CHINAHOY

1-April-2014

Wang Youling : enseigner le chinois et apprendre à vivre en France

 

Wang Youling aide des lycéennes françaises à faire leurs devoirs.

 

LAURENT CASSAR, membre de la rédaction

Wang Youling est tombée amoureuse des paysages de la Côte d'Azur.

Depuis quelques années, la demande en cours de chinois dans les collèges et lycées français est en très forte hausse. À la rentrée 2013, ils étaient plus de 37 000 jeunes Français à apprendre le chinois, ce qui représente une hausse de 400 % par rapport à l'année 2003. Ce changement rapide des préférences des Français en matière de langues vivantes a un peu pris de court l'éducation nationale qui a du mal à répondre à cette demande soudaine, en particulier en ce qui concerne les professeurs de mandarin. Youling – ou Yolande, son prénom français – a 24 ans et est originaire de Linyi, au sud de la province du Shandong. Après avoir étudié le français pendant quatre ans à l'université Ludong (à Yantai) et avoir été brillamment diplômée, elle se porte candidate à un programme lancé par le ministère français de l'Éducation nationale qui propose des contrats d'un an en tant qu'assistante professeure de mandarin à des jeunes diplômés chinois.

Alors que la plupart des candidats choisissent Paris comme lieu de chute préférentiel, Youling choisit l'académie de Nice, car elle préfère le soleil et les « petites villes ». Et oui, à l'échelle de la Chine, Nice et ses 350 000 habitants, la 5e ville de France, est bien une petite ville ! Son modeste salaire de 800€ par mois (pour 12 heures de travail hebdomadaire) ne lui permettant pas de louer un appartement dans la région tout en vivant décemment, elle a trouvé sur Internet une famille d'accueil à Cagnes-sur-Mer, jolie petite ville au bord de la mer Méditerranée à 10 minutes de Nice, qui lui loue une chambre libre dans leur maison. Un peu comme une deuxième famille ! Cela lui permet en outre de pratiquer davantage son français et de goûter à de nombreuses spécialités culinaires françaises qu'elle n'aurait sans doute pas découvertes seule.

Des systèmes scolaires très différents…

Youling travaille dans deux lycées : le lycée Matisse, à Vence (joli petit village provençal de l'arrière-pays), et le lycée Renoir, à Cagnes-sur-Mer. Est-ce facile de passer en deux mois d'étudiante en Chine à professeure en France ? « Franchement, au début, ce n'est pas facile, admet-elle. Surtout la première fois que je suis allée au lycée, ils étaient nombreux devant le portail à bronzer sous le soleil et beaucoup fumaient. Je ne m'attendais pas à ça. Et puis, les lycéens français sont grands, contrairement à moi. Ils ont des physiques plus mûrs que les Chinois. Malgré qu'ils n'aient que 15 ou 16 ans, ils en paraissent 20 ou même plus… Mais une fois dans la classe, je me sens mieux. Je leur parle en chinois », dit-elle. Youling n'est pas seule dans ses classes : elle travaille en binôme avec une professeure chinoise, une Pékinoise qui vit maintenant depuis 20 ans en France et qui est mariée avec un Français.

Ses étudiants apprennent en général le chinois (le chinois mandarin), car ils voient l'importance grandissante que prend la Chine dans le monde. Une minorité seulement était intéressée par la culture chinoise. Le mandarin est la troisième langue étrangère qu'apprennent ses élèves et est une matière optionnelle. « Je trouve que les lycéens français sont un peu feignants, décrit-elle, ils ne font pas assez d'efforts. Il faut observer des règles pour bien écrire : ordre et orientation des traits. Mais ça semble très difficile pour les étrangers. » Elle découvre aussi des établissements et un système éducatif aux antipodes de la Chine : « Les lycées français sont beaucoup plus petits que les lycées chinois. Et puis en Chine, les classes sont parfois composées de 60 ou 70 élèves. Dans les écoles, les élèves portent l'uniforme jusqu'à leur entrée à l'université. En France, il y a beaucoup moins d'élèves et plus de liberté dans les classes. Par exemple, ce n'est pas la peine de se lever pour répondre aux questions », indique-t-elle. Voilà pour la forme. Mais sur le fond, la vie d'un lycéen, est également très différente dans les deux pays. Youling souligne l'énorme charge de travail qu'ont les jeunes Chinois pour préparer leur gaokao, le baccalauréat chinois. « On travaille à peu près 12 heures par jour, dit-elle. À 7h du matin, on fait la lecture matinale ; de 8h à midi et de 14h à 18h, on a des cours ; puis de 19h à 22h, nous faisons nos devoirs. Il y a une énorme concurrence entre les élèves. Les lycéens chinois ne profitent pas de la vie, contrairement à ici. » Les jeunes Chinois sont également en grande majorité internes dans leurs établissements scolaires, alors que les jeunes Français rentrent tous les soirs dans leurs familles. Elle note aussi le peu de livres scolaires qu'ont les étudiants français (en partie dû aux directives visant à ne pas faire porter de lourdes charges aux adolescents), et le fait que les étudiants doivent attendre dans le couloir que leur professeur vienne leur ouvrir la salle de classe. En effet, les jeunes Français étant bien plus indisciplinés et imprévisibles que leurs homologues chinois, il ne viendrait pas à l'idée aux professeurs de laisser une vingtaine de lycéens dans une pièce sans surveillance, ne serait-ce que dix minutes…

… et une manière de vivre très différente

Au niveau de la vie quotidienne, Youling découvre une façon de vivre très différente, un mode de vie plus lent et moins stressant. « La plupart des Chinois mènent une vie très fatigante. Il y a trop de monde en Chine, donc la concurrence est féroce. On n'a pas d'autres choix que de travailler dur : si on ne travaille pas bien, on va être remplacé. On ne sait pas profiter de la vie », remarque-t-elle. Et puis, il y a le dimanche… Le fameux dimanche « à la française », où personne ou presque ne travaille et où presque tous les magasins sont fermés. « En Chine, le dimanche, je me levais à la même heure que les autres jours de la semaine pour aller étudier à la bibliothèque comme mes camarades, raconte-t-elle, car si on se lève trop tard, il n'y a plus de place. En France, le dimanche, c'est repos, on ne travaille pas. C'est bizarre de voir qu'il n'y a presque personne dans les rues le dimanche matin. » Mais ce style de vie a parfois ses petits inconvénients ; les choses ne vont pas assez vite pour Youling. « Il faut au moins une semaine pour avoir une carte bancaire par exemple, je ne comprends pas pourquoi… J'ai aussi vu une grève : un groupe de taxis a bloqué la route en klaxonnant et a créé un gros embouteillage ! »

Mais globalement, la jeune professeure est charmée par la France. Par la Côte d'Azur et ses petits immeubles anciens au bord de la mer Méditerranée, mais aussi et surtout par les us et coutumes français : « On dit toujours 'bonjour' aux gens qu'on croise dans son immeuble, même si on ne les connaît pas. Au supermarché ou dans le bus, les gens disent toujours 'bonjour', 'merci', et 'au revoir'. À mon avis, la politesse française est l'une des raisons du romantisme de la France. » Quand certains sont déçus par la France, trouvant le pays beaucoup moins romantique et pittoresque qu'ils ne l'imaginaient, Youling a des étoiles dans les yeux et est loin de démentir les clichés : « La France, c'est un pays de vin, de parfum, de fleurs et de romantisme. On boit du vin à table en mangeant et il y a beaucoup de fleuristes dans les villes et sur les marchés. Les gens se font des bisous sur la joue (ndlr : la bise) quand ils se voient et se quittent, et on voit souvent des amoureux s'embrasser en public. » On croirait lire l'introduction d'une brochure faisant la promotion du tourisme en France ! Elle déplore néanmoins le manque de toilettes publiques (il y en a énormément en Chine) et l'habitude qu'ont les Français de boire de l'eau froide, voire glacée. « C'est le contraire en Chine : je bois de l'eau chaude », dit-elle.

Dans un futur proche, elle aimerait rester quelques années en France, même si elle a un petit ami en Chine qui l'attend. Elle apprécie le fait d'avoir beaucoup plus de vacances, et beaucoup moins de pression. Néanmoins, les Français ne semblent pas avoir la même perception des choses qu'elle. « Beaucoup de Français m'ont dit qu'ils veulent aller en Chine. Ils disent qu'en France, il y a trop de taxes, et que beaucoup de choses ne leur plaisent pas. Ils en ont marre de la France. Et beaucoup d'étudiants chinois qui font leurs études ici ajoutent qu'il est difficile de trouver un bon travail en France, que le chômage est élevé. »

En attendant, Youling apprécie sa nouvelle vie dans sa « nouvelle famille » où elle est considérée par le couple qui l'héberge comme leur « troisième fille ». Qu'est-ce que cette expérience lui a déjà apporté ? « Je découvre la vie et la civilisation française en améliorant mon français oral, résume-t-elle. J'apprends peu à peu à profiter de la vie. La vie à rythme lent. »

 

La Chine au présent

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