CHINAHOY

28-April-2014

La diplomatie axée sur la civilisation : une impulsion nouvelle aux relations sino-européennes

 

Le 26 mars 2014, le président chinois visite l'ancien Institut franco-chinois de Lyon.

 

TIAN DEWEN*

Au cours de sa visite dans quatre pays européens et au siège de l'UE, le président chinois Xi Jinping a avancé un nouveau concept visant à promouvoir le développement du partenariat global stratégique mis en place entre la Chine et l'Europe. Basé sur quatre grands thèmes diplomatiques que sont la paix, la coopération, l'enrichissement mutuel et le progrès commun des civilisations, ce concept mettant en avant la notion de « civilisation » devrait guider le développement futur des relations sino-européennes. L'énonciation de ce concept dit de « diplomatie axée sur la civilisation » et son application permettront de dépasser les différences idéologiques et de renforcer le soft power chinois, ce qui aura un impact majeur sur la Chine comme sur le monde entier dans les dix ans à venir.

Traiter les relations internationales du point de vue de la civilisation

Durant sa tournée en Europe, Xi Jinping a commenté les relations sino-européennes sous l'angle de la civilisation. En effet, il a souligné que les deux parties, en tant que représentants des civilisations orientale et occidentale, devaient encourager les échanges et l'enrichissement mutuel, de sorte à favoriser les progrès et la prospérité de la civilisation humaine. Après cette visite présidentielle, le gouvernement chinois s'est empressé de publier de nouveaux documents sur sa politique vis-à-vis de l'Europe, notant l'établissement de ce « partenariat entre civilisations » unissant la Chine et l'Europe, ainsi que « le resserrement futur des civilisations orientale et occidentale, qui, caractérisé par la coexistence dans la différence, l'unité dans la diversité, l'enrichissement et l'inspiration mutuelles ainsi que la prospérité commune, servira d'exemple aux autres civilisations ». Il est facile de comprendre, au vu du contenu de la « diplomatie de civilisation » énoncé ci-dessus, que le traitement des relations internationales du point de vue de la civilisation permettra de transcender les divergences, de mener une coopération mutuellement bénéfique et de réaliser le rêve de paix et de développement auquel aspire toute l'humanité.

En considérant la civilisation, nous pouvons mieux comprendre les tendances actuelles d'internationalisation du monde et de démocratisation des relations internationales. Il s'agit en fait de la réponse qu'a donnée la civilisation humaine diversifiée, équitable et tolérante, pour éviter les conflits entre civilisations. « Si nous faisons preuve de tolérance, le choc des civilisations n'existe pas. Nous pouvons parvenir à une harmonie entre civilisations », a dit Xi Jinping dans son allocution au siège de l'UNESCO. Cette idée a déjà trascendé l'habitude des pays occidentaux de ne parler que des « intérêts d'État ». Elle aide à tisser des relations internationales constructives, qui promeuvent le principe du gagnant-gagnant.

L'année 2014 a marqué le centenaire de l'éclatement de la Première Guerre mondiale et le 75e anniversaire du déclenchement de la Seconde. Ces deux guerres, qui ont pris racine en Europe, ont causé la mort de 85 millions d'individus. Après la Seconde Guerre mondiale, l'Europe a abandonné sa « tradition militariste », et à travers son intégration tournée vers la paix et la prospérité, a réalisé le « rêve européen ». Il recoupe fondamentalement le « rêve chinois » centré sur la paix et le respect, des notions qui établissent la base spirituelle du développement durable et stable des relations sino-européennes. Notons que le rêve européen et le rêve chinois ne s'affrontent pas dans un jeu à somme nulle. Lors de la conférence commémorant le 50e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques sino-françaises, Xi Jinping a indiqué : « Le rêve chinois est une opportunité pour la France, tandis que le rêve français est une opportunité pour la Chine. Faire entrer dans une nouvelle ère ce partenariat global stratégique sino-français étroit et durable : tel est notre choix unanime. Et au cours de ma visite en France, je suis en outre parvenu à un consensus stratégique sans précédent avec le président François Hollande sur divers sujets. J'espère sincèrement que la Chine et la France, ainsi que leur peuple respectif, tout en cherchant à accomplir chacun leur rêve, apprendront à se connaître l'une l'autre et s'entraideront inlassablement, de sorte à réaliser ensemble le « rêve chinois et français ».

Parmi les relations entre grandes puissances, celles qui unissent la Chine et la France sont particulières : il y a 50 ans, les deux pays et les deux peuples ont développé leurs relations bilatérales autour des idées d'indépendance, de compréhension mutuelle, de perspicacité et de coopération mutuellement bénéfique, érigeant ainsi un modèle de coopération étroite et durable entre un pays d'Orient et un pays d'Occident, entre un pays en voie de développement et un pays développé. Ces relations sino-françaises sont nées de la volonté des précédents dirigeants des deux États, qui préconisaient et œuvraient au multilatéralisme, à la multipolarisation du monde et à la démocratisation des relations internationales. Les deux parties étaient donc sur la même longueur d'onde dans leur conception diplomatique. Pour ce qui est de l'avenir, si la Chine et la France réussissent à maintenir cette tradition de communication ouverte et de recherche de terrains d'entente par-delà les divergences, tout en réglant adéquatement leurs différends, alors les relations sino-françaises seront plus stratégiques, stables et prévisibles, ce qui permettra de mieux sauvegarder nos intérêts communs et de faire progresser la civilisation humaine.

Expliquer l'émergence pacifique de la Chine du point de vue de la civilisation

Le président Xi a entrepris sa visite en Europe à l'heure où la situation internationale connaît de profonds changements. En développement rapide depuis une trentaine d'années, la Chine est devenue la deuxième économie du monde et s'apprête, au milieu de ce siècle, à réaliser le grand renouveau de la nation chinoise. En revanche, ces dernières années, la croissance économique ne cesse de ralentir dans la plupart des pays développés ; l'Europe reste embourbée dans la crise de la dette ; et les signes de reprise économique sont faibles. Induits en erreur par la conception traditionnelle que « toute grande puissance pratique l'hégémonie », de nombreux pays craignent l'émergence de la Chine, allant jusqu'à parler de « menace chinoise ». L'application du concept axé sur la civilisation, qui envisage la diplomatie chinoise autour de quatre valeurs que sont la paix, la coopération, l'enrichissement mutuel et les progrès conjoints des civilisations, permettra sans nul doute au monde de mieux comprendre la Chine.

Cette visite de Xi Jinping avait pour but primordial de faire ressortir le caractère pacifique du grand renouveau de la nation chinoise. En juin 1817, alors qu'il était en exil à Sainte-Hélène, Napoléon Bonaparte avait déclaré lors d'une entrevue avec William Pitt Amherst, émissaire spécial de la Cour britannique que l'empereur Yongzheng des Qing avait refusé de recevoir : « La Chine est un lion endormi. Le jour où il s'éveillera, le monde tremblera. » Cette assertion illustre bien la peur que ressentent de nombreux Occidentaux face à la montée de la Chine. Lors de la grande cérémonie pour le cinquantenaire de l'établissement des relations diplomatiques sino-françaises organisée à Paris, le président Xi Jinping a commenté cette théorie de « lion qui s'éveille » : « Ce lion s'est réveillé, mais il se veut pacifique, sympathique et civilisé. » En d'autres termes, il n'y a pas de quoi trembler face à l'émergence de la Chine, car le monde en bénéficiera.

Toujours du point de vue de la civilisation, la politique extérieure pacifique pratiquée par la Chine nouvelle trouve ses racines dans la « culture de l'harmonie » adoptée de longue date par la nation chinoise. La paix, la bonne entente et l'harmonie constituent depuis l'antiquité les valeurs dominantes du peuple chinois, ce qui explique que « la Chine a compté durant longtemps parmi les pays les plus puissants au monde, mais n'a laissé aucun récit portant sur la domination coloniale ou l'agression », a précisé Xi Jinping. À l'avenir, si tous les pays du monde se détachent des idées surannées qu'ils ont cultivé vis-à-vis des rapports internationaux, telles que celles relatives à « la pensée de la Première Guerre mondiale », à « la mentalité de la Guerre froide » et à « la menace chinoise », et s'ils appréhendent le grand renouveau de la nation chinoise du point de vue constructif du gagnant-gagnant, alors ils verront que l'émergence pacifique de la Chine profite à tous les peuples.

Enrichir le partenariat global stratégique sino-européen du point de vue de la civilisation

La coopération internationale est un important moyen pour promouvoir la croissance économique des divers pays. Le 28 mars dernier, le président Xi Jinping a indiqué dans le discours qu'il a tenu en Allemagne à la Fondation Colbert : « Le XXIe siècle sera marqué par la coopération. L'ampleur de cette coopération dépendra de l'ouverture de notre esprit. » Dans le cadre de la diplomatie axée sur la civilisation, cet « esprit » doit procéder d'une attitude constructive, clairvoyante et orientée vers l'avenir. En ce qui concerne la coopération économique et commerciale entre la Chine et l'Europe, l'idée primordiale consiste à voir la croissance de l'autre partie en embrassant le principe du gagnant-gagnant, à saisir les opportunités offertes par le développement de l'autre pays pour promouvoir son propre développement, au lieu de le contrer par le biais de mesures protectionnistes. Ces dernières années, du fait de l'écart entre la Chine et l'Europe en termes de rythme de croissance, de nombreux Européens voient d'un mauvais œil ces relations de coopération entre la Chine et leur pays, une psychose sociale qui laisse s'installer le protectionnisme commercial.

Selon les données de la Direction générale du commerce de l'UE, parmi les 13 enquêtes antidumping engagées par l'UE en 2012, 4 visaient la Chine ; et parmi les 6 enquêtes antisubvention qu'elle a lancées la même année, 3 concernaient la Chine. En réalité, l'UE devrait adopter une attitude plus positive à l'égard de sa coopération économique et commerciale avec la Chine, en tenant compte non seulement des bénéfices que les pays européens ont tirés du commerce avec ce pays, mais aussi des opportunités que la croissance économique chinoise leur a apportées. À l'heure actuelle où la Chine accélère son industrialisation, son informatisation, son urbanisation et sa modernisation agricole d'un type nouveau, ses investissements et sa demande en consommation sont énormes. Dans les cinq ans à venir, la Chine importera des marchandises pour une valeur totale de 10 000 milliards de dollars ; ses investissements combinés à l'étranger dépasseront les 500 milliards de dollars américains ; et plus de 500 millions de Chinois voyageront à l'étranger. Pour l'UE, ces estimations représentent certainement des occasions non négligeables pour promouvoir sa croissance économique.

Pendant sa visite en Europe, le président Xi Jinping a proposé le nouveau concept « d'échanges et d'enrichissement mutuels » tous azimuts avec chacun des pays de l'UE en matière de réforme et d'édification d'un système de gouvernance internationale, à dessein de jeter des bases au développement des relations sino-européennes pour la prochaine décennie. Actuellement, la stratégie de développement élaborée par la Chine s'accorde avec celle de l'Europe. La réforme chinoise est entrée dans une période cruciale où elle doit affronter d'âpres défis. L'Europe, quant à elle, est confrontée à une série de problèmes structurels qu'elle sera amenée à résoudre pour promouvoir sa stratégie intitulée « Europe 2020 ». La multiplication des échanges et le renforcement de la coopération entre la Chine et l'Europe affermiront sans aucun doute les succès obtenus dans la réforme et le développement des deux parties.

Parallèlement, la Chine et l'Europe partagent des points de vue identiques quant à la multipolarisation du monde. Leur coopération en matière de gouvernance mondiale affiche donc un grand potentiel. Le président chinois a déclaré lors de sa visite en Europe que la Chine espère maintenir une étroite communication et coordination avec l'Europe dans ce domaine, pour travailler ensemble à l'édification d'un système de gouvernance internationale plus transparent, juste, rationnel et efficace. La mise en place de ces échanges sino-européens tous azimuts, couvrant affaires intérieures et extérieures des deux parties, jouera un rôle considérable dans le tissage de liens internationaux inédits, dans la sauvegarde de la paix mondiale et dans le soutien au développement commun. Les relations bilatérales réaffirment ainsi leur rôle constructif après le triste épisode de la guerre froide.

La méthode fondamentale pour promouvoir les progrès de la civilisation humaine est de renforcer les échanges et les coopérations entre les peuples. En mai 2011, la Chine et l'UE ont décidé, dans la continuité de leur Dialogue économique et commercial de haut niveau et de leur Dialogue stratégique de haut niveau, d'initier « un mécanisme de haut niveau sur les échanges culturels et les échanges humains », qui deviendrait le troisième pilier des relations sino-européennes. Au cours de sa visite, Xi Jinping a mené des dialogues approfondis avec des hommes politiques européens, partageant ses opinions sur des questions clés comme celle de la simplification des échanges bilatéraux de personnel, afin d'étendre et de renforcer les échanges humains entre la Chine et l'UE. Il a indiqué qu'à l'ère de la mondialisation, « la compréhension mutuelle est un processus fondamental pour promouvoir le développement des relations interétatiques ».

À cet égard, l'intensification de la coopération des médias est particulièrement importante. Ces dernières années, les médias européens réalisent majoritairement des reportages négatifs sur la Chine, donnant une mauvaise image de ce pays au public européen. Ainsi, la Chine a-t-elle appelé les deux parties à stimuler conjointement les échanges et coopérations dans le monde des médias et de l'édition, à mettre sur pied un mécanisme de dialogue régulier entre les presses chinoise et européenne et à l'affermir sans cesse, ainsi qu'à entreprendre des coopérations sous diverses formes et par de multiples canaux. L'objectif est de rendre l'opinion publique plus favorable, en vue de créer un meilleur environnement au développement sain et stable des relations sino-européennes. Tous ces éléments sont intrinsèquement liés au nouveau concept chinois de « diplomatie axée sur la civilisation ».

*TIAN DEWEN est chercheur à l'Institut des études européennes relevant de l'Académie des sciences sociales de Chine.

 

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