CHINAHOY

28-December-2016

Servi sur un plateau

 

Le restaurant Tsangyang Gyatso et son style très tibétain

 

Les restaurants tibétains régalent les Pékinois affamés d'aventures culinaires et d'échanges culturels.

 

François Dubé*

 

Nul besoin de suivre les pas d'Alexandra David-Néel et de se lancer dans un long périple à travers des cols enneigés pour satisfaire une fringale de langue de yak. Les fins gourmets de Beijing peuvent désormais apprécier la nourriture, la culture et l'hospitalité du Tibet au centre même de la capitale chinoise.

 

« Non seulement les plats servis ici sont différents et délicieux, mais tout est si exotique ici », dit Li Zhang, un habitué du restaurant tibétain Makye Ame. « Cet endroit est situé à seulement 30 minutes de ma maison, mais chaque fois que je viens ici, j'ai l'impression d'avoir franchi les

3 000 km qui me séparent de Lhassa. »

 

Depuis 2001, Makye Ame fait honneur aux traditions d'hospitalité chaleureuse du haut plateau. En entrant, les clients sont d'abord accueillis par le sourire charmant de Mima Lhamo, 24 ans, originaire de Shigatsé, la deuxième ville en importance du Tibet. Vêtue d'une magnifique robe traditionnelle, elle mène d'une main de maître une équipe de jeunes cuisiniers et serveurs.

 

« Nos employés sont de jeunes Tibétains venant des trois régions tibétaines de la Chine, à savoir le Tibet, le Qinghai et le Sichuan », dit-elle avec fierté. « Quant à nos clients, ils viennent de partout, y compris des Tibétains, des Han et des étrangers. »

 

Makye Ame fait partie des nombreux restaurants tibétains qui ont ouvert leurs portes à Beijing. En plus d'inviter leurs clients à faire l'expérience d'une aventure culinaire sans pareil, ces restaurants sont peu à peu devenus des canaux permettant de présenter la culture tibétaine aux résidents de la capitale.

 

Le dilemme de l'authenticité

 

Fondé en 2001 par Zelang Wangqing, un prolifique entrepreneur de la préfecture autonome tibétaine et qiang d'Aba, dans l'ouest du Sichuan, le restaurant Makye Ame est réputé pour fournir une expérience culinaire authentique, au risque de faire fuir certains clients.

 

Lhamo se porte garante de l'authenticité. « Les plats de viande sont exactement ce que l'on trouve au Tibet, la même préparation et le même goût », dit-elle.

 

Reflétant le style de vie carnivore des Tibétains, le menu comporte des dizaines de plats de viande de yak et de mouton sous toutes les formes. Les clients peuvent étancher leur soif avec une tasse de thé de beurre, la boisson traditionnelle salée du Tibet, ou avec divers types d'alcool d'orge du haut plateau.

 

La plupart des ingrédients, comme les produits laitiers et la viande séchée de yak, proviennent directement de Lhassa. « La plupart des plats que nous servons ici sont tout simplement introuvables ailleurs », dit Lhamo.

 

L'insistance du restaurant à offrir des plats authentiques, sans essayer de les adapter aux goûts locaux, est à la fois louable et risquée. Si certains clients sont visiblement satisfaits, d'autres sont sceptiques. « Évitez la tsampa insipide à tout prix », dit un commentaire en ligne, faisant référence au plat préféré des Tibétains fait de farine d'orge torréfiée.

 

Caché au fond des allées étroites de Beijing, non loin de l'attraction touristique de Houhai, le restaurant Qomolangma est un autre lieu populaire pour les amateurs de cuisine tibétaine à Beijing. Le restaurant, dont le nom signifie Everest en tibétain, s'adresse surtout aux touristes et aux familles, qui sont moins tentés par des aventures culinaires risquées.

 

Liu Hai, directrice du personnel, explique que le restaurant a dû adapter ses plats pour satisfaire les clients locaux, tout en continuant à offrir certains plats tibétains typiques - comme la tête de mouton et le gingembre frit.

 

« Nous avons ajouté des épices, et puisque la plupart de nos cuisiniers sont des Han, les plats sichuanais compte pour environ la moitié de notre menu », dit-elle. « Même si la viande vient du Tibet, on ne peut pas dire que le goût soit authentique. »

 

Ce processus d'adaptation semble ravir les clients à la recherche de quelque chose de différent sans dépasser les limites de leurs papilles gustatives. Mais si cette fusion de plats sichuanais et de viande tibétaine permet au restaurant de gagner de nouveaux clients, d'autres restent moins convaincus.

 

« Quand des dirigeants tibétains visitent Beijing et viennent ici, ils boivent généralement du thé au beurre et vont manger ailleurs ensuite », explique Liu. « Ils disent que nos plats tibétains ne sont pas assez authentiques. »

 

Le foulard traditionnel hada est un symbole d'accueil au Tibet.

 

Plus qu'un bon repas

 

Une caractéristique particulière de nombreux restaurants tibétains à Beijing est qu'ils se targuent d'offrir une expérience de la culture tibétaine qui va au-delà de la nourriture.

 

Pour Gen Nang, les propriétaires de restaurants tibétains ont la responsabilité de faire plus que de combler des appétits. Originaire de la préfecture autonome tibétaine de Yushu, au Qinghai, Gen Nang, âgé de 24 ans, a lancé son restaurant Tsangyang Gyatso en 2015, dans l'arrondissement Haidian de Beijing. Il se sent une responsabilité en tant que Tibétain de donner à ses clients une impression positive de sa culture.

 

« Nous accueillons les Han ici et nous leur servons nos spécialités locales, et ma priorité est de m'assurer qu'ils sont satisfaits et qu'ils repartent avec une bonne image des Tibétains, » dit-il. « La viande provient directement du Qinghai, parce que nous voulons donner uniquement les meilleurs ingrédients à nos clients. »

 

En plus de la qualité des plats, Gen Nang n'a épargné aucun effort pour recréer dans la capitale chinoise l'atmosphère chaleureuse et accueillante de son Yushu natal. Il a lui-même expédié des drapeaux de prière, des crânes de yak, des tapis et différents objets d'art du Qinghai à Beijing pour décorer son restaurant.

 

Tsangyang Gyatso est rapidement devenu un endroit préféré des étudiants tibétains et han des universités voisines cherchant à se détendre. Un client régulier, Liu Tianqi, de la province du Henan, dit : « C'est fantastique de pouvoir avoir ce genre d'expérience à Beijing. J'étudie à côté, et venir ici est comme entrer dans un autre monde. »

 

Musicien à ses heures, Gen Nang aime régaler ses invités avec des chansons folkloriques tibétaines. « Quand le restaurant est plein, j'aime jouer de la guitare pour mes invités, pour qu'ils puissent à la fois goûter et écouter le plateau du Qinghai », dit-il.

 

Makye Ame cherche également à offrir plus que des délices carnivores. Tous les soirs, une troupe professionnelle de jeunes musiciens donne aux invités un spectacle spécial de chants et de danses tibétains.

 

Avant de se produire, la troupe se promène de table en table et offre à chaque client un hada blanc, une écharpe traditionnelle utilisée au Tibet comme cadeau de salutation. Ce geste symbolique sera très probablement un moment inoubliable de la soirée de la plupart des clients.

 

Une découverte culturelle

 

Le propriétaire de Makye Ame Zelang Wangqing, maintenant âgé de 50 ans, a rapidement réalisé l'énorme potentiel de la cuisine comme moyen de favoriser la compréhension mutuelle entre les habitants de Beijing et les Tibétains.

 

« Makye Ame est porteur de la culture de la cuisine tibétaine, et notre restaurant cherche constamment à mettre en valeur et à promouvoir la culture tibétaine. Notre objectif est de permettre à plus de touristes, chinois et étrangers, d'expérimenter et d'avoir une meilleure compréhension de la culture tibétaine », dit-il.

 

Christopher St-Cavish, ancien cuisinier et maintenant auteur vivant en Chine, estime que s'engager dans des expériences culinaires étrangères peut être une occasion pour les gens d'ouvrir leur esprit à d'autres cultures. « La cuisine peut être un excellent diplomate », dit-il. « Il semble plus facile d'aimer un pays et ses gens quand vous aimez vraiment leur nourriture. »

 

L'amour de la nourriture a le pouvoir de surmonter les frontières culturelles. Apprécier un plat exotique dans un restaurant ethnique peut être la première étape vers un plus grand respect des autres cultures, un aspect fondamental d'une société multiculturelle.

 

St-Cavish se souvient de sa propre expérience liée à son enfance dans une banlieue de Miami, où la chose la plus exotique à portée de main était la nourriture thaïlandaise. « C'était vraiment de la nourriture thaïlandaise assez mauvaise, mais la promesse qu'elle contenait de découvrir un tout nouveau monde était très puissante », dit-il. Cette découverte fut un premier pas dans un voyage qui l'amènera en Thaïlande puis finalement en Chine, prouvant que l'amour de la cuisine peut mener vers des découvertes insoupçonnées.

 

Cela fait écho à la pensée de Krishnendu Ray, professeur agrégé d'études alimentaires à l'université de New York, dans son livre The Ethnic Restaurateur. Ray est un ardent défenseur de l'idée que les expériences culinaires peuvent construire des ponts entre les cultures. « Manger la cuisine d'une autre culture est probablement la chose la plus facile que l'on peut faire pour échanger avec cette culture », écrit-il.

 

Mais ces échanges ne sont pas spontanés et nécessitent un effort de la part du consommateur. Pour que des découvertes culturelles réelles et significatives aient lieux, il suggère aux clients de ralentir, de s'immerger dans l'atmosphère et surtout de profiter de leur expérience.

 

« La culture foodie est maintenant centrée sur une course pour trouver le prochain meilleur restaurant, mais cette course empêche les gens d'échanger réellement avec les différences culturelles. Parlez aux gens qui vous servent, aux gens derrière le comptoir, aux gens qui font la cuisine, et voyez si vous pouvez avoir une conversation avec eux », écrit Ray.

 

Ce genre d'échanges culturels ne sont pas seulement des idées abstraites pour Mima Lhamo, cela fait partie de son travail quotidien chez Makye Ame.

 

« Certaines personnes ne peuvent pas aller au Tibet, faute de temps ou d'argent, mais ici ils peuvent apprécier les plats tibétains et la culture tibétaine sans quitter Beijing », dit Lhamo. « Nous essayons de leur donner un petit peu du Tibet qu'ils peuvent emporter avec eux dans leur cœur. »

 

 

*François Dubé est journaliste pour Chinafrique.

 

 

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