CHINAHOY

1-September-2015

Barroso : « Il nous faut saisir l’opportunité que nous offre Paris »

  

José Manuel Barroso.

 

 VERENA MENZEL, membre de la rédaction

Lors du 5e Forum international de Kubuqi sur le désert qui se tenait à cinq mois de la Conférence sur le changement climatique à Paris en décembre, nous avons pu parler à José Manuel Barroso, ancien président de la Commission Européenne et ancien premier ministre du Portugal.

La Chine au présent : M. Barroso, vous avez été, de 2004 à 2014, le 11e président de la Commission européenne, et c'est une période pendant laquelle vous avez entretenu des liens étroits avec la Chine. Comment la coopération entre la Chine et l'UE sur la protection de l'environnement, le développement d'une économie à bas carbone et sur les technologies vertes s'est-elle modifiée et a-t-elle évolué pendant ces dix années ? Quelle est votre évaluation personnelle des progrès accomplis par la Chine sur ces sujets ces dernières années ?

Barroso : Les progrès ont été stupéfiants dans l'ensemble de la coopération entre la Chine et l'Union européenne ces dix dernières années, et je pense que nous avons lieu d'être satisfaits des résultats des dialogues engagés dans les domaines environnementaux et autres. La proposition que la Commission européenne a émis en 2007, qui s'intitulait « package 20-20-20 » et définissait les modalités d'une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre de 1990 à 2020, plus un gain de 20 % d'efficacité énergétique et une croissance de 20 % de la part des énergies vertes dans la consommation énergétique totale, semblait extrêmement ambitieuse à l'époque. Il n'a malheureusement pas été possible de parvenir à un consensus lors de la Conférence de Copenhague sur le climat en 2009 en raison de divergences de points de vue entre certains des principaux acteurs. Mais je crois que les choses se sont arrangées par la suite. Aujourd'hui, on note une grande convergence entre la Chine et l'Union européenne sur la question du climat. Nous comprenons les différences de responsabilité et la nécessité de prendre en considération les divers niveaux de développement économique. Mais en même temps, aussi bien la Chine que l'UE sont conscientes qu'un engagement mondial est indispensable pour lutter contre le changement climatique.

Il y a en Chine aujourd'hui une sensibilité accrue envers les défis environnementaux et la nécessité de lutter contre le changement climatique. Regardant en arrière, je pense que c'est là l'un des domaines dans lesquels nous avons fait le plus de progrès, et que, au-delà du dialogue qui se tient entre l'UE et la Chine il existe aussi une réelle convergence des efforts. Et c'est un point crucial, parce que nous ne pouvons pas nous permettre de manquer l'occasion qui nous est offerte à Paris en décembre prochain. La conférence de Copenhague a été une déception pour nous tous parce que les principaux acteurs mondiaux ne sont pas parvenus à s'aligner sur des positions compatibles. Mais je crois qu'à Paris nous allons sans doute réussir. Le dialogue entre la Chine et l'Europe sera l'un des blocs du futur accord global.

La Chine au présent : La Chine et l'UE sont deux entités économiques parmi les plus importantes du monde. Quelle est votre estimation de leur potentiel de coopération dans le domaine de l'écologie ? Des nouveaux programmes de coopération entre la Chine et l'Europe plus spécialement conçus pour faire face au défi du changement climatique et atteindre les objectifs du développement durable sont-ils en préparation ?

Barroso : Je crois que notre objectif principal est de tous nous rencontrer à Paris. Ce sommet est vital parce que sans le leadership de la Chine et de l'Europe, aucune solidarité n'est possible. La Chine et l'Europe sont deux des principaux acteurs. C'est pourquoi Paris constitue une étape concrète, suite à laquelle les engagements pris pourront se traduire par des tâches concrètes pour chacun des pays participants. Mais pour cela nous avons besoin d'abord d'un accord global.

Mais il existe bien d'autres domaines de coopération concrète. Ceux-ci comprennent par exemple la vision d'une nouvelle Route de la Soie qui a été lancée par le président Xi, qui connectera l'Asie et l'Europe par des moyens de transport plus éco-durables, un concept excellent qui peut jouer un rôle important. La question est : que pouvons-nous faire ensemble pour construire un monde plus écologique ? Je pense que nous devons mobiliser la science, la technologie, l'investissement, non seulement de la part d'institutions européennes comme la Banque européenne d'investissement, mais aussi de la part des gouvernements des pays-membres de l'Europe, et aussi de la part de la Chine. Dans le cadre de ce plan d'ensemble de la nouvelle Route de la Soie nous pourrons mobiliser des ressources financières qui feront aboutir ces projets. De nombreux projets de coopération existent déjà entre les universités et les programmes scientifiques de l'UE et la Chine. Mais il pourrait y avoir encore plus de coopération concrète dans les sciences et les technologies, des formations, un accroissement des capacités et des échanges d'expérience entre l'Asie et l'Europe.

La Chine au présent : Le 24 mars de cette année, la Chine a ajouté le terme « éco-compatibilité » à sa liste de missions politiques. Ceci comprend des objectifs tels qu'une nouvelle modernisation de l'industrie, de l'urbanisme et de l'agriculture. Quelle importance pensez-vous que tout cela va revêtir ?

Barroso : Je crois que cette étape est particulièrement importante, parce que la croissance économique ne devrait pas se faire à n'importe quel prix et devrait respecter certains équilibres écologiques. En Europe, nous avons défendu ce concept depuis déjà quelque temps, sans doute parce que notre industrialisation s'est produite plus tôt qu'en Chine. Notre opinion publique, particulièrement celle des générations les plus jeunes, est extrêmement sensible à ces problèmes. La croissance oui, mais durable.

Voici quelques années ce débat était difficile à cause de l'attitude de certains pays en développement dont l'attitude envers les pays industrialisés était : « Vous parlez de développement durable parce que vous êtes développés et souhaitez que nous restions sous-développés. Mais nous voulons nous développer exactement comme vous l'avez fait. » C'était une situation difficile parce qu'il semblait parfois que l'on se trouvait sur deux rives opposées. Mais notre réponse était de dire « Voyez, vous pouvez éviter certaines des erreurs que nous avons faites ». Nous n'essayons pas de limiter le potentiel de croissance de la Chine. Au contraire, la croissance de celle-ci et des pays émergents est vitale, aussi bien pour eux-mêmes que pour le monde. La Chine est le principal marché de l'Europe. Mais en même temps, nous pensons que ce serait mieux pour tout le monde si la croissance chinoise pouvait être plus respectueuse de l'environnement pour éviter des déséquilibres futurs qui coûteront plus cher à la population chinoise.

Cette idée a connu une évolution ces dernières années et on parvient aujourd'hui à un relatif consensus, conditionné par le principe d'un engagement commun et d'une reconnaissance des différents niveaux de responsabilité. Nous comprenons qu'il est juste que les pays qui ont causé le plus de pollution dans le passé doivent prendre une part de responsabilité plus importante aujourd'hui. Cela dit, ce serait une erreur de la part des pays en développement de répéter les erreurs qui ont été celles des pays précocement industrialisés. La Chine, qui est le premier pays en développement du monde, a déclaré l'éco-compatibilité comme sa nouvelle doctrine officielle et c'est une excellente nouvelle, aussi bien pour la Chine que pour le reste du monde, parce que cela veut dire que le développement de la Chine sera durable.

La Chine au présent : La Chine et les pays occidentaux ont des systèmes de gouvernance très différents. La prise de décision politique, en Chine, s'effectue plutôt de haut en bas que de bas en haut. Considérez-vous cette approche chinoise comme plus efficace ou pensez-vous qu'une priorité plus importante doit être accordée aux initiatives populaires ?

Barroso : Je crois que les deux approches sont importantes, et je suis convaincu que différentes stratégies fonctionnent dans différents contextes. Nous ne pouvons certainement pas avoir une approche unique pour le développement éco-compatible. Nous devons faire preuve de suffisamment de flexibilité pour adapter nos stratégies aux différents contextes. Cela dit, je ne pense pas qu'une approche de haut en bas soit incompatible avec une approche de bas en haut. Je crois que les deux existent en Chine.

Je me souviens d'avoir entendu des dirigeants chinois me dire à quel point les questions environnementales et de changement climatique étaient importantes pour l'opinion publique chinoise. Aussi bien le président Xi Jinping que le premier ministre Li Keqiang ont mentionné, par exemple, qu'une partie importante des préoccupations que les citoyens chinois, et particulièrement les plus jeunes, expriment sur Internet, ont trait aux problèmes d'environnement. Alors même si le système chinois fonctionne plutôt de haut en bas et est plus coordonné qu'en Europe, il me semble qu'on a ici aussi une certaine réactivité aux attentes du public. Au niveau européen, et c'est une discussion qui revient souvent chez nous, notre système de gouvernance est très particulier. Chez nous ce sont 28 pays, et non un seul pays comme la Chine, et donc bien entendu les décisions sont plus longues à prendre et notre système est moins coordonné puisqu'il doit prendre en compte la diversité de nos pays, leurs différences historiques, leurs différences linguistiques mais aussi de perception. Parfois la prise de décision est très longue, mais elle finit par fonctionner, et c'est ce qui compte. L'important est d'avoir une vision commune, de s'entendre sur certains buts, et il ne reste plus qu'à chercher le meilleur moyen d'atteindre ces buts.

La Chine au présent : L'initiative « une Ceinture et une Route » présente une vision politique focalisée sur une voie terrestre, tandis que le modèle de Kubuqi propose un mode d'action. La nouvelle Route de la Soie semble offrir à la Chine une voie de développement pacifique et constructive avec moins de risques. Quelle est votre évaluation du développement rapide de la Chine dans ce contexte ?

Barroso : J'ai travaillé de nombreuses années avec la Chine depuis les années 1980, tant en qualité de président de la Commission européenne qu'en tant que premier ministre du Portugal. Aujourd'hui, évidemment, je ne peux parler qu'en mon nom, mais je crois que l'émergence de la Chine peut s'avérer un scénario bénéfique pour toutes les parties. De fait, lorsqu'on parle de l'émergence de la Chine, celle-ci est toute relative, car la Chine ne fait que regagner la position qui fut la sienne pendant des siècles. Si vous jetez un coup d'œil à l'histoire, la situation des XIXe et XXe siècles n'était pas normale. La Chine, aujourd'hui comme hier, a toujours été l'un des plus grands pays du monde, et elle a été pendant des siècles la première puissance économique mondiale. Bien entendu, puissance économique rime avec des grandes responsabilités.

 

La Chine au présent

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