CHINAHOY

28-August-2014

La décision de l'OMC ne changera pas la donne...

 

Yang Guohua, directeur général adjoint du Département de la législation sur les traités du ministère du Commerce a déposé une plainte, par le mécanisme de règlement des différends de l'OMC, contre les 13 mesures anti-subvention que les états-Unis avaient lancées contre les produits chinois. (CNSPHOTO)

 

SHI YAN*

Dans une récente affaire opposant la Chine aux États-Unis, l'OMC s'est prononcée en faveur de la Chine. Mais ce n'est pas pour autant que les frictions commerciales sino-américaines attisées par le protectionnisme de l'Oncle Sam vont cesser...

Le 14 juillet 2014, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a jugé que les mesures anti-subvention imposées par les États-Unis, qui concernaient 22 types de produits chinois dont des panneaux solaires, allaient à l'encontre des règles de l'organisation. Les répercussions positives de cette décision se sont immédiatement fait sentir : ce même jour, les actions dans le secteur photovoltaïque crevaient tous les plafonds ! Mais dans un contexte macroéconomique à long terme, quelle influence cet arbitrage de l'OMC aura-t-il sur le commerce extérieur des entreprises chinoises ? Changera-t-elle la situation pour les entreprises chinoises sur le marché américain ? Il convient d'examiner cette question sérieusement.

Les tenants et les aboutissants de la décision

La décision rendue par l'OMC fait suite à une plainte déposée en 2012 par la Chine, qui reprochait aux États-Unis les droits de douane abusifs qu'ils appliquaient sur un certain nombre de produits sidérurgiques et panneaux solaires en provenance de Chine. Plusieurs années durant, les États-Unis ont procédé à des enquêtes à l'encontre des entreprises publiques chinoises, étayant que ces dernières bénéficiaient de subventions implicites leur permettant injustement de réduire leurs coûts de production. En mai 2012, la Chine a présenté devant l'OMC une demande de consultations avec les États-Unis, en réponse à leurs enquêtes et mesures anti-subvention visant 22 types de produits chinois, tels que tubes de forage pétrolier, papiers couchés, jantes en acier, etc. En août 2012, la Chine a sollicité la formation d'un groupe d'experts auprès de l'Organe de règlement des différends de l'OMC, demande qui s'est réalisée au mois de septembre de la même année.

En fait, le litige portait sur la manière dont le gouvernement américain a utilisé ces « droits anti-subvention » et la façon dont il a calculé les subventions accordées aux marchandises chinoises. Selon les dispositions de l'OMC, les mesures anti-subvention ne s'appliquent qu'aux exportateurs étant des « organismes publics ». Les États-Unis n'ont pas, d'après l'OMC, fourni suffisamment d'éléments prouvant que les entreprises publiques chinoises en cause pourraient être considérées comme des « institutions publiques ».

Le 14 juillet 2014, le groupe d'experts de l'OMC a rendu son rapport, lequel soutenait un certain nombre de revendications émises par la Chine. Les mesures anti-subvention imposées par les États-Unis à l'encontre de la Chine enfreignent l'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l'OMC. Les produits chinois dans la ligne de mire des États-Unis, tels que les panneaux solaires qui ont soulevé l'attention du marché, ne sont, par définition, pas soumis à cet accord.

Le ministère chinois du Commerce a salué la décision de l'OMC. En outre, la Chine a exhorté les États-Unis à respecter ce verdict, à corriger dans les meilleurs délais son utilisation abusive de recours commerciaux compensatoires et à garantir aux entreprises chinoises un environnement de libre concurrence. Toutefois, le groupe d'experts a estimé qu'au cours de leurs enquêtes anti-subvention, certaines méthodes pratiquées par les États-Unis n'avaient pas violé les règles de l'OMC. Les États-Unis ont répliqué dans un communiqué que l'OMC avait rejeté « la plupart des accusations » proférées par la Chine et que la conclusion dressée par le comité de règlement des différends était « couci-couça ». Le représentant américain au Commerce, Michael Froman, a estimé que ce jugement était favorable à la Chine : « Le gouvernement américain est en train d'évaluer minutieusement les options disponibles. Nous ferons tout notre possible pour veiller à ce que les mesures compensatoires entreprises par les États-Unis pour combattre les subventions déloyales demeurent solides et efficaces. » La Chine a également déclaré qu'elle étudiait le rapport du groupe d'experts et continuait de suivre de près cette affaire, selon la procédure en vigueur dans le règlement des différends à l'OMC.

Perpétuelles frictions commerciales sino-américaines

La décision de l'OMC a été favorable à la Chine tout en luttant contre l'abus des mesures commerciales correctives des États-Unis. Toutefois, elle n'a pu ni freiner le protectionnisme commercial américain, ni stopper fondamentalement la chronicité des frictions sino-américaines en la matière, ni même contenir la domination économique et financière mondiale des États-Unis. Plusieurs raisons l'expliquent :

Premièrement, la décision de l'OMC ne pourra pas juguler le protectionnisme commercial des États-Unis. La décision a remis en cause de nombreuses mesures tarifaires prises par le gouvernement américain entre 2007 et 2012, émis une résistance à l'outil coercitif des taxes souvent brandi par les États-Unis et sonné l'alarme à l'abus qu'ils faisaient des mesures commerciales correctives. Cependant, sur le plan industriel, l'arbitrage concernait principalement des produits sidérurgiques et photovoltaïques : les uns font partie d'une industrie manufacturière traditionnelle très polluante ; les autres, d'une industrie émergente d'énergies propres. Leur point commun : chacune dispose d'un vigoureux groupe d'intérêts aux États-Unis. La sidérurgie compte des groupes d'intérêts parmi les plus puissants du pays, comme l'Institut américain du métaux et aciers ou encore le Congressional Steel Caucus. Voici un exemple qui témoigne bien de leur grande influence. En 2010, au motif de la sécurité nationale des États-Unis, 50 membres du Congressional Steel Caucus ont déposé une lettre conjointe au ministre des Finances d'alors, Timothy Geithner, demandant au Comité pour l'investissement étranger d'enquêter sur un projet de construction d'usine dans le Mississippi par un groupe chinois, Anshan Iron and Steel. L'objectif était de boycotter l'entrée de capitaux chinois dans l'industrie sidérurgique américaine. Pour ce qui est de l'exportation des produits sidérurgiques chinois vers les États-Unis, évidemment les entreprises et associations concernées déploient des efforts de lobbying auprès du Congrès américain ou du ministère du Commerce, souvent de connivence avec le Congressional Steel Caucus. En ce qui concerne maintenant l'industrie des nouvelles énergies, elle a été soutenue ces dernières années par le gouvernement américain, y recherchant ses propres intérêts. Après l'accession au pouvoir de Barack Obama, face à la crise financière et à la récession économique, la nouvelle administration a stratégiquement développé l'industrie des énergies propres pour surmonter la crise, encourager un nouveau pôle de croissance et reconquérir les plus hautes sphères de l'économie. Le gouvernement fédéral a ainsi introduit une série de politiques et de règlements en appui aux technologies propres. Cependant, outre la R&D, les États-Unis envisageaient également de faire éclore leurs propres entreprises d'énergies propres sur ce marché au potentiel énorme, impliquant de restreindre les importations étrangères pour protéger le marché intérieur. Ainsi, le schéma des intérêts domestiques, les actes des groupes de pression et la politique industrielle aux États-Unis sont autant de barrières que les produits chinois sidérurgiques et d'énergies propres devront franchir pour entrer sur le territoire américain. Cette résistance politique et économique ne tombera pas du jour au lendemain sous le seul coup d'un mécanisme d'arbitrage commercial multilatéral.

Deuxièmement, la décision de l'OMC ne pourra pas changer fondamentalement la divergence de modèle économique et le heurt des avantages industriels entre la Chine et les États-Unis. Comme mentionné précédemment, il existe aux États-Unis d'énormes forces et tendances protectionnistes dans le commerce de l'acier et des technologies d'énergies propres. Si les exportateurs chinois pouvaient éviter ces deux industries, de telles frictions commerciales ne s'observeraient pas. Cependant, c'est précisément dans ces deux secteurs que la Chine dispose d'une capacité excédentaire et de prix avantageux. Dans les années 90, le gouvernement chinois a fortement soutenu l'industrie photovoltaïque, ce qui a engendré son plein essor. Cependant, alors que la production de technologies photovoltaïques augmentait soudainement en Chine, le marché intérieur n'était pas prêt à absorber ces produits : les systèmes électriques traditionnels monopolisaient encore le marché. Dans ce contexte, l'exportation massive à l'étranger s'avérait la solution incontournable à cette surcapacité. Par conséquent, les produits photovoltaïques chinois ont souffert de sanctions à leur exportation, non seulement aux États-Unis mais aussi dans l'Union européenne. Aux États-Unis, en raison de la fluctuation des prix de silicium, du gaz naturel bon marché et de la crise financière de 2008, ont éclaté la bulle des capitaux à risques et celle des technologies propres dans lesquelles le gouvernement américain avait massivement investi, de sorte que les installations traditionnelles fonctionnent encore aujourd'hui aux combustibles fossiles. L'éolien, la bioénergie, les véhicules électriques ainsi que l'industrie des piles à combustible en ont pris un coup, mais c'est le solaire qui a été frappé de plein fouet. Évoluant dans un marché domestique affaibli, des industries d'énergies propres comme le photovoltaïque se sentent désormais menacées par la pression extérieure et cherchent donc naturellement à résister autant que possible à la concurrence internationale et à la lutte sur le marché à travers le protectionnisme commercial. En outre, la révolution du gaz de schiste répondant aujourd'hui grandement aux besoins énergétiques des États-Unis, des industries connexes tentent de développer le marché national et les marchés étrangers, ce qui entravera l'entrée d'autres produits énergétiques venant de l'extérieur.

Troisièmement, la décision de l'OMC ne porte pas atteinte à la place dominante des États-Unis dans le mécanisme des échanges commerciaux internationaux. À vrai dire, la Chine a plus souvent perdu que gagné devant l'Organe de règlement des différends de l'OMC. Citons notamment la récente « affaire des terres rares ». Cette situation montre bien que par rapport à des pays occidentaux, fondateurs et fins connaisseurs des règles de l'OMC, la Chine a encore des progrès à faire. D'autre part, même si les pays émergents ont commencé à défier les règles et l'ordre financiers internationaux établis par les pays occidentaux en matière de commerce international, les États-Unis ne renonceront pas de bon cœur à leurs prérogatives dans les affaires internationales et choisiront de se débarrasser d'« adversaires désobéissants » pour se frayer une voie nouvelle vers le sommet. Comment redéfiniront-ils les règles du jeu et l'accès aux négociations durant les discussions sur l'Accord de partenariat transpacifique et le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement ? Quelles pressions exerceront-ils sur les pays encore exclus des négociations ? Ces deux questions restent actuellement très préoccupantes...

Des opportunités commerciales à rechercher

Mais en plus de s'appuyer sur les règles de l'OMC pour régler les différends, les décideurs des politiques économiques et commerciales de la Chine comme les entreprises chinoises devraient rechercher des opportunités dans le commerce bilatéral sino-américain et sur les marchés mondiaux, en adoptant un regard macroéconomique stratégique.

Par exemple, en termes de méthode commerciale, si le coût de la main-d'œuvre et le réseau de distribution le permettent, il est envisageable de passer de l'exportation à l'investissement direct, en bâtissant sur le sol américain des usines de production et points de vente ; en termes de dialogue bilatéral, les deux pays doivent s'efforcer d'approuver un « lot » de solutions efficaces ou d'apaiser les contradictions économiques et frictions industrielles ; en termes de réglementation commerciale, il convient de renforcer activement les liens économiques et commerciaux bilatéraux comme multilatéraux avec la région Asie-Pacifique, l'Europe, l'Amérique latine, l'Afrique et autres, de sorte à opposer une résistance aux États-Unis qui tentent de construire un nouveau modèle économique et commercial global excluant la Chine.

 

*SHI YAN est professeur au Centre de recherche sur les relations sino-américaines de l'université Tsinghua.

 

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