CHINAHOY

8-January-2016

Le yuan bientôt monnaie internationale ?

 

Singapour, le yuan aux côtés du dollar et du ringgit malaisien.

 

 

Le yuan chinois poursuit son internationalisation. Grâce aux droits de tirage spéciaux, il va renforcer, dès 2016, sa présence dans les réserves de change étrangères. Mais bien des tâches restent à accomplir.

 

HE YAFEI*

 

Le 1er décembre 2015, le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé sa décision d'inclure la monnaie chinoise dans le panier de devises des droits de tirage spéciaux (DTS), pour une part égale à 10,92 %. Inférieure aux parts du dollar (41,73 %) et de l'euro (30,93 %) mais supérieure à celle du yen japonais (8,33 %) et de la livre sterling britannique (8,09 %). Une mesure qui doit entrer en vigueur dès le 1er octobre 2016. L'intégration du yuan dans les DTS est donc finalisée et cela marque un nouveau jalon dans son processus d'internationalisation.

 

Internationalisation à marche forcée

 

Le principe des drois de tirage spéciaux remonte à 1969, alors que le FMI s'était fixé pour objectif de constituer une réserve et une unité de mesure des flux monétaires internationaux. Leur fonctionnement est celui d'une monnaie internationale : un pays membre du FMI en déficit commercial peut payer un autre pays membre à l'aide de DTS au lieu de devoir acquérir des devises étrangères, et cela devait assurer la fluidité du commerce international et la stabilité du système financier mondial. Comme l'or ou les monnaies convertibles, les DTS servent aussi d'unité de réserve internationale. Tous les 5 ans, le FMI déterminera s'il a besoin d'ajouter une nouvelle monnaie au panier de devises des DTS, en fonction de l'importance de chaque monnaie dans le commerce international et sur les marchés financiers. Avec la même périodicité, il procédera à une réévaluation des parts respectives des monnaies du panier.

Les DTS étaient jusqu'ici composés de dollars, d'euros, de yens et de livres sterling, pour des parts respectives de 41,9 %, 37,4 %, 11,3 % et 9,4 %.

L'histoire de la mondialisation économique au cours des temps modernes nous enseigne que le principal facteur qui décide de la puissance économique et de la compétitivité des pays est le facteur coût. Dans les années 1860, grâce à ses immenses terres quasiment gratuites, l'Amérique du Nord a attiré la culture et l'industrie manufacturière européennes vers ce nouveau continent appelé à devenir le centre de l'économie mondiale. Dans les années 1980, c'est l'Asie du Sud-Est qui développait rapidement son industrie manufacturière, produisant un miracle économique qui s'appuyait sur une main-d'œuvre qualifiée et bon marché.

Par ailleurs, ce sont les ressources naturelles qui décident de l'envergure économique des pays. Sa population nombreuse et ses riches ressources naturelles ont assuré à la Chine le premier rang économique mondial depuis les dynasties Han (206 av. J.-C.-220) et Tang (618-907) jusqu'au milieu du XIXe siècle, grâce à des systèmes financiers et de circulation des capitaux en avance sur le reste du monde.

Mais à l'ère de la mondialisation économique, la puissance d'un pays est déterminée par sa capacité à redistribuer les ressources globales, notamment les capitaux. Depuis le début du XXe siècle, la répartition des capitaux, des techniques et des ressources humaines, mais aussi la division et la combinaison internationale du travail dans la chaîne de valeur sont étroitement liées aux forces qui contrôlent les capitaux financiers mondiaux. Les puissances économiques sont donc avant tout des puissances financières, car seules les puissances financières peuvent décider de l'allocation des capitaux et des technologies dans la chaîne de la division internationale du travail, voire même la forme que doit prendre la division du travail, ce qui fait d'elles au final les gestionnaires des facteurs de production.

Aujourd'hui, la Chine est, selon les statistiques de l'ONU, le premier pays dont les industries sont présentes dans toutes les branches d'activité. Les entreprises chinoises se sont internationalisées et plus de 20 000 d'entre elles sont désormais implantées à l'étranger. Le fabricant d'équipements de télécommunications Huawei possède des usines et des bureaux dans 164 pays et régions. Le pouvoir d'achat des consommateurs chinois s'exerce désormais dans le monde entier. Le RMB est d'ores et déjà une monnaie de règlement, de paiement, d'investissement et de réserve, et son internationalisation se poursuit. La Chine a signé des accords d'échange de devises avec plus de 30 pays pour une valeur totale dépassant 5 000 milliards de yuans. L'expérience de la Chine et celle d'autres pays montrent que la transformation des puissances manufacturières en puissances financières est la voie de développement que suivent la plupart des pays. Ceci suggère que le destin de la Chine sera de se transformer à son tour de pays producteur majeur en puissance financière.

Il est évident que les piliers d'une puissance financière sont sa monnaie, ses marchés financiers mais aussi son économie réelle. Les caractéristiques suivantes doivent être réunies.

Premièrement, une monnaie souveraine et internationalisée, capable de diriger la gestion économique et financière planétaire, voire même de remodeler ce système. L'internationalisation de la monnaie d'un pays doit être soutenue par une forte compétitivité de ses industries et une place importante dans le commerce international. Mais elle a besoin aussi d'une opportunité historique, comme nous l'enseigne l'exemple du dollar. En 1944, le dollar américain a été choisi comme monnaie de réserve suite à l'enrichissement immense des États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que la guerre avait détruit les infrastructures industrielles des pays européens et asiatiques. Lors de la reconstruction du système de commerce international, des investissements et de la circulation monétaire de l'après-guerre, les États-Unis ont profité de l'occasion pour concevoir et imposer un ordre de gestion économique et financier mondial appuyé sur leur statut de créancier, d'investisseur et de producteur majeur. C'est ainsi qu'ils ont fait du dollar la principale monnaie de réserve internationale, de facturation et de transaction.

Les monnaies des grandes puissances financières étant largement employées dans le commerce international et sur les marchés financiers internationaux, elles deviennent ainsi des monnaies de paiement, d'opérations de change et de réserve. Ainsi, les politiques monétaires des principales puissances financières exercent une grande influence sur les taux d'intérêt et de change des autres monnaies, voire même sur les marchés financiers internationaux, les marchés de biens, ainsi que sur la circulation transfrontalière des capitaux.

Deuxièmement, les marchés financiers développés se sont dotés d'un grand pouvoir de redistribution des ressources financières. Les principales puissances financières contrôlent généralement un ou plusieurs centres financiers internationaux. Par le biais des devises, des capitaux et des marchandises dominés par elles, les puissances financières maîtrisent les droits de distribuer les ressources économiques mondiales et de fixer les prix sur les marchés financiers. Par exemple, aux États-Unis, le New York Stock Exchange et le Chicago Mercantile Exchange décident des prix indicatifs des produits financiers globaux et des marchandises en grande quantité, ce qui permet au pays d'attirer l'épargne des pays étrangers à bas taux d'intérêt. Dans le même temps, il peut se permettre d'investir dans d'autres pays sous la forme d'investissement direct étranger (FDI) et accroître ses profits.

Troisièmement, l'économie réelle est développée et s'appuie sur un système financier adapté. Une grande puissance financière doit posséder un système financier sain, complet et compétitif, qui se caractérise souvent par la présence des principales banques commerciales mondiales, des banques d'investissement ou des compagnies d'assurance exerçant la plus grande influence internationale.

On voit qu'un grand écart sépare le système financier chinois de celui des pays développés. L'économie chinoise vient seulement d'entrer dans une « nouvelle normalité » : son mode de croissance économique est en train de changer et elle doit procéder à des ajustements structurels. Par ailleurs, la Chine qui était récemment encore un pays importateur de capitaux et de technologies, se transforme progressivement en pays exportateur aussi bien de capitaux que de technologies. Un tournant important qui doit lui permettre de devenir une puissance financière.

Répercussions de l'intégration du yuan dans les DTS

Première conséquence importante, le RMB qui entre dans les DTS devient une monnaie de réserve internationale et donc contribuera à l'amélioration du système monétaire international. La Banque centrale chinoise se félicite de ce résultat « gagnant-gagnant » pour la Chine et pour le reste du monde. Plusieurs pays saluent ce geste, tandis que les États-Unis et le Japon ont surmonté leurs réticences.

La crise financière internationale de 2008 l'a montré, c'est bien la domination sans partage du dollar depuis des décennies qui est à l'origine des risques systémiques qui pèsent sur la finance internationale, et la réforme du système monétaire international doit rendre celui-ci plus équilibré et plus juste. Aujourd'hui, le PIB des pays en développement représente environ 40 % du PIB mondial, alors que leur représentation dans les institutions financières mondiales est nulle. L'appel des pays en développement à une réforme du système monétaire international se fait de plus en plus insistant.

L'entrée du RMB dans les DTS est donc un pas vers une plus grande stabilité, une meilleure représentativité et donc un fonctionnement plus harmonieux du système monétaire international. Il faut savoir que les monnaies de 7 des 10 pays que compte l'Asie du Sud-Est sont plus liées au RMB chinois qu'au dollar américain. À chaque fois que le RMB s'apprécie de 1 %, les monnaies de ces 7 pays s'apprécient de 0,55 %, contre seulement 0,34 % pour une appréciation de 1 % du dollar.

Mais ce n'est pas tout. L'intégration de la monnaie chinoise contribuera aussi à la réforme financière chinoise en posant les bases de son internationalisation. L'ouverture des comptes de capitaux, l'établissement de quatres zones de libre-échange à Shanghai, Tianjin, au Fujian et dans le Guangdong, sans compter d'autres projets en cours, montrent l'ampleur de la réforme financière entreprise.

Certains fonctionnaires du FMI considèrent que la fin de l'arrimage du RMB au dollar conduira à un système monétaire plus ouvert, plus souple et plus proche des cours naturels du marché. La Chine va poursuivre la réforme de son système financier sur trois axes : réduire les limites imposées à l'émission transfrontalière d'obligations en yuans pour soutenir les étabissements publics et les entreprises chinoises dans leurs émission d'obligations à l'étranger ; poursuivre le mouvement d'ouverture des marchés financiers et autoriser des institutions étrangères à y lever des fonds ; améliorer le système de paiement en yuan à l'international.

On peut s'attendre, une fois que le yuan sera une devise de réserve internationale, à ce que différents pays accroissent leurs réserves en yuans. Cela va entraîner une demande internationale pour la monnaie chinoise. Selon les estimations de Standard & Chartered et d'AXA Investment Managers, l'intégration du yuan dans les DTS va entraîner d'ici à 2020 la conversion de réserves d'environ 1 000 milliards de dollars en actifs libellés en yuans.

Enfin, l'intégration du yuan va renforcer la confiance des pays et institutions en l'économie et la devise chinoises. Une confiance stratégique accrue qui entraînera elle aussi une demande accrue de yuans, et donc un pouvoir accru pour la Chine de participer à la répartition des ressources à l'échelle mondiale.

Mais il faut rappeler que l'intégration du yuan dans les DTS ne signifie pas la transformation immédiate du yuan en monnaie de réserve internationale. La quote-part du yuan dans les DTS n'est que de 280 milliards de dollars, soit 2,5 % des réserves mondiales. Pour qu'une devise puisse devenir monnaie de réserve internationale, elle doit présenter certains indicateurs liés à la situation macroéconomique du pays émetteur, à l'état de son système financier, à l'ouverture de son marché des capitaux, etc. Même si les monnaies du Canada et de l'Australie n'entrent pas dans les DTS, elles n'en sont pas moins des devises de réserve internationale. Cela montre bien que l'intégration du yuan dans les DTS n'est pas une fin en soi, mais une étape du processus d'internationalisation du yuan.

Il reste des tâches à accomplir

L'internationalisation du yuan est déjà en cours, il s'agit maintenant pour la Chine de participer à la gouvernance financière globale et partant, à la réforme de celle-ci. On a appris en août dernier que la monnaie chinoise est désormais la deuxième monnaie pour le commerce et le financement internationaux et la quatrième monnaie de paiement. Le nouveau défi pour la finance chinoise sera donc d'améliorer son système financier en accroissant l'ouverture de ses capitaux et en avançant vers la convertibilité du yuan. À la fin du XIIIe plan quinquennal en 2020, la part des transactions transfrontalières libellées en yuans devrait atteindre 35 %, contre 23,8 % en 2014. La Chine doit profiter de ses avantages diplomatiques de grand pays et s'appuyer sur les nouvelles institutions financières internationales, en particulier la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, la Banque de développement des Brics et le Fonds de la Route de la Soie, pour construire un nouvel échiquier ouvert et transparent qui accroîtra son influence et son droit à la parole dans les organisations économiques et financières multilatérales. La Chine se doit de représenter les intérêts des pays en développement et d'établir un nouveau sytème de gouvernance économique et financière internationale, plus juste, plus équitable et plus rationnel. Il lui faut pour cela s'intégrer plus avant dans le système économique international.

Pour cela, la Chine doit développer son marché financier dans toutes ses dimensions, mettre en place un système financier moderne et améliorer les services offerts par le secteur financier à l'économie réelle. Elle doit accorder une même importance au rôle de l'investissement et du financement des marchés financiers, développer un marché de capitaux diversifié et renforcer la part des financements directs.

Parallèlement, pour bien servir l'économie réelle, la Chine doit améliorer son système de financement de la recherche qui vient soutenir la stratégie de développement grâce à l'innovation. D'autre part, on parle de développer un système financier « vert » pour promouvoir la transformation écologiquement responsable de l'économie et le développement durable. Par ailleurs, il est prévu de pratiquer une stratégie de la finance accessible à tous pour apporter un soutien financier aux régions rurales, aux paysans et à l'agriculture ainsi qu'aux petites et micro-entreprises.

Finalement, la Chine projette de créer un mécanisme de régulation financière conforme aux normes internationales et s'efforce de limiter les risques financiers systémiques et régionaux. Dans le contexte de la réforme économique en profondeur et de l'« Internet+ », les banques de l'ombre, la finance sur Internet et les services associés se développent. Cela requiert une régulation et un contrôle adaptés. La situation financière intérieure et extérieure depuis 2008 l'a montré, les risques financiers internationaux existent et ne font que s'aggraver. L'ombre d'une nouvelle crise financière internationale reste présente. La Chine a besoin d'améliorer son système de régulation financière, renforcer la régulation de la Banque centrale envers les institutions financières, afin de fournir une forte garantie institutionnelle pour construire une vraie puissance financière.

 

*HE YAFEI, ancien vice-ministre des Affaires étrangères, est directeur adjoint du Bureau pour les affaires des Chinois d'outre-mer relevant du Conseil des affaires d'État.

 

 

La Chine au présent

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