CHINAHOY

30-March-2016

Apple Pay en Chine fait parler de lui

  

ZHENG RUOLIN*

« Comment les Européens voient-ils la Chine ? » Voilà une question que l'on me pose souvent depuis que je suis retourné vivre en Chine.

Question à laquelle je réponds souvent : « Il faudrait écrire un livre pour vous répondre. » Prenons un exemple bien français : Nicolas Hulot, animateur de télévision et envoyé du président pour la protection de la planète, qui déclare dans l'émission « Bourdin direct » de BFM TV, le 13 février 2015 : « Les enfants chinois ne savent pas que le ciel est bleu. » Quand je rapporte cette assertion absurde d'un Français sur la Chine à mes compatriotes chinois, ceux-ci ont du mal à y croire, voire refusent d'y croire. Pourtant, c'est une réalité, et je pourrais encore citer beaucoup d'exemples de ce genre.

Dans l'histoire, les Chinois ont également souvent eu ce genre de clichés absurdes envers les Occidentaux. Par exemple, selon un document historique, l'envoyé impérial Lin Zexu, qui a dirigé la destruction des caisses d'opium à Humen en 1839, décrivait ainsi les étrangers qui avaient provoqué la guerre de l'Opium dans son rapport soumis à l'empereur: « L'armée anglaise ne peut compter que sur ses solides navires et ses canons. Une fois que ces barbares arrivent sur le sol, ils ne sont plus capables de rien. Enroulés dans leurs uniformes rigides, ils ne peuvent plus se relever une fois qu'ils sont à terre. Notre armée, mais aussi un civil à lui seul peut tuer plusieurs barbares... » Aujourd'hui, il est difficile de comprendre pourquoi les Chinois d'alors voyaient les Occidentaux de cette façon, tout comme il est difficile de comprendre la vision que certains Occidentaux ont sur la Chine aujourd'hui. S'il fallait vraiment trouver une raison à ces clichés, on pourrait dire que ceux-ci viennent du fait que les Chinois, qui se considéraient comme l'« Empire du Milieu », refusaient d'entrer en contact avec le reste du monde et n'avaient qu'une vision bornée de celui-ci. Mais qu'aujourd'hui, à l'ère d'Internet, Nicolas Hulot croie toujours que « les enfants chinois ne savent pas que le ciel est bleu » est d'une absurdité incroyable.

Quand des Français me demandent mon avis sur la vision des Français sur la Chine, je réponds cela : « Ces dernières années, la Chine a connu des changements si profonds, si larges et si nouveaux que peu de Français sont à même de les comprendre. Sans parler des soit-disant experts qui ne réalisent pas que la Chine est en train de devenir un nouveau modèle de développement. » Jack Ma et son Alibaba, et en particulier Alipay, en sont un exemple.

Mais pour parler d'Alipay, mieux vaut commencer par Apple Pay que les Français connaissent mieux. Apple Pay est un service de paiement sur le portable avec une carte bancaire. Jusqu'à récemment, Apple Pay était seulement disponible aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et au Canada avant que la Chine ne les joigne le 18 février.

Les médias français se sont étonné qu'Apple Pay n'attire « que » 30 millions d'utilisateurs (la moitié de la population française) le premier jour, alors qu'ils pensaient certainement qu'Apple Pay allait balayer la Chine tout entière en un coup de vent...

Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que par rapport aux deux concurrents chinois : Alipay et Wechat Payment, Apple Pay n'est qu'un « nain » dans le domaine du paiement mobile en Chine. D'une part, Apple Pay n'est disponible que via l'iPhone 6 et 6 +, et en plus, l'iPhone occupe seulement 13,4 % du marché chinois des smartphones. C'est-à-dire que plus de 90 % des utilisateurs en Chine ne peuvent pas utiliser Apple Pay car ils n'utilisent tout simplement pas l'iPhone. D'autre part, la Chine dénombre près de 400 millions d'internautes utilisant Alipay et Wechat Payment, et ils sont déjà habitués à payer avec. Le volume créé par ces systèmes de paiement électronique a déjà dépassé les 9 310 milliards de yuans (soit environ 1 280 milliards d'euros). Les 30 millions d'utilisateurs chinois d'Apple Pay ne représentent donc qu'une goutte d'eau dans ce marché.

De plus, Wechat Payment, géré par Tencent, société de réseaux sociaux et de jeux, et Alipay qui appartient à Alibaba, diffèrent par nature d'Apple Pay. Les deux premiers sont entre la finance et l'Internet, Apple Pay n'est en fait que la virtualisation de la carte bancaire, il suffit de relier sa carte bancaire à son téléphone et de payer avec la carte bancaire via le téléphone. Pendant tout le processus, ce sont les affaires entre la banque et les commerçants. Apple Pay n'a fait que rendre le paiement « mobile ». Alipay et Wechat Payment sont différents.

Avec Alipay et Wechat Payment, le paiement est réalisé en flashant le code QR et en entrant son code bancaire et ils sont utilisables à n'importe quel endroit du moment qu'il y a de la Wifi. Actuellement, Alipay se place au premier rang du paiement mobile avec une part qui avoisinne les 72 % du marché ; Wechat Payment est deuxième avec presque 16 %.

Les deux représentent ce qu'est la véritable e-finance et sont une plate-forme de paiement tierce indépendante du système bancaire. Cette plate-forme permet de résoudre la question de confiance entre les acheteurs et les vendeurs du e-commerce et que les moyens de paiement traditionnels ne pouvaient pas résoudre. De sorte que le cyber-achat en Chine se place aujourd'hui parmi les premiers du monde. Et elle est une garantie principale du bon fonctionnement du marché net invisible.

Aujourd'hui, les jeunes citadins chinois sont déjà habitués à ces moyens de paiement électroniques : repas, divertissement, rechargement du crédit mobile, commande des billets d'avion, achats en ligne, paiement du gaz, de l'électricité et d'eau, virements bancaires, remboursement de carte de crédit, et même gestion financière privée et cyber-financement.

C'est à cause de l'évolution rapide du paiement en ligne que le cyber-achat chinois est l'un des plus volumineux du monde. La fête des achats en ligne du « double 11 » qui a lieu le 11 novembre est la journée au montant maximal des achats en ligne dans le monde. Le jour du 11 novembre 2015, le chiffre d'affaires d'Alibaba s'est élevé à 91,2 milliards de yuans, dépassant de loin la somme totale des affaires des cinq jours de Thanksgiving aux États-Unis. Sans compter les chiffres d'affaires d'une dizaine d'autres compagnies de vente en ligne comme Jingdong ou Suning.

Bien que limité à la Chine, le « double 11 » tend à s'étendre au monde. Jack Ma, qui avait annoncé en 2009 « founir des services aux 1 milliard de consommateurs chinois », a déclaré en avril 2015 que son objectif a été modifié pour « 2 milliards de consommateurs dans le monde ». En fait, une centaine de pays dans le monde ont rejoint ces soldes du « double 11 ». Pour les gens comme Jack Ma, les frontières sont en train de disparaître. Peut-être que dans le futur, un jeune Chinois pourra facilement acheter sur le net une bouteille de Château Margaux, tandis qu'un jeune Français pourra, tranquille sur son canapé, cliquer sur son écran d'ordinateur pour commander le dernier modèle de smartphone Xiaomi.

Tout cela est basé sur les services bancaires et le paiement en ligne. La e-finance marque le début d'une ère nouvelle, qui est d'ores et déjà en train de changer le modèle commercial, les modes de paiement, les habitudes de consommation et le mode de vie de la jeune génération. Elle va même certainement produire un impact puissant sur le futur des échanges commerciaux mondiaux.

Le changement de ce modèle commercial et de cet échiquier provoquerait une nouvelle révolution industrielle qui par un effet domino pourrait entraîner un changement des modes de production. Tout comme l'a prédit John Naisbitt, dans On The Future, « La grande production industrielle pourrait devenir la production de "personne à personne", c'est-à-dire la production en fonction des besoins de chaque utilisateur. »

Internet et le paiement mobile sont en train de fournir un soutien technique pour les perspectives de cette production. Il y a peu de temps, un journaliste chinois en France a fait un reportage montrant que les Français ne connaissaient aucune grande marque chinoise. En effet, la Chine n'en est qu'à ses débuts en matière de grandes marques. Mais le mode d'e-commerce initié par la Chine a rénové une série de maillons intermédiaires entre le producteur et le consommateur (distributeurs, grossistes, agents, magasins, vendeurs, etc.), conservant uniquement un livreur ; le plus important est que ce mode de commerce électronique a permis l'avènement d'une plate-forme de paiement tierce crédible, déclenchant ainsi une révolution à laquelle les consommateurs et les producteurs prennent part activement.

Mais tout cela n'est pas vraiment compris par l'Europe et les États-Unis. Bien que Jack Ma ait été présenté en France dans une série d'articles par Pierre Haski, journaliste de Rue89, ce dernier n'a pas réalisé que Jack Ma a véritablement créé un nouveau mode de consommation par le commerce électronique et qui est susceptible de représenter l'orientation future de l'économie mondiale.

Les Américains, plus ouverts et qui ont créé Apple Pay, ne comprennent non plus qu'Apple Pay, Alipay et Wechat Payment représentent en fait deux différents moyens de paiement de deux époques différentes. Les États-Unis refusent encore l'introduction des moyens de paiement chinois dans ce pays sous prétexte de sécurité. Cela me rappelle ce que dit Ren Zhengfei, président de Huawei, lorsqu'il commente les obstacles que les États-Unis ont dressés à l'entrée de Huawei aux États-Unis : à l'époque de Mao, les États-Unis pratiquaient le blocus contre la Chine pour que celle-ci reste en retard sur les avancées industrielles mondiales. Aujourd'hui, ceux-ci bloquent encore la Chine et empêchent les entreprises comme Huawei d'accéder au marché. Toutefois, ce n'est pas la Chine qui subira la perte, mais eux, quand dans 20 ans, ils réaliseront que faire le blocus de la Chine revient à se mettre en retard sur les technologies avancés et les méthodes d'exploitation avancées et à signer sa propre épitaphe...

 

 

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