CHINAHOY

28-December-2016

Martin et son tofu maison

 

Ingrédient et produit fini

 

Mondialisation ne rime pas qu'avec américanisation. Au-delà des modes et des inventions d'Oncle Sam, omniprésentes dans bien des pays, les recettes de grand-père Confucius commencent à avoir le vent en poupe. Chaque mois, La Chine au présent vous présente ces Européens qui vivent une passion chinoise.

 

(France) CHRISTOPHE TRONTIN

 

Dans la petite ville allemande de Lahr, en Forêt-Noire, le mardi est le jour du marché. C'est là que Martin Bilger vend son tofu. Il y a foule. Les habitués se saluent et Martin, tout sourire, les accueille d'un petit signe de tête taciturne. Sur son stand mobile, l'étal est bien achalandé : il y en a du cru, du sec, du fumé, du salé, du frit. Tofu avec coriandre, tofu aux algues... Les prix varient entre 7 et 12 euros le kilo. Dame, c'est du bio, c'est du fait main, et c'est vendu par l'artisan en personne.

 

Succès sur le marché

 

Les commentaires des consommateurs sont élogieux. « Le tofu de Martin est le meilleur au monde. Ceux qui disent qu'ils n'aiment pas le tofu ne connaissent que les produits emballés sous vide vendus en supermarché. Ça n'a rien à voir ! C'est comme comparer les ananas frais avec les ananas au sirop en boîte », affirme ce monsieur d'un certain âge qui vient d'acheter un kilo de tofu fumé mais refuse modestement de décliner son identité. Eduard, la trentaine, renchérit : « Nous avons eu la chance de participer à une dégustation lors de la semaine culturelle sur l'île Einsiedel. Quel délice ! Le meilleur tofu fumé que j'aie jamais goûté ! » Entendant ces mots, Frohmut réagit : « Je préfère le tofu à la coriandre. Nous venons toutes les semaines de Scherzheim à vélo pour nous approvisionner. Il arrivait que la camionnette de Martin ne soit pas là... Quelle déception c'était pour nous de rentrer bredouilles ! Depuis quelque temps, on retient ses produits à l'avance pour être sûrs. » Les commandes affluent, Martin sert ses clients le sourire aux lèvres, l'air vaguement absent. Il n'est pas bavard, voilà tout. Rapidement, son stock s'épuise. Il précise qu'il ne produit qu'une centaine de kilos par semaine, mais prend des commandes pour la semaine suivante, ou pour le marché d'Offenburg, où il est également présent. Pas possible de l'interviewer ici, il est trop occupé. Il accepte gentiment de nous recevoir dans sa « tofuerie » comme il l'appelle. Sa fabrique artisanale est installée dans un ancien poulailler attenant à sa maison dans le village de Dundenheim-Neuried.

 

Préparation

 

« Tout a commencé dans les années 1980, nous confie le presque-cinquantenaire. Je tenais alors avec ma femme un restaurant bio et végétarien dans le petit village d'Ichenheim à deux kilomètres d'ici. Nous nous demandions quels produits ajouter à notre menu. Le tofu s'est imposé de lui-même. Mais il n'était pas facile à trouver, la qualité était variable, bref, on ne pouvait pas travailler comme cela. » Sa conclusion fut qu'il fallait produire lui-même son tofu. Hans, un paysan du voisinage, avait accepté de cultiver quelques ares de soja uniquement pour Martin, tandis que lui se mettait au travail dans son laboratoire pour élaborer sa recette.

 

Il ouvre une porte qui donne sur un réduit entièrement carrelé envahi d'une épaisse vapeur. Au milieu de la pièce, dans une sorte d'immense chaudron, une masse blanchâtre bout à gros bouillons. L'odeur caractéristique des fèves de soja envahit nos narines. L'épouse de Martin est à la manœuvre et explique : « C'est la phase critique : on fait bouillir la purée de fèves pour en extraire le lait. Il faut surveiller la cuisson parce que le lait de soja, comme le lait de vache, a tendance à déborder sans crier gare ! » Martin poursuit son récit : « Les fèves de soja, je les obtiens par le troc : Hans les cultive et les récolte, je le paie en tofu... » La recette est simple et efficace : les fèves qui ont gonflé dans l'eau sont d'abord mises en purée. La purée est cuite puis filtrée : le liquide blanc qui en sort, c'est le fameux lait de soja, la matière première à partir de laquelle on fabriquera le tofu, qui n'est autre qu'une sorte de fromage végétal.

 

Écolo jusqu'au bout des ongles, Martin nous confie un petit secret : la masse sèche, l'okara ou le tourteau de soja, il l'utilise pour nourrir ses cochons. Et aussi comme engrais pour son potager. Bref, rien ne se perd. « Ces fèves de soja bio, ce serait dommage d'en gaspiller la moindre miette ! », lance-t-il en riant.

 

La procédure se déroule, assez rapide finalement : après une cuisson de dix minutes, il ajoute la solution de chlorure de magnésium, remue, laisse reposer un quart d'heure. « Le chlorure de magnésium, c'est la solution acide qui va précipiter les protéines. Certains utilisent du vinaigre, d'autres du jus de citron. L'essentiel est de faire coaguler le lait », nous confie-t-il. Tout en remuant à l'aide d'une grosse louche en bois, il fredonne une sorte de petit chant de remerciement à l'eau... Un dernier filtrage, et voilà qu'on approche de l'étape finale : le pressage. Le tofu filtré à travers un torchon est maintenant délicatement transvasé dans des moules en plastique au fond percé de trous. Un couvercle par-dessus, un bon tour de presse artisanale qui est en fait un cric de voiture, et l'affaire est entendue pour aujourd'hui. « Le petit-lait, que vous voyez là, je m'en sers pour la vaisselle et le nettoyage des sols : un dégraissant impeccable », affirme Martin.

 

Il nous montre dans la pièce à côté comment se présente le tofu une fois pressé : de belles galettes rectangulaires, blanches et bien fermes. « La moitié sera fumée, mais j'en vends aussi du nature, certains clients le préfèrent ainsi. » Sur les étagères on reconnaît les différentes variétés qu'il proposait sur le marché, proprement rangées dans des récipients étiquetés. Tout semble simple lorsqu'on l'observe, enchaînant avec naturel les opérations.

 

« Cela fait vingt ans déjà que nous fabriquons du tofu... évidemment, on est passés par quelques difficultés. Il a fallu apprendre, se perfectionner, s'agrandir... Aujourd'hui, nos recettes sont au point, nos clients témoignent leur reconnaissance. Ça fait plaisir de faire plaisir. »

 

 

La Chine au présent

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