plus de deux cents sociétés pharmaceutiques mondiales, apprenons-nous, depuis les incontournables GlaxoSmithKline ou Johnson & Johnson, jusqu'aux plus modestes comme Bio-Perfectus ou T-Mab, ont profité des conditions favorables réunies par les autorités municipales et les directives nationales pour établir ici un centre de R & D.

Puis c'est le moment d'une petite excursion rapide dans les ruelles de l'ancienne cité restaurée.

Maisons de bois, panneaux sculptés d'effigies d'oies sauvages et de chauves-souris symbolisant respectivement la fidélité et la longévité. Au bout de la ruelle, un antique moulin à aubes tourne dans la rivière et fait retomber des gerbes d'eau. Les petits boui-bouis se succèdent, offrant aux touristes une multitude d'en-cas et de friandises locales. On peut acheter ici des spécialités telles que alcool de riz local ou viande séchée, sans compter les objets de l'artisanat du Jiangsu. Ce que s'empressent de faire les membres de notre délégation, avant de rejoindre l'hôtel, pas trop tard puisqu'il faut reprendre le train pour Beijing demain matin. Les pagodes habilement éclairées se reflètent dans l'eau de la rivière, des petits ensembles de musiciens amateurs font striduler des instruments à cordes tandis que d'autres passants s'essaient au taï-chi.

Alors que la soirée s'avance, Taizhou retrouve pour quelques heures sa quiétude d'ancienne petite ville d'eau.

 

 

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