CHINAHOY

29-September-2014

Le réveil de la loi anti-monopole...

 

Au deuxième semestre 2014, les constructeurs automobiles Audi, BMW et Mercedes-Benz font l'objet d'enquêtes anti-monopoles en Chine. (CFP)

 

Les récentes enquêtes anti-monopoles menées par la Chine n'ont pas pour dessein d'inquiéter les entreprises chinoises et étrangères, mais plutôt de leur garantir un meilleur environnement concurrentiel.

SHI YAN*

Les régulateurs chinois ont ouvert cette année une série d'enquêtes anti-monopoles. En août dernier, des constructeurs automobiles étrangers, comme Audi et Mercedes-Benz, ont été mis en cause. Ces actions montrent que la loi anti-monopole, entrée en vigueur depuis cinq ans, est bien mise en application. Désormais, la Chine mènera un contrôle anti-monopole régulier dans les activités économiques, à l'image de ce que font depuis longtemps d'autres pays.

Conformes aux pratiques internationales

Ces enquêtes visant les constructeurs automobiles étrangers qu'a récemment lancées la Chine sont similaires à celles effectuées en Europe ou aux États-Unis. Leurs procédures correspondent étroitement aux pratiques internationales.

Les comportements monopolistiques des multinationales sont monnaie courante en Chine. Certaines firmes imposent des prix élevés aux entreprises et consommateurs chinois, des tarifs souvent supérieurs à ceux fixés sur les autres marchés étrangers. Dans certains cas, l'écart résulte des frais de transport, du coût des terrains, des taxes à l'importation élevées en Chine ainsi que des valeurs ajoutées par les différents maillons de la chaîne. Néanmoins, certaines multinationales se livrent vraiment à des activités monopolistiques qui portent atteinte aux intérêts des consommateurs chinois, des comportements que mêmes les régulateurs et usagers européens et américains n'accepteraient pas.

Microsoft, Qualcomm et certaines marques automobiles font aussi l'objet d'enquêtes anti-monopoles en Europe et aux États-Unis. Des statistiques révèlent que le système d'exploitation Microsoft Windows représente une part de 98 % sur le marché international du PC, preuve de la place assurément dominante du groupe. Par ailleurs, en février dernier notamment, les États-Unis et certains pays européens ont lancé des procédures anti-monopoles à l'encontre de constructeurs automobiles japonais, et leur ont finalement imposé des sanctions.

Parallèlement, lorsque la Chine prend des mesures pour tenter de briser le monopole des constructeurs automobiles sur le marché intérieur des pièces détachées, certains fournisseurs européens saluent son approche. Selon plus d'une centaine de fabricants européens de pièces détachées, les grands constructeurs monopolisent le marché des accessoires de rechange et le secteur des services après-vente, tandis que les concessionnaires sont contraints de prendre en charge le garage des voitures et l'entreposage des pièces détachées. Cette situation provoque la montée des coûts pour les concessionnaires comme pour les consommateurs chinois, les prix dépassant parfois ceux affichés sur les marchés étrangers. Mais comme les fournisseurs redoutent d'éventuelles représailles commerciales, ils se gardent de procéder à des déclarations publiques ou de porter plainte face aux manœuvres restrictives. Ainsi, il revient à la Chine de faire appel à la loi anti-monopole pour permettre à ses consommateurs de bénéficier de prix raisonnables.

Les entreprises chinoises ne sont pas épargnées

Lors du 8e Forum d'été de Davos tenu à Tianjin, le premier ministre chinois Li Keqiang a indiqué, devant plus de 200 représentants de multinationales, d'établissements de recherche et de divers médias, que parmi les entreprises concernées par ces enquêtes anti-monopoles, celles d'origine étrangère ne représentaient que 10 %. Ces chiffres mettent en évidence que les investigations anti-monopoles menées par la Chine ne ciblent pas un type d'entreprise en particulier, ni ne font de distinction entre firmes chinoises et étrangères.

Non seulement China Telecom et China Unicom sont dans le viseur, mais les géants chinois de l'agroalimentaire comme Moutai et Wuliangye font aussi l'objet d'actions anti-monopoles. Des compagnies laitières, de marques étrangères telles que Mead Johnson mais aussi de marques chinoises comme Biostime, ont déjà été sanctionnées après procès. Le 2 septembre, la Commission nationale du développement et de la réforme a condamné une vingtaine de compagnies d'assurance chinoises, toutes membres de l'Association des assurances du Zhejiang, à payer une amende d'un montant de 110 millions de yuans pour leur actes monopolistiques, alors que leurs partenaires étrangers, dont la responsabilité n'était pas engagée dans l'affaire, ont été épargnés. Xu Kunlin, directeur général chargé de l'anti-monopole à la Commission nationale du développement et de la réforme, a répété que toutes les entreprises, chinoises comme étrangères, publiques ou privées, seraient passées au crible si elles étaient soupçonnées de déroger à la loi anti-monopole. Le porte-parole du ministère du Commerce, Shen Danyang, a lui souligné que depuis six ans, les enquêtes anti-monopoles visaient tant des entreprises chinoises qu'étrangères, et que ce n'était pas une politique isolée.

En même temps qu'elle multiplie les enquêtes anti-monopoles, la Chine intensifie ses efforts pour lutter contre l'espionnage économique, les violations aux droits de propriété intellectuelle, l'escroquerie, la contrefaçon, etc. La législation de l'anti-monopole et son application se proposent d'instaurer un climat concurrentiel équitable qui permettrait en outre d'alléger les fardeaux supportés par les entreprises, contribuant par voie de conséquence à l'ouverture continue de la Chine. Un environnement concurrentiel juste favorisera en plus l'introduction de davantage d'investissements et produits étrangers en Chine.

Créer un environnement d'investissement plus équitable

Il est de notoriété commune que les États-Unis sont très ouverts aux capitaux étrangers. Toutefois, ils mettent progressivement en place un mécanisme de régulation en l'occurrence, dans le but de filtrer les investissements directs étrangers menaçant la sécurité nationale et les avantages compétitifs des entreprises locales. Lorsque le gouvernement américain sollicite les entreprises étrangères, il garde à l'esprit des préoccupations stratégiques, en matière de commerce, recettes fiscales ou politique de régulation par exemple. Il s'applique à protéger, par le biais de règlements, ses atouts compétitifs sur le marché international en rapide évolution, afin d'assurer une place de choix aux entreprises américaines dans la concurrence de plus en plus acharnée sur les marchés. Ces dernières années, le gouvernement fédéral et le Congrès des États-Unis ont procédé sur leur territoire à des enquêtes et régulations très sévères vis-à-vis d'investissements émis par des entreprises chinoises comme CNOOC, Huawei ou Sany.

En comparaison du mécanisme américain, le processus de régulation chinois à l'égard des capitaux étrangers et des activités des entreprises étrangères n'est pas encore très complet. Autrefois, les critères, procédures et actes de ratification dans le système d'accueil des investissements étrangers n'étaient ni clairs ni précis, ce qui a permis à une multitude d'entreprises polluantes, aux équipements et techniques obsolètes, de s'installer en Chine. Selon des études, depuis la réforme et l'ouverture, nombre de grandes entreprises publiques chinoises ont absorbé des investissements étrangers stratégiques, au point que la cimenterie et la construction navale sont désormais dominées par les entreprises étrangères et que des entreprises leaders de l'industrie mécanique chinoise sont passées aux mains des étrangers. Même certains résultats de recherche détenus par des firmes chinoises de hautes technologies ont été pris lors du rachat de ces dernières. L'industrie lourde étant étroitement liée à l'industrie militaire, ce genre de rachat est à même de porter atteinte à la sécurité industrielle et économique, voire à la défense nationale. C'est pourquoi cet environnement détendu dont les multinationales étrangères tiraient jadis profit est en passe de disparaître. Celles-ci devront faire face à une régulation chinoise plus stricte et détaillée en matière d'anti-monopole, de sécurité alimentaire, de protection de l'environnement et de sécurité financière.

Chaque pays effectue des restructurations politiques et lance des mesures les accompagnant. Il est compréhensible que les entreprises étrangères implantées en Chine nourrissent des doutes ou des craintes quant à leur capacité à s'adapter dans de brefs délais à la réglementation. Cependant, si elles veulent rester présentes sur l'immense marché chinois, il leur faudra bien connaître et estimer la loi anti-monopole ainsi que l'orientation future des politiques du gouvernement chinois.

Mais alors que celui-ci renforce la régulation des investissements étrangers, il encourage leur développement. Une volonté concrétisée notamment par l'établissement de la zone de libre-échange de Shanghai. Cette zone d'essai s'étendant sur presque 29 km² accueillera des réformes pilotes sur l'investissement, le commerce, la finance, l'administration et l'encadrement juridique. Ces réformes, si elles s'avèrent couronnées de succès, seront étendues à l'ensemble du pays. En outre, afin de créer un environnement meilleur pour les entreprises étrangères installées dans la zone, le contrôle sur les devises et les taux d'intérêt sera abandonné, de façon à stimuler les flux transfrontaliers de marchandises et de capitaux. Ces mesures pourraient, d'une part, punir davantage d'infractions, et de l'autre, réduire les restrictions imposées aux entreprises étrangères respectueuses des lois chinoises. Soulignons que tout de même bon nombre d'entreprises étrangères, séduites par les perspectives du marché chinois, souhaitent s'y embarquer sans attendre que soient généralisées les expériences de la zone de libre-échange de Shanghai.

 

*SHI YAN est docteur au Centre d'études sur les relations sino-américaines de l'université Tsinghua.

 

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