CHINAHOY

1-April-2015

La transformation économique : une nouvelle opportunité pour la Chine

 

Un atelier de soudure de la compagnie d'ascenseurs Xide, située dans une zone pilote d'exploitation maritime de Ganyu (province du Jiangsu).

 

Après 30 années d'essor fulgurant, il est normal que l'économie chinoise perde un peu de vitesse. Ce n'est pas le signe que la Chine est dans une mauvaise passe, mais plutôt que le pays effectue une mise à niveau de son système, pour justement préparer l'avenir.

LIU SHIJIN*

La croissance économique, qui a ralenti dernièrement en Chine, devrait tourner autour de 7 % cette année. Dans ce nouveau contexte, nous devons considérer les questions suivantes : quels liens peut-on établir entre ce taux de croissance de 7 % et la réforme économique ? Quel impact ce ralentissement aura-t-il sur la vie des citoyens ? Face aux pressions infligées par l'économie mondiale en récession, vers quels nouveaux moteurs de croissance va se tourner la Chine ? Comment définir les rapports entre le gouvernement et le marché ? Comment surmonter les difficultés liées à la réforme des entreprises d'État actuellement en cours ?

Pour ma part, je reste confiant quant aux perspectives de développement de l'économie chinoise. J'estime qu'après une mise à niveau, cette dernière aura de nouvelles occasions de se développer.

Un ralentissement normal

Lorsque nous parlons de la « nouvelle normalité » de l'économie chinoise, beaucoup se focalisent sur le ralentissement du taux de croissance. Toutefois, ce phénomène ne dépend pas de notre volonté, mais de la « loi du développement économique ».

Il y a cinq ans, nous avons effectué des recherches et analyses sur l'expérience internationale. Les entités économiques ayant réussi à rattraper leur retard sur les pays avancés, comme le Japon, la Corée du Sud, Singapour ou encore les régions chinoises de Taiwan et Hong Kong, ont généralement suivi une règle commune : après 20 à 30 ans d'essor rapide, lorsque le PIB par personne a atteint 11 000 dollars internationaux (indice pour évaluer la parité du pouvoir d'achat), leur rythme de croissance économique a accusé une baisse, rétrogradant à une vitesse « moyennement rapide ».

Le parcours suivi par la croissance économique chinoise n'est pas différent. En 2014, le revenu moyen par habitant a dépassé ce palier de 11 000 dollars internationaux. En conséquence, le ralentissement de la croissance chinoise coïncide avec la tendance observée plus tôt ailleurs dans le monde.

En outre, les moteurs de cette croissance économique chinoise ont changé ces dernières années. L'essor fulgurant connu par le passé résultait d'un pic de demande en produits industriels (acier, matériaux de construction, charbon, produits chimiques...) nécessaires à la construction d'infrastructures et à l'immobilier. Mais cette forte demande, déterminée par le niveau de développement technologique de la société, arrive à un point charnière à un moment donné. Du point de vue de l'offre, la Chine se trouve actuellement au « tournant de Lewis », c'est-à-dire où moins de main d'œuvre issue du secteur agricole vient travailler dans d'autres secteurs, et que la population active globale a commencé à baisser. En même temps, les potentialités d'introduction de nouvelles technologies avancées de niveau international sont dorénavant bien moins importantes que jadis.

Dans ces conditions, la croissance économique chinoise se doit d'appuyer sur la pédale de frein. Il s'agit d'une nouvelle normalité conforme à la loi du développement économique.

Cette chute (de 10 % à 7 %) de la croissance économique chinoise est-elle susceptible d'affecter l'emploi et les revenus des habitants ? C'est une question qui préoccupe la population !

On constate que, ces deux dernières années, l'emploi s'est maintenu. Dans l'ensemble, le marché du travail s'avère satisfaisant, de sorte que de nombreux postes restent à pourvoir. Il va de soi que les diplômés d'universités peinent parfois à trouver une bonne place, mais c'est souvent en raison d'un problème structurel qui s'est toujours manifesté. Il existe, par ailleurs, un chômage dit « volontaire », lorsqu'un individu ne souhaite pas prendre un poste vacant déterminé. Globalement, il n'est pas si difficile de décrocher un emploi en Chine. Certains endroits sont même confrontés à une pénurie de main-d'œuvre.

Quant aux revenus, ils ont augmenté d'autant plus rapidement ces dernières années. L'année passée, les ruraux ont vu leurs salaires croître plus vite que ceux des citadins.

La seconde phase de transformation économique

Selon moi, dans ce passage d'une croissance très rapide à une croissance moyennement rapide, la transformation de l'économie chinoise peut, sur le même modèle, être divisée en deux phases.

La première phase a débuté il y a quelques années, lorsque la croissance de l'économie chinoise a commencé se réduire. Durant cette période, nombreux sont ceux qui tenaient à maintenir la dynamique de croissance rapide, mais la loi du développement économique n'a pas pu être contournée. À partir du mois d'octobre 2014, la baisse de régime de l'économie s'est fait sentir de plus en plus. C'est probablement à ce moment-là que la transformation économique est entrée dans sa seconde phase, qui se traduit par la baisse de la croissance jusqu'à un niveau plancher. Les difficultés rencontrées seront sans doute plus nombreuses, et les défis à relever, plus sévères.

Bien entendu, il est crucial désormais de développer de nouveaux moteurs de croissance. Grosso modo, cet objectif présente trois volets. Premièrement, la demande finale, par exemple, dans les domaines de la construction d'infrastructures et de l'immobilier, autrefois en croissance rapide, comporte encore des possiblités de croissance. Le deuxième consiste à relever la productivité des divers facteurs. Dans certains secteurs, comme les industries de base, le rendement reste très faible. Il sera donc possible de l'accroître considérablement. D'autres encore, comme les industries secondaires et tertiaires, doivent également se moderniser. Le troisième volet appelle à accélérer l'innovation, en combinant par exemple le réseau Internet et le Big Data avec l'économie réelle.

Si la Chine continue à faire valoir son potentiel de développement économique, il lui sera tout à fait possible de maintenir cette croissance moyennement rapide.

À l'heure actuelle, s'observe une véritable ruée sur Internet, qui s'ancre en fait dans la réforme de l'économie réelle. L'e-commerce réorganise tous les maillons des processus d'achat et de vente. Il est vrai que le développement du réseau Internet a conduit un certain nombre de magasins à fermer leurs portes, mais c'est là un phénomène normal. C'est loin d'être un fait nouveau dans l'histoire ! Prenons l'exemple des téléphones fixes qui ont cédé la place aux téléphones portables. Avec l'arrivée des voitures, la bicyclette est devenue un outil d'exercice physique que l'on sort occasionnellement. Et depuis qu'il y a le train, puis le TGV, les gens ne se déplacent plus en charrette.

Toutefois, les nouveaux modèles ne peuvent pas chasser d'un seul coup, tous les formats de vente traditionnels. Par exemple, le réseau Internet ne saurait remplacer la possibilité d'essayer un produit sur place. Par conséquent, ce bouleversement des procédés de vente traditionnels renvoie à un processus de choix et de concurrence. La prochaine étape, plus importante encore, sera la transformation des procédés de production traditionnels. Nous parlons aujourd'hui de l'« industrie 4.0 », qui ambitionne de refonder les industries en faisant appel à Internet et au Big Data.

En outre, une telle transformation doit aussi s'effectuer chez les producteurs, un point très important pour élever la productivité globalement. Ceux qui affirment que les efforts convergent davantage vers la conception de produits Internet que vers le développement de l'économie réelle comprennent mal l'intérêt d'investir dans le web ou les problèmes que la Chine doit résoudre.

Le rôle du gouvernement

Dans la nouvelle normalité, le développement des industries est devenu plus incertain, une grande différence par rapport au passé. D'ailleurs, les entrepreneurs Internet eux-mêmes se lancent dans une orientation et suivent un programme un peu aléatoire. Un certain nombre d'entre eux connaîtront l'échec, car tout le monde ne peut pas réussir. Mais sans essai, comment pourrait-on savoir vers quelle voie se diriger ? Il faut tester un projet sur le marché pour dissiper les zones d'ombre. Ceux qui réussissent prouveront qu'ils avaient choisi un projet initial solide et qu'ils font preuve de compétitivité.

Ainsi, le gouvernement a pour tâche principale de créer un environnement sain pour ces nouveaux entrepreneurs, par exemple, en protégeant les droits de propriété (notamment intellectuelle) et en stimulant l'initiative chez les jeunes. La nouvelle normalité est comparable à un « processus de destruction créative », c'est-à-dire qu'un certain nombre d'entreprises doivent être éliminées pour laisser à d'autres la place pour grandir. Néanmoins, la fermeture d'entreprises ne doit pas porter atteinte à la protection sociale. Les citoyens doivent être couverts par des assurances vieillesse, maladie et chômage. Il faut fournir une nouvelle formation aux travailleurs licenciés pour leur permettre de trouver un nouveau poste. Il faut resserrer les mailles du filet social et créer dans le même temps un environnement de concurrence loyale. Il convient au gouvernement de mener à bien toutes ces tâches, plutôt que de donner des directives relatives à l'orientation technologique ou industrielle à prendre. C'est l'entreprise qui, par ses activités sur le marché, doit déterminer dans quels secteurs il est préférable de se développer et quels produits il vaudrait mieux lancer.

Actuellement, la situation économique mondiale n'est pas brillante. L'économie chinoise aussi subit de fortes tendances à la baisse, de sorte que nombreux portent un regard pessimiste sur le futur de celle-ci. En réalité, elle possède encore un potentiel considérable. Il importe simplement de réaliser avec succès cette transformation économique et de définir le niveau « plancher » convenant à la croissance moyennement rapide. Ainsi émergeront de nouveaux moteurs de croissance qui pourront soutenir le bon rythme trouvé.

Si ces moteurs de croissance fonctionnent à plein régime, alors l'économie chinoise bénéficiera de nouvelles perspectives de développement. Au cours de ces 30 dernières années, la Chine a saisi une première opportunité d'essor. Si sa transformation économique réussit, elle aura droit à une deuxième opportunité, grâce au nouveau modèle de croissance moyennement rapide. Si la première a donné lieu principalement à une croissance quantitative, la deuxième opportunité sera caractérisée par l'élévation de la qualité de cette croissance. Améliorer la qualité de son développement permettra à la Chine d'avoir une économie plus diversifiée et plus prometteuse. Pour y parvenir, nous devons compter encore plus sur notre ardeur et notre créativité.

Évidemment, une opportunité est généralement accompagnée de risques. Si les secteurs obsolètes ne tirent pas leur révérence à temps et si les entreprises stagnent dans un état morose, les prix dans ces secteurs ne pourront pas s'établir à un niveau convenable et les entreprises ne pourront pas obtenir des bénéfices suffisants. Cette situation aggraverait les risques financiers et fiscaux.

En effet, ces derniers temps, l'indice de hausse des prix à la consommation (IPC) était inférieure à 1 %. Et malgré un léger rebond en février, il reste relativement faible. L'indice de prix de production (PPI) a lui aussi régressé depuis plus de 30 mois consécutifs. Ces données sont les signes avant-coureurs d'une déflation. Toutefois, l'origine de cette déflation en Chine n'est pas la même que celle dans les pays occidentaux, qui possèdent une économie de marché mature. Dans les économies matures, la déflation est due à l'insuffisance de la masse monétaire et des liquidités. À contrario, l'économie chinoise ne manque pas d'argent. La déflation procède, dans une large mesure, de la relative surproduction qui a découlé de la croissance rapide de ces trois dernières décennies, en particulier de la dernière. La Chine ne peut pas résoudre ce problème en gonflant sa masse monétaire, mais en éliminant certaines usines. Le retrait d'un lot d'entreprises pourrait permettre d'atteindre un nouvel équilibre, propice à la remontée des prix. Les entreprises compétitives restantes pourront alors générer des bénéfices convenables. Il faut préciser qu'il s'agit maintenant d'une demande pressante. Plus l'on fait traîner le processus, plus le prix à payer sera élevé.

L'autre défi : la réforme des entreprises d'État

Dans le processus de transformation économique, la réforme des entreprises d'État revêt une importance capitale. Actuellement, cette réforme entre dans une phase critique criblée de difficultés. Selon moi, elle doit suivre l'orientation et les points essentiels soulignés à cet effet lors de la 3e session plénière du XVIIIe Comité central du Parti communiste chinois.

Plusieurs problèmes importants sont à résoudre. Premièrement, il faut expliciter que la gestion des actifs et la gestion de l'entreprise, ainsi qu'on les nommait jusqu'ici, doivent se transformer en gestion du capital. Désormais, il nous faut nous concentrer sur le capital de l'État, et non plus sur les entreprises d'État. Deuxièmement, le capital de l'État doit obéir à la stratégie du développement national et accorder la première priorité à l'offre de biens publics, au développement des industries stratégiques et prometteuses, au progrès des sciences et technologies, à la protection de l'environnement et à la garantie de la sécurité nationale. Telles sont les affaires incombant au capital de l'État.

Il faut agir de manière sélective, de sorte que le capital de l'État puisse se concentrer sur ces secteurs en particulier et jouer le rôle qui lui revient. Sur cette base, nous réajusterons et réorganiserons ce capital. Les entreprises doivent au maximum prendre une forme mixte, tandis que leur structure de gouvernance doit progressivement être modernisée. Par ailleurs, une série de réformes internes doit encore être lancée, dont celle portant sur la rémunération des gestionnaires de haut niveau.

Au cours de la réforme, il faut prévenir les éventuelles pertes d'actifs pour l'État. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut barrer la route à la propriété mixte ! L'important reste que les transactions sur les propriétés de l'État s'effectuent de manière ouverte et transparente, en pleine lumière.

La réforme des entreprises d'État est une des grandes orientations politiques fixées par le gouvernement central. Toutes les administrations locales peuvent procéder à des essais de réforme, conformément aux principes fondamentaux définis, afin de découvrir les problèmes qui y ont trait et de déterminer la manière de les résoudre. Ainsi, les méthodes trouvées pourront être généralisées. En conséquence, la réforme des entreprises d'État a besoin d'encourager les initiatives. Si les administrations locales s'en tiennent aux principes spécifiés par la 3e session plénière du XVIIIe Comité central du PCC, sans se laisser influencer par des protestations, si elles travaillent avec entrain et courage, alors la réforme des entreprises d'État prendra une bonne tournure.

(Article rédigé sur la base du reportage envoyé le 12 mars 2015 par Sun Dan, journaliste pour The Paper.)

*LIU SHIJIN est directeur adjoint du Centre de recherche sur le développement relevant du Conseil des affaires d'État.

 

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