CHINAHOY

1-February-2016

A Geng et son tulou hakka

 

Vue aérienne des tulou de Yongding.

 

ZHANG HONG, membre de la rédaction

Chaque matin, A Geng, guide touristique à Yongding, commence sa journée par une présentation de l'architecture hakka à son groupe de voyageurs. Les hakkas sont les descendants de réfugiés de l'ethnie Han chassés du centre de la Chine par les guerres de l'antiquité. Lui-même, à plus de 60 ans, parle le mandarin avec un petit accent. Depuis 2008, l'année où le tulou, c'est à dire les maisons traditionnelles hakka, ont été officiellement inscrite par l'UNESCO sur la liste du patrimoine mondial, A Geng ne connaît plus une seconde d'oisiveté. Chaque jour de nouveaux touristes déferlent dans le village et il leur explique les secrets du tulou.

Il a même, au cours de sa carrière de guide, accueilli ici une dizaine de chefs d'État et de dirigeants chinois, dont Hu Jintao et Xi Jinping, ainsi que des architectes et des anthropologues venus d'une trentaine de pays.

Vues du ciel, ces constructions immenses ont la forme d'une soucoupe volante, sauf qu'elles sont en terre sur une structure de bois, entourant une cour commune. C'est depuis le XIIe siècle que l'on construit ce type de maisons dans le Fujian.

Le district de Yongding, où l'on peut voir ces étonnants bâtiments, est situé au sud-ouest de la province du Fujian, région côtière de la Chine, et il occupe une surface de 2 000 km². La population du district compte 480 000 personnes, principalement des Hakkas. Ce qui fait la particularité de ce lieu, c'est que chaque famille construit son propre tulou. Celui de la famille d'A Geng s'appelle Zhencheng, et c'est un représentant éminent de ce style de construction, c'est pourquoi on le surnomme « le prince des tulou. » Celui-ci, immense, s'étend sur 5 000 m² et comporte plus de 200 pièces.

C'est le grand-père d'A Geng qui a commencé à construire le bâtiment en 1912. La construction a duré cinq ans. En 1985, un modèle de cette construction a été envoyé à Los Angeles, accompagnant celui du Temple du Ciel de Beijing, pour être présenté à l'Exposition universelle des modèles architecturaux, où il a fait sensation. Pourtant, on compte plus de 23 000 tulou dans le district.

La carrière de guide d'A Geng remonte au début des années 80. Déjà à cette époque, des touristes venaient de loin pour visiter les tulou du Fujian. Mais seules quatre familles habitaient là. Comme la tradition locale veut que tout visiteur soit le bienvenu, A Geng accueillait chaleureusement les touristes et leur faisait visiter les vieux bâtiments, offrant même à l'occasion un repas aux voyageurs. Parmi eux, un certain nombre d'experts discutaient des particularités de ces constructions, apportant un point de vue très professionnel. A Geng écoutait et mémorisait tout cela, pour petit à petit étoffer son discours de guide touristique.

 

Zhencheng est un tulou typique.

 

La maison Zhencheng est strictement structurée suivant la philosophie chinoise du Yin et du Yang. Elle se divise en huit parties qui correspondent aux huit figures de divination appelées Ba gua. La famille d'A Geng est installée dans deux de ces ailes qui s'appellent Qian et Tui et représentent donc un quart du bâtiment complet. Il y gère une petite épicerie. Alors que le soleil se couche, quelques enfants envahissent sa boutique en criant « Grand-papa ! On veut de la bouillie des huit trésors ! » Il se lève en souriant pour leur en donner.

Il est surprenant et rassurant de voir que ces bâtisses anciennes sont toujours habitées. Ces anciens bâtiments sont le témoignage du savoir-faire des artisans locaux.

Dans le tulou, la coutume veut qu'avec un bol de riz à la main, on peut s'inviter à goûter la cuisine de toutes les familles voisines. Une autre coutume hakka consiste à enterrer le placenta du nouveau-né pour symboliser que ses racines restent ici pour toujours et qu'il devra revenir au village à la fin de sa vie, quelques soient les tribulations qu'il aura connues entre-temps. Pour le nouvel An chinois, tous les foyers se cotisent à raison de trois ou cinq yuans pour acheter des diptyques, ces slogans colorés que l'on affiche par deux sur le chambranle des portes. Tout le monde met la main à la pâte pour décorer le tulou. L'entraide est permanente chez les Hakkas : si le vent se lève, tout le monde aidera à rentrer les grains de celui qui les a étendus à sécher.

Depuis l'inscription du tulou au patrimoine mondial, les touristes sont de plus en plus nombreux, et ce sont désormais des milliers de voyageurs par jour qu'accueille A Geng. À la haute saison, on en compte jusqu'à 30 000 par jour.

« Autrefois, les jeunes devaient quitter le village pour trouver du travail en ville. Mais aujourd'hui, la majorité d'entre eux restent ou reviennent pour lancer leur propre affaire, restaurant ou agence de voyages. En un mot, le tourisme a totalement changé la donne et a beaucoup augmenté notre revenu », explique A Geng.

À l'approche du soir, après le départ d'un groupe de touristes japonais, A Geng se joint à d'autres voyageurs attablés qui goûtent la cuisine hakka pour bavarder un moment.

« J'aime discuter avec des gens de l'extérieur, nous confie A Geng, dans la société moderne, on a plus d'argent mais moins de bonheur. Ici, nous préservons une petite société harmonieuse. » La boutique du village offre une variété assez limitée de produits de consommation : du thé, des modèles miniatures de tulou, pas de produits modernes. Et afin de préserver l'harmonie du paysage, les lignes électriques sont enterrées. Les rues sont pavées en galets, à l'ancienne.

 

A Geng.

 

Parlant des changements de son pays natal, A Geng les énumère avec détail et précision. Depuis que le site est devenu célèbre, le nombre des touristes est passé de quelques milliers par an à quatre millions en 2014. Autrefois, seules quelques routes secondaires permettaient d'accéder au tulou, mais depuis le gouvernement a investi 500 millions de yuans pour construire quatre autoroutes qui quadrillent la zone et permettent un accès facilité au site touristique.

Dans le village d'A Geng, le boom du tourisme incite les villageois qui travaillaient ailleurs à rentrer au bercail. 600 villageois sont déjà rentrés au pays et l'un après l'autre ils ouvrent des restaurants, des hôtels ou vendent des spécialités locales. La population du village est passée de 2 350 à 3 000 à la fin de l'année derrière. Des jeunes filles mariées dans d'autres régions viennent s'installer avec leur mari.

A Geng a cinq enfants. Son fils aîné Lin Shangkang, professeur depuis dix ans, et sa belle-fille, qui était guide dans une agence de voyages ont démissionné tous les deux de leur ancien poste pour créer leur entreprise. Sa fille mariée est elle aussi revenue avec son mari. Le revenu annuel du ménage, très modeste autrefois avec 40 000 yuans, a quintuplé depuis.

Comme le dit souvent A Geng aux autres habitants du village-bâtiment : « Le tulou est un trésor légué par nos ancêtres. Avec le tourisme, on accumule plus de richesses pour nos enfants. »

Hormis son travail en tant que guide, A Geng a publié des ouvrages de recherche tels que À la Découverte du tulou Zhencheng et A Geng et son tulou. « C'est ici nos racines. Je suis très content de voir ma famille vivre en harmonie », conclut-il.

 

 

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