CHINAHOY

1-February-2016

Sous l’horizon

 

L'intérieur d'un habitat troglodyte.

 

LI YICHUAN et LI SONGWEN*

Briques rouges et tuiles grises, des arbres desséchés autour des murs, des gens qui bavardent, du bétail qui meugle… Voici le spectacle hivernal du village de Beiying dans le Henan. Une scène commune à beaucoup de villages dans le Henan. Cependant, en comparaison avec ce monde animé, les maisons à cour intérieure en sous-sol du village de Beiying donnent un sentiment de tranquillité absolue.

Après avoir traversé une porte en embrasure profonde d'une dizaine de mètres, nous entrons dans la cour d'un vieux villageois, Jing Jianchang. Pour nous, habitués à vivre « hors-sol », c'est vraiment une expérience extraordinaire.

C'est une maison très propre, dans laquelle on trouve même une cave à patate douce, des poulaillers et des auges de stockage. Sous la paille recouvrant une de ses auges, nous découvrons des kakis en train de sécher. Dans une autre cave, du bois de chauffage.

En observant la vaste cour et les huit cavernes qui l'entourent, on peut s'imaginer le travail que cela a pris pour la creuser. Jing Jianchang nous explique qu'une telle cour occupe en général une superficie de 1 à 1,3 mu (de 670 à 870 m²). En général, la construction dure deux ou trois années consécutives.

Après avoir creusé les cavernes, il faut drainer et imperméabiliser. Il faut aussi forer un puits d'infiltration, pour recueillir l'eau de pluie et évacuer les eaux usées. « En plus du puits d'infiltration, j'ai construit un cercle de mur en brique et cinq couches de tuile pour que l'eau ne puisse pas s'infiltrer dans le mur », nous explique M. Jing.

Le plus gros avantage de la cour en fosse réside dans sa température quasi fixe, presque toujours aux alentours de 20℃. La maison est ainsi douce en hiver et fraîche en été. Dans la caverne qui sert de chambre à coucher, un foyer est lié au kang (lit de briques chauffé à la romaine), ainsi on n'a pas froid en hiver.

La construction de la cour en fosse fait appel à la géomancie ou fengshui. Il est admis que le fengshui a une influence sur la prospérité ou la décadence d'une famille. Avant de commencer la construction, les gens invitent donc un géomancien à calculer l'emplacement, l'orientation et la superficie adéquate, et un jour faste pour commencer les travaux de la maison.

En contemplant le ciel depuis le fond de la cour, on se rend compte du passage du temps qui se matérialise dans le déplacement du soleil et des nuages. Dans les fumées qui envahissent la cour au moment du repas, simplicité et naturel s'invitent à la table. Dans ces maisons creusées dans la terre, de génération en génération, la vie coule doucement tel le fleuve Jaune, les traditions se perpétuent au sein de la communauté.

La cour en fosse n'est pas unique au village de Beiying. Sur le plateau de lœss dans le district de Shan, on compte d'innombrables maisons de ce genre.

La grande majorité des habitants d'une cour en fosse sont d'une même famille, le propriétaire habite dans la caverne principale qui est relativement spacieuse par rapport aux autres. À l'heure du dîner, tous les membres de la famille s'assoient autour d'une table dans la cour.

 

L'intérieur d'un habitat troglodyte.

 

Après la visite chez Jing Jianchang, nous somme allés chez Wu Yicao. Elle est âgée de 78 ans. Elle était en train de faire la cuisine dans une caverne bien équipée : fourneau, kang, table, chaises, vaisselle… Que ce soit le plafond noirci ou le papier peint jauni du mur à côté du kang, tout témoignait que Mme Wu vit ici depuis longtemps.

Elle nous raconte qu'elle a quatre enfants et que cette cour en fosse a été construite dans les années 1950-1960. La suivant, nous avons visité la caverne « latérale » où son troisième fils vivait après son mariage. Caressant la main sur les découpages sur la porte, la fenêtre et le mur, Wu Yicao semble toucher la douceur du temps passé.

« Bien qu'il y fasse doux en hiver et frais en été. Les cours en fosse ont aussi de flagrants et nombreux inconvénients : mauvaise ventilation, manque de lumière, humidité après la pluie… », indique Zheng Dongjun, professeur à la faculté d'architecture de l'université de Zhengzhou, spécialiste de la cour en fosse. « De plus, les véhicules ne peuvent rentrer à l'intérieur de la cour. De nombreuses personnes ne veulent plus vivre dans ces habitations car ils les trouvent obsolètes. »

« Depuis les années 1990, beaucoup de gens ont ainsi quitté leur vieille maison. Désormais deux mondes bien différents coexistent : l'un hors-sol, l'autre souterrain », nous dit un villageois du nom de Jing Shengyu.

« Si un homme habite dans une cour comme ça, il aura des difficultés pour trouver une épouse. La première exigence de la famille de la mariée est le logement », ajoute un autre villageois présent. Celui-ci a d'ailleurs troqué sa vieille cour contre une maison en briques il y a quelques années.

Actuellement, les gens qui vivent encore dans la cour en fosse sont principalement des personnes âgées, qui ne veulent pas changer d'environnement ni de logement car ils y sont attachés. D'autres restent car ils n'ont pas la capacité financière pour construire une nouvelle maison hors-sol.

L'animation et le spectacle particuliers des cours en fosse disparaissent ainsi graduellement au fur et à mesure que de plus en plus de familles décident de vivre « sur terre ». D'après Zhang Qi, directeur du Centre culturel du district de Shan, des centaines de cours en fosse disparaissent ainsi chaque année dans le district.

Comment redonner vie à ce patrimoine constitue donc un défi pour le gouvernement local. Aujourd'hui, une zone touristique sur la cour en fosse est en construction. La construction du parc folklorique est terminée dans son ensemble, tandis qu'un hôtel dans une cour en fosse, un office de tourisme et une rue gastronomique prennent forme.

Bai Liangxu, directeur du bureau de projet de construction de la zone touristique nous apprend que le parc de la culture folklorique comprendra une vingtaine de cours en fosse qui communiqueront entre elles. Joliment décorées, éclairées par des lanternes, et agrémentées de nombreux objets anciens, à chaque cour sera conférée un thème : culture agricole, atelier textile, moulin etc...

Pour Yang Yizhong, touriste venu de Xi'an (capitale du Shaanxi), ce sont les cours en fosse qui l'ont le plus intéressé. Du côté sud du parc folklorique, il y a encore une douzaine de cours en fosse laissées dans leur jus, qui font Yang Yizhong trouver le sentiment qu'il attendait. Mais l'atmosphère n'est malheureusement plus celle d'antan où l'on pouvait dire que l' on ne voit pas de village sauf des arbres, pas de maison quand on entre dans le village et personne malgré le bruit des voix.

Aujourd'hui, dans le district de Shan, on recense encore une centaine de villages possédant des cours en fosse. Pour maintenir la vitalité et préserver ce type d'habitation, le gouvernement local essaie d'aider les villageois pour qu'ils préservent cet écosystème original tout en encourageant les habitants locaux à continuer à vivre dans les cours en fosse.

 

*LI YICHUAN et LI SONGWEN sont journalistes au Quotidien de Dahe au Henan.

 

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