CHINAHOY

22-January-2017

Une confrontation entre les États-Unis et la Chine irait à l’encontre des intérêts des deux pays

 

Le 18 novembre 2016, à Kunming dans le Yunnan, s'est terminé l'exercice militaire conjoint lié au secours humanitaire organisé par les armées chinoise et américaine.

 

JOHN ROSS*

 

Le mois de février 2017 marquera le 45e anniversaire du premier communiqué sino-américain connu sous le nom de Communiqué de Shanghai, qui a jeté les bases des relations bilatérales actuelles. La récente campagne présidentielle américaine et ses conséquences ayant été caractérisées par de fortes critiques à l'encontre de la Chine, et même certaines tentatives visant à miner ces relations établies depuis longtemps, il est important d'analyser de manière claire pourquoi la stabilité des relations amicales entre la Chine et les États-Unis est dans l'intérêt des deux pays.

 

En particulier, il faut comprendre que la dernière élection présidentielle américaine a connu la plus grande déstabilisation politique du pays depuis la Grande Dépression. Cette instabilité et ce mécontentement tirent leur source d'une situation économique et sociale dans laquelle les revenus des ménages sont inférieurs à ceux de l'an 2000, et dans laquelle une forte augmentation des inégalités économiques se poursuit depuis plus de trente ans.

 

Cependant, les deux candidats ont au cours de la campagne tenté de détourner l'attention de ces véritables problèmes en se tournant contre la Chine. Donald Trump a faussement affirmé que la Chine profite d'un avantage concurrentiel injuste en maintenant un taux de change artificiellement bas, ce que même le Trésor américain ne prétend plus.

 

L'acharnement contre la Chine va à l'encontre des intérêts non seulement de la Chine, mais aussi de ceux des États-Unis et de leur peuple. Les relations entre les deux pays constituent les plus importantes relations bilatérales au monde, aussi la dynamique entre eux joue-t-elle un rôle clé dans la situation internationale générale.

 

Les tendances en termes de revenu

 

Le revenu médian des ménages américains en 2015 était inférieur de 2,4 % à celui enregistré 16 ans auparavant. Au plus fort de la grande récession, en 2012, les revenus médians des ménages américains étaient inférieurs de 9,1 % à leur pic de 1999. Le peuple a donc subi plus d'une décennie et demie de revenus réduits, ce qui, en soi, produirait un profond mécontentement politique et de la colère dans tout pays.

 

Mais les conséquences politiques de cette baisse des revenus ont été aggravées par la forte augmentation des inégalités et de la moindre part des revenus reçue par la grande majorité de la population. La part du revenu total perçue par les 80 % de la population américaine est tombée de 56 % en 1967 à 49 % en 2015. Sur la même période, la part des revenus totaux des 20 % de personnes les plus riches est passée de 46 % à 51 %. Par conséquent, à partir de 2015, les 20 % de personnes les plus riches touchaient une part plus élevée du total des revenus des États-Unis que les 80 % restants.

 

Les inégalités ont fortement augmenté depuis que Ronald Reagan est devenu président en 1981. De 1980 à 2015, la part des revenus des 20 % les plus pauvres des ménages américains est tombée de 4,2 %,

un taux déjà bas, à 3,1 %. Parallèlement, la part des revenus des 5 % les plus aisés a augmenté de 5,6 points, passant de 16,5 % à 22,1 %. La part du revenu total dans chaque groupe de revenu des 80 % de la population a chuté au total de 7,1 points, en passant de 55,9 % à 48,8 %.

 

Compte tenu de cette forte hausse des inégalités aux États-Unis depuis 1980, l'augmentation de l'instabilité politique est tout à fait logique.

 

Les raisons économiques fondamentales de ces tendances négatives sont tout aussi claires. En prenant une moyenne mobile de vingt ans pour éliminer les variables dues aux fluctuations cycliques conjoncturelles, le graphique 1 montre qu'entre 1980 et 2016, le taux de croissance annuel du PIB par habitant s'est réduit de moitié, de 2,6 % à 1,3 %. Le fait que le ralentissement de la croissance s'est accompagné d'une augmentation significative des inégalités explique que les revenus médians des ménages aient chuté.

 

Ce ralentissement est devenu plus inquiétant ces dernières années. Comme le montre le graphique 2, avec l'impact de la crise financière internationale, la moyenne mobile sur dix ans de la croissance annuelle du PIB par habitant a chuté au deuxième trimestre 2016 à 0,5 %, un niveau proche de la stagnation. Avec un niveau de croissance économique par habitant si faible, il est presque impossible de voir le niveau de vie augmenter.

 

Le 15 octobre 2016, l'année du tourisme sino-américaine 2016 a été lancée à Suzhou.

 

Une relation économique mutuellement bénéfique

 

Bien que le commerce extérieur et l'investissement ne soient pas les facteurs déterminants de la récente performance économique des États-Unis, comme nous le verrons ci-après, la corrélation de l'expansion commerciale et des résultats économiques positifs est bien connue, tant sur le plan théorique que factuel. Comme le notait Adam Smith dans la première phrase de son ouvrage fondateur de l'économie moderne, La richesse des nations, « les plus grandes améliorations dans la puissance productive du travail, et la plus grande partie de l'habileté, de l'adresse, de l'intelligence avec laquelle il est dirigé ou appliqué, sont dues, à ce qu'il semble, à la division du travail. » La division du travail est passée de l'échelle nationale à l'échelle internationale. De nombreuses études ont confirmé la corrélation positive entre ouverture économique et croissance accélérée.

 

Cette conclusion économique a aussi été confirmée de manière négative lorsque la résurgence du protectionnisme après le crash boursier de 1929 a contribué à la Grande dépression, la plus grande crise économique de l'histoire du monde moderne. C'est en effet à cause de cette expérience catastrophique qu'après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont fait marche arrière sur le protectionnisme et ont, pendant un demi-siècle, encouragé un ordre commercial ouvert, ce qui a eu de grandes retombées positives pour eux-mêmes et pour d'autres pays. La mondialisation a apporté de grands bénéfices aux économies, tant aux États-Unis qu'en Chine, après le lancement de son ère de réforme et d'ouverture en 1978.

 

Au stade actuel de développement de la mondialisation, les relations économiques entre la Chine et les États-Unis sont les plus décisives. Les deux pays, première et deuxième économies mondiales respectivement, représentent 39 % de l'économie aux taux de change actuels. En termes commerciaux, ils détiennent également les deux premiers rangs.

 

Ensemble, les deux pays sont suffisamment puissants pour jouer un rôle décisif dans l'économie et le commerce mondiaux. Leurs discussions bilatérales sont le meilleur moyen d'aborder le développement le plus important du commerce et de l'investissement.

 

En outre, en termes de fondamentaux économiques, il est facile de comprendre et de créer le cadre des relations commerciales économiques mutuellement bénéfiques entre la Chine et les États-Unis en fonction de leurs caractéristiques respectives.

 

La Chine est la plus grande économie à « revenu moyennement élevé », tandis que les États-Unis sont la plus grande économie à « haut revenu » au monde. Par conséquent, sur le segment de la technologie de gamme moyenne, la Chine bénéficie d'une combinaison de niveau technologique comparable à celui des États-Unis, mais de coûts salariaux beaucoup plus bas. Par conséquent, sur les produits de technologie et moyennement élevée, la Chine possède un avantage concurrentiel décisif. La fabrication de ces produits par les États-Unis, s'ils décidaient de ne plus les importer de Chine, entraînerait des prix nettement plus élevés pour les consommateurs et les producteurs, et donc une baisse du niveau de vie et de la compétitivité internationale des États-Unis.

 

Toutefois, les États-Unis disposent d'avantages concurrentiels sur la Chine en haute technologie. Le PIB par habitant de la Chine, qui reflète approximativement la productivité différente des deux économies, équivaut à 27 % de celui des États-Unis en PPP (parité de pouvoir d'achat) – l'unité la plus appropriée pour les comparaisons sur le long terme. Même avec les meilleures politiques économiques, il faudra à la Chine plusieurs décennies pour atteindre le niveau de productivité des États-Unis ; en d'autres termes, les États-Unis bénéficieront d'un avantage comparatif sur les produits de haute technologie pendant plusieurs décennies.

 

L'aspect mutuellement bénéfique des relations économiques entre la Chine et les États-Unis est donc clair et stable sur le court terme comme sur le long terme. La Chine garde sa capacité de produire des produits de technologie de gamme moyenne et moyenne-haute plus compétitifs que les États-Unis, tandis que ces derniers bénéficient d'un avantage concurrentiel en haute technologie.

 

Cette base fondamentale dans la complémentarité des deux économies explique pourquoi le commerce entre la Chine et les États-Unis est si dynamique. Il est bien connu que les États-Unis sont le plus grand marché d'exportation de la Chine. Depuis 1999, la part de la Chine dans les exportations totales des États-Unis a augmenté de 5,3 %, alors que celle de l'UE a baissé de 2,8 % et celle du Japon de 4,6 %. En bref, la croissance des exportations américaines vers la Chine est beaucoup plus dynamique que vers l'UE ou le Japon. Simultanément, la part de la Chine dans les importations totales des États-Unis a augmenté de 11,2 %, tandis que la part de l'UE a chuté de 0,2 % et la part du Japon de 6 %.

 

Enfin, en matière géopolitique, il n'y a pas de confrontation militaire inévitable entre les États-Unis et la Chine. Aucune force d'influence n'envisage de guerre nucléaire entre les deux pays, car cela entraînerait leur destruction mutuelle. Les États-Unis sont protégés d'un côté par l'océan Pacifique et de l'autre par l'Atlantique, aussi une invasion militaire conventionnelle est-elle impossible.

 

Après avoir analysé les avantages mutuels des relations entre la Chine et les États-Unis, examinons les conséquences populaires qu'aurait toute décision des États-Unis d'entrer en confrontation avec la Chine.

 

Les conséquences d'une confrontation

 

La course aux armements qui s'est produite d'abord durant l'administration Reagan, puis celle de George W. Bush a eu une ampleur limitée. Le but de Reagan n'était pas de combattre l'URSS, mais d'exercer une pression économique sur l'Union soviétique, une pression dirigée contre une économie qui progressait déjà plus lentement que les États-Unis. Les forces militaires des cibles de George W. Bush, que ce soit l'Afghanistan ou l'Irak, étaient bien faibles par rapport à celles de la Chine. Néanmoins, même les réformes militaires partielles de Reagan et Bush ont déstabilisé l'économie américaine, exigeant une énorme accumulation de dettes.

 

Une confrontation américaine avec la Chine, dont l'économie croît plus vite que celle des États-Unis et qui dispose d'une puissance militaire bien plus puissante que les talibans ou Saddam Hussein, exigerait un détournement beaucoup plus grand des ressources américaines en dépenses militaires et résulterait en une déstabilisation bien plus importante de l'économie américaine que tout ce qui a été vu sous Reagan ou George W. Bush. Ceci, à son tour, a déterminé sa dynamique politique au sein des États-Unis.

 

Si les États-Unis sont directement attaqués, bien sûr, le peuple fera d'immenses sacrifices et fera preuve de la même bravoure que dans n'importe quel autre pays. Pendant la Guerre du Pacifique, après l'attaque japonaise à Pearl Harbor, moins de pertes humaines ont été déplorées aux États-Unis qu'en Chine, mais les soldats américains combattant à Iwo Jima et à Okinawa ont montré la même bravoure que les soldats chinois combattant l'invasion japonaise.

 

Entre 1940 et 1945, le pourcentage de consommation des ménages américains dans le PIB est passé de 69 % à 53 %, en raison de l'énorme détournement de ressources vers les dépenses militaires, mais il n'y a pas eu de grave mécontentement social ou de déstabilisation. La population a considéré ces sacrifices comme nécessaires et justifiés contre l'attaque perpétrée par le Japon.

 

Mais ce que la population américaine montre depuis la Seconde Guerre mondiale, encore une fois logiquement et à juste titre, est un refus croissant de faire des sacrifices pour des intérêts ou des conflits non essentiels au pays. Cela s'est intensifié avec le ralentissement économique et le déclin relatif de la domination économique des États-Unis dans le monde. L'opinion publique a tracé une trajectoire claire d'opposition croissante aux grandes campagnes militaires à l'étranger, à moins que les intérêts fondamentaux des États-Unis ne soient directement menacés.

 

Une décision des États-Unis d'affronter la Chine – sans parler de guerre, il pourrait s'agir d'une tentative de pression forte sur la Chine – exigerait évidemment beaucoup plus de sacrifices de la part des États-Unis que les conflits du passé.

 

L'opinion publique, telle qu'elle ressort des sondages, n'est pas nécessairement favorable à la Chine, cela change périodiquement, mais les processus évoqués ci-dessus montrent clairement que la population n'est pas disposée à faire les sacrifices économiques nécessaires pour affronter sérieusement la Chine.

 

Au contraire, tout indique qu'à moins de graves provocations diplomatiques de la part de la Chine qui menaceraient de façon agressive les intérêts fondamentaux des États-Unis, ou d'erreurs majeures de politique conduisant à un ralentissement de l'économie chinoise, la population américaine n'est pas disposée à faire les sacrifices nécessaires à un affrontement.

 

Conclusion

 

Ces processus économiques mettent en évidence les deux options fondamentales du peuple américain. La première, qui correspond aux intérêts de la Chine, tout en contribuant à la prospérité des États-Unis, est la recherche d'une collaboration mutuellement bénéfique. Cela signifie par exemple en matière commerciale que les négociations les plus importantes ne soient pas au sujet du protectionnisme envisagé par l'Accord de Partenariat transpacifique, mais plutôt au sujet d'accords de coopération entre les deux plus grandes nations commerciales du monde. Cela implique que la politique étrangère américaine limite les tensions directes avec la Chine, et cherche à conclure des accords avec elle et d'autres puissances pour calmer et contenir les conflits régionaux. Cela est certainement dans l'intérêt de la Chine, mais c'est aussi dans l'intérêt de la prospérité américaine.

 

L'autre voie, celle de la confrontation, pour les raisons analysées plus haut, entraînerait des pertes de vie encore plus importantes pour la population américaine et serait encore plus économiquement déstabilisante pour le pays que ses affrontements passés avec l'URSS en déclin ou avec des pays qu'il dominait militairement comme l'Afghanistan et l'Irak.

 

En bref, l'acharnement contre la Chine n'est évidemment pas dans l'intérêt de la Chine. Mais il n'est pas non plus dans l'intérêt des États-Unis !

 

*JOHN ROSS est chercheur à l'Institut d'études financières Chongyang relevant de l'université Renmin à Beijing.Il a été responsable de la politique économique et commerciale au sein de l'Administration du maire Ken Livingstone à Londres.

 

 

La Chine au présent

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