CHINAHOY

4-February-2015

Le Nouvel An là-haut, sur la montagne...

 

Les paysages paradisiaques de Dingjiajie. (QIN YUAN)

 

QIN YUAN*

Dans le nord-ouest du Hunan, se pressent touristes chinois et étrangers, attirés par la magie du décor de Zhangjiajie. Fondé par les ancêtres qui s'étaient réfugiés au sommet de la montagne avec leurs familles afin de fuir les brigands, ce lieu est devenu un « coin de paradis » prisés des citadins.

Le village de Dingjiajie est situé dans le bourg de Daping relevant de l'arrondissement Yongding de Zhangjiajie. Faisant face au Parc national géologique du mont Tianmen de Zhangjiajie, ce village constitue la meilleure plate-forme d'observation pour admirer ou photographier le somptueux panorama de montagne.

Ce mont Tianmen, dont le nom signifie « la porte du ciel », est sans conteste un site incontournable de Zhangjiajie. Son sommet relativement plat est recouvert de forêts vierges qui abritent de multiples variétés de plantes rares et précieuses. Le taux de couverture forestière atteint 90 % ! La montagne regorge d'imposants arbres anciens, de vignes grimpantes et de mousse végétale, à proximité desquels trônent fièrement des concrétions calcaires. Le mont Tianmen est ainsi considéré comme le plus beau « jardin suspendu » au monde.

Au printemps et en été, en raison de l'humidité, une épaisse brume s'y élève. Du haut du mont Tianmen, après la tombée de la pluie, on peut contempler un spectacle où dansent avec grâce les nuages. Un vrai délice pour les yeux, qui a valu au mont Tianmen son surnom de « paravent naturel de Zhangjiajie ».

Dingjiajie est un bon lieu de séjour pour les voyageurs désireux de s'approcher du mont Tianmen et de jouir de son patrimoine naturel unique au monde. à la gare de Zhangjiajie, on peut monter dans un bus en direction du bourg de Daping. Vous n'aurez plus qu'à marcher un moment pour atteindre ce hameau tranquille qu'est Dingjiajie.

L'ethnie tujia appelle « jie » les villages de montagne où se réunissait la communauté, d'où le nom Dingjiajie. C'est là que s'était installée une branche de la famille Qin. Les ancêtres, pour échapper aux bandits, avaient été contraints d'établir leur foyer au sommet du mont. Ils avaient alors compté sur leurs propres forces pour trouver de quoi se vêtir et se nourrir décemment. Treize anciennes demeures sont restées sur pied dans ce village à ce jour. Certains habitants ont déménagé progressivement vers la vallée, mais d'autres ne sont pas prêts à renoncer au décor féerique dans lequel ils vivent.

Les anciennes résidences des Qin

Les Tujia qui peuplent ce village, descendants directs de la famille des Qin, ont l'habitude de percher leurs maisons dans les branches des arbres et sur des crêtes rocheuses. Construites en bois sur des fondations en quartzite, ces habitations diffusent une bonne odeur de résine tout au long de la journée.

Ces maisons sur deux étages s'appellent des diaojiaolou : le rez-de-chaussée est laissé vacant ; le premier étage est soutenu par des piliers. Cette structure aérée permet non seulement d'éviter les effets de l'humidité, mais aussi les éventuelles attaques de serpents ou autres bêtes sauvages. La partie inférieure sert souvent de débarras, tandis que la partie supérieure est réservée aux pièces, d'ordinaire un salon et deux chambres. Au milieu de la salle principale se trouvent des tablettes pour le culte des ancêtres ; sur les côtés, les chambres où sont installés les kang (lit monté sur un coffrage de briques et chauffé par le dessous). Une disposition qui invite à la cohésion familiale.

Les familles les plus aisées agrandissaient leur propriété en aménageant une vaste cour carrée. Qin Dongchu, ancien secrétaire de la cellule du Parti dans le village, réside dans l'unique demeure de ce type qui existe à Dingjiajie. M. Qin fait chauffer son kang à haute température pour résister aux hivers froids et humides du Sud de la Chine. Construit en briques et de forme carrée, ce lit est humble et modeste, à l'image des chaleureux montagnards qui y dorment.

Chaque fin d'année, le père tue un cochon pour en faire du bacon : les morceaux de viande à cuire sont accrochés à côté du kang. Les gouttes d'huile qui dégoulinent peu à peu du porc, lorsqu'elles approchent la chaleur du lit, produisent des volutes de fumée. Entre le kang qui réchauffe l'âme des Tujia et les saucisses et le bacon qui pendent au mur en bois à proximité, tout fleure le bon-vivre. Avant d'aller dormir, les membres de la famille de M. Qin dînent et bavardent autour du kang. L'homme range ses outils agricoles ; la mère fait du tricot ; les enfants étudient tout en grignotant des cacahuètes.

 

Banquet traditionnel dans la cour de la maison de M. Qin.

 

La fête de gannian

Alors que près du lit de M. Qin pendent les saucisses et le bacon récemment préparés, les enfants, qui raffolent de ces plats, rentrent à la maison natale pour le Nouvel An chinois. Ces jours de fête insufflent de la chaleur dans l'hiver humide.

Au petit jour, alors que la brume enveloppe la montagne et le village, le chant du coq vient troubler la tranquillité matinale. De même, dans la cuisine de M. Qin, le bois de chauffage se consumant commence à crépiter. M. Qin s'est levé tôt, a décroché le bacon fumé et s'est mis à préparer le dîner de fête pour ses trois fils qui travaillent à l'extérieur.

À l'aurore, tout est toujours aussi calme dans le village. Seules des lanternes rouges ont été accrochées à l'entrée de chaque maison. Le 28 du douzième mois lunaire correspond au gannian, le « réveillon » des Tujia. En fait, les Tujias célèbrent le Nouvel An chinois un jour plus tôt que les Han (ethnie majoritaire en Chine), soit le 29 du douzième mois lunaire lors des « grandes années », et le 28 lors des « petites années ».

M. Qin nous informe que deux légendes circulent sur cette fête des Tujia. La première prend ses sources dans l'antiquité, lorsque d'incessantes guerres mettaient le pays à feu et à sang. Un jour, alors que les Tujia bravaient la mort pour défendre leur village des invasions étrangères, on entendit que les ennemis comptaient lancer une offensive surprise au moment du Nouvel An. Les Tujia devaient donc se préparer à contre-attaquer. Toutefois, ils estimèrent qu'il serait de mauvais augure de ne pas célébrer la nouvelle année. Ainsi, le chef de clan décida d'avancer la fête d'un jour. Le lendemain des festivités, l'ennemi vint comme prévu, et ne s'attendant pas à ce que les Tujia fussent aux aguets, fut battu à plate couture. Dès lors, en commémoration de cette victoire, les Tujia perpétuèrent la tradition de fêter le Nouvel An un jour plus tôt.

La seconde histoire se déroule sous le règne de l'empereur Jiajing des Ming (1368-1644), au moment où les pirates japonais cherchaient à envahir la Chine. Alors que les Tujias étaient en plein préparatifs pour la fête du Printemps (Nouvel An chinois), la cour impériale donna l'ordre de les mobiliser pour qu'ils luttent comme soldats le long de la côte sud-est du pays. Afin d'arriver en temps voulu à l'endroit désigné, les Tujia devaient partir dans l'urgence et donc renoncer aux célébrations du Nouvel An. Alors, le chef décida d'avancer la fête, pour que les futurs soldats en profitent aux côtés de leur famille. Dès le lendemain, ces derniers partirent au front et remportèrent la bataille. En souvenir de cette victoire ainsi que des hommes qui ont péri au combat, les Tujias célèbrent désormais la fête du Printemps un jour plus tôt.

Un banquet à n'en plus finir

Lors de cette fête animée, les familles du village se réunissent autour d'une grande table pour dîner tous ensemble. Qin Dongchu, en tant qu'homme de haut prestige, est chargé de l'organisation. Ce dîner aura lieu dans sa vaste cour. Une fois rentrés, les fils y installent une longue table pour accueillir les habitants locaux et commencent à préparer des ciba (sorte de gâteau traditionnel des Tujia), pendant que les petits les observent, les yeux équarquillés, battre la pâte.

Les Tujia préparent toujours ces gâteaux à l'occasion du Nouvel An. Hommes et femmes de diverses familles se partagent la tâche : il faut faire cuire à la vapeur du riz gluant, transférer ce riz dans un grand bol, l'écraser avec une sorte de rouleau à pâtisserie, le pétrir en boulettes et faire rouler celles-ci pour lisser leur surface. Il est crucial de bien écraser le riz : c'est une étape importante, qui nécessite une grande force. Les hommes qui l'ont fait, même torse nu, ont sué à grosses gouttes. Puis les femmes ont pris le relais, pétrissant le riz tout en bavardant. Une fois prêts, les ciba peuvent être mangés directement, mais aussi être passés au four ou frits. Mais surtout, il est recommandé de les saupoudrer de sucre brun ou de les consommer avec de l'alcool sucré.

Autrefois, il était d'usage d'offrir des ciba aux parents et amis lors de la fête du Printemps. Les enfants apportaient un sac rempli de ciba et frappaient à la porte de leur proches, en lançant : « Bonne année, bonne année, des ciba pour bien manger ! » Une tradition qui trouve son écho dans les étrennes que les adultes donnent aux enfants de nos jours.

Outre les ciba, le tofu est un autre plat indispensable sur la table des Tujia au moment du Nouvel An. Le tofu de Dingjiajie est produit à partir de l'eau de source qui coule en abondance de la montagne, ce qui lui donne un goût particulièrement doux que vous ne serez pas près d'oublier.

Deux jours avant la fête, M. Qin avait plongé des graines de soja dans cette eau de source. Après les avoir égouttées, il faut les mettre petit à petit dans une sorte de moulin en pierre pour les moudre et obtenir un liquide jaune épais. Après, il faut placer ce liquide dans une grande marmite et filtrer les résidus de soja, ajouter un peu de poudre de gypse (sulfate de calcium) et faire bouillir la préparation. Celle-ci est ensuite versée dans un grand cylindre en bois que l'on recouvre. Environ cinq minutes plus tard, il convient de planter une baguette dans le fromage de soja obtenu : si la baguette tient debout, alors sortez le tofu et pressez-le sous le couvercle à l'aide de pierres. Il ne reste plus qu'à patienter quelques heures, et c'est prêt !

Après avoir goûté les ciba, les enfants sont partis s'amuser dans la cour, tandis que les adultes leur demandaient de coller des distiques du Nouvel An. C'est Qin Raoyun, le meilleur calligraphe du village, qui a composé ces distiques pour chacun des foyers. Mais en plus de ces décorations, toute une panoplie d'ornements rouges décoraient la cour, créant une atmosphère festive.

À ce moment-là, alors que les jeunes qui travaillent à l'extérieur rentrent, le « chef » de la ville retire son costume trois-pièces et se met aux fourneaux pour servir ses parents. Le bacon fumé est placé dans un bol. Son bon goût, propre au village natal, est plus savoureux que n'importe quelle autre gourmandise! Pendant ce temps, un grand banquet se prépare dans la cour.

Tout le monde s'installe autour de la table, suivant l'ordre des générations. Chacun se sert un morceau de viande dans son bol de riz et y plante ses baguettes. M. Qin Dongchu fait alors brûler des billets funéraires sous la table. Trois verres d'alcool sont également servis aux ancêtres. Puis des pétards sont allumés pour signaler le début du dîner. Les invités boivent de l'alcool de riz en mémoire des 365 jours passés, puis remplissent à nouveau leur verre en adressant des vœux de bonne année.

Après le repas, les gens se pressent autour du kang, pour bavarder et continuer de grignoter. M. Qin va fumer dans la cour pour se détendre, pendant que ses enfants rangent et que ses petits-fils jouent à faire exploser des pétards. Le temps s'arrête, dirait-on... Et chaque année, à Dingjiajie, les Tujia célèbrent ainsi leur fête du Printemps en se gavant de ciba. Une tradition qui dure depuis 180 années dans la famille des Qin...

 

*QIN YUAN est photographe expert aux studios Badavision.

 

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