CHINAHOY

26-September-2013

Le tourisme rural en France

 

Un joli village du Limousin
 

En France comme en Chine, le XXe siècle a été marqué par l’exode rural, les paysans migrant vers les villes à la recherche de travail et de meilleures conditions de vie. Mais ces dernières années, c’est le phénomène inverse qui s’observe : les citadins partent en vacances à la campagne !

ZHONG JUN*

Dans les sociétés contemporaines, que ce soit en France ou en Chine, les activités économiques et culturelles se concentrent dans les villes. Cette dynamique urbaine s’est observée en France principalement après la Seconde Guerre mondiale, et en Chine depuis la politique de la réforme et de l’ouverture, engagée à la fin des années 1970. Cette tendance n’a par la suite pas cessé de s’accélérer, creusant un fossé toujours plus large entre les villes et les campagnes. Mais il semble qu’à un moment donné, au regard des différentes prestations de services offertes dans le cadre du tourisme rural, villes et campagnes, au lieu de s’opposer, ont commencé à se compléter.

En France, l’urbanisation a pris un essor fulgurant suite à la Seconde Guerre mondiale, pendant la période de reconstruction. Les disparités villes-campagnes se sont alors considérablement accentuées. La population quittait les villages pour les grandes agglomérations, attirée par les opportunités d’emploi, le confort et le bouillonnement culturel : ce fut l’exode rural le plus extraordinaire de l’histoire du pays. La Creuse, un département dans la région du Limousin, a ainsi perdu 80 % de ses habitants entre 1900 et 2000. Selon les chiffres de l’Insee, cet exode rural a pris fin vers 1975, peu après la politique de remembrement initiée en 1965 pour laisser place à des migrations villes-campagnes équilibrées, voire a eu tendance à s’inverser depuis les années 1990, phénomène qui a pris le nom de « rurbanisation ». En Chine, l’économie planifiée ainsi que la politique du hukou (système d’enregistrement des familles) ont efficacement maintenu la population dans les campagnes. Mais dès l’application de la politique de la réforme et de l’ouverture décidée en 1978, sous l’effet de la demande accrue en main-d’œuvre, d’abord dans les villes côtières pionnières, puis par la suite, dans d’autres agglomérations en pleine mutation, les vannes de migration vers les villes ont soudainement été ouvertes. Un exode rural sans précédent dans l’histoire de l’urbanisation chinoise s’est ainsi produit. Mais bien que la population citadine soit majoritairement issue des campagnes, les paysans peinent souvent à se faire accepter après leur migration, à cause des dichotomies économiques, culturelles et sociales qui persistent entre villes et campagnes. Une demande faible et l’absence de congés payés ont fait sombrer la campagne dans l’oubli. Ce n’est que dans les années 1990 qu’un intérêt collectif pour le tourisme rural est né au sein de la population citadine, engendrant la création de nombreux services connexes.

Il est frappant de voir à quel point la dernière vague d’urbanisation française et chinoise se ressemblent. Mais en France, l’agritourisme a suivi une forme et un modèle de développement stable et unique, se traduisant principalement par la construction de gîtes ruraux. Ce modèle relativement mature, ainsi que la manière dont l’État et les collectivités locales gèrent le tourisme vert, pourraient servir de sources d’inspiration à la Chine.

En Chine, les auberges qui reçoivent ces citadins en quête de nature sont principalement privées et servaient autrefois à loger les familles d’agriculteurs. Cependant, dès le milieu des années 1990, elles ont commencé à monter en gamme et à diversifier leurs services en proposant par exemple repas, jeux de société, activités de pêche, jeux vidéo, karaoké, cueillette de fruits et légumes, jardinage, voire pour certaines, visite de centres d’expositions sur la culture régionale. Certaines collectivités locales s’en servent même comme salle de réunions officielle, dans l’objectif de réduire leurs dépenses publiques.

Des touristes chinois dans une chambre d’hôtes au château de Collier
 

En France, le premier type de bâtiments pour l’hébergement touristique à avoir émergé dans les campagnes est le gîte. Durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux logis ont été abandonnés dans les zones rurales. À partir de ces propriétés délaissées, une forme simple d’hôtellerie champêtre a vu le jour et a permis de faire revivre les campagnes. Ainsi, la demeure des grands-parents, perdue dans un village presque désert suite à l’exode rural, était souvent transformée en gîte par les petits-enfants après le décès de leurs aïeux. Un gîte est généralement une maison indépendante située dans le même village que celle du propriétaire, et que ce dernier loue pour la semaine ou le week-end. Ce type d’hébergement comporte nécessairement salon, séjour, cuisine, salle de bains, chambre, ainsi qu’équipements de base comme un téléviseur, un réfrigérateur, le chauffage et la literie. Certains gîtes de luxe fournissent parfois l’accès à Internet sans fil. En bref, avec son prix abordable, le gîte rural est un choix judicieux pour la classe moyenne citadine désireuse de partir pour les vacances ou juste pour un week-end.

Les chambres d’hôtes sont un autre modèle populaire de location en milieu rural. Elles font partie intégrante de la maison du propriétaire, et leur capacité d’accueil ne dépasse pas 5 chambres ou 15 hôtes. Le petit déjeuner est souvent compris dans le prix. L’habitant accueille les clients de manière conviviale, peut leur tenir compagnie au petit déjeuner, et peut même leur préparer des dîners en famille, formule que l’on appelle « table d’hôtes ». Il existe également une forme particulière de chambre d’hôtes, et surtout de table d’hôtes, dénommée « ferme auberge », où le propriétaire est un agriculteur professionnel et propose aux voyageurs des produits frais de sa ferme.

Tout comme en Chine, le tourisme rural en France se limite essentiellement aux paysages bucoliques de la campagne et aux activités champêtres. Mais le gouvernement ou les collectivités locales aménagent de nombreuses infrastructures : routes, pistes cyclables, installations sportives, musées, etc.

En termes de superficie, la France ne représente qu’un dix-huitième de la Chine. Néanmoins, les activités rurales et les cultures locales y abondent tout autant. On peut citer en exemple les produits gastronomiques comme le cidre breton, les multiples fromages ou les vins de différents crus. Quant aux loisirs, il y a les randonnées pédestres, le vélo, l’alpinisme et le ski… Et cette liste est évidemment infinie. Tous ces éléments donnent une base solide au développement du tourisme rural. Mais à l’exception de l’hébergement et de la restauration, ces biens et loisirs sont généralement fournis séparément, par des acteurs variés du tourisme rural.

Celui qui propose des locations saisonnières est libre de fixer ses tarifs, et la qualité des services n’est pas contrôlée par des organisations étatiques mais par des organisations indépendantes, lesquelles sont supervisées par le ministère de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme. Parmi les organismes de certification, le plus connu est Gîtes de France, qui accrédite les gîtes ; Bienvenue à la ferme se charge des fermes auberges en particulier ; Accueil paysan s’intéresse exclusivement aux établissements détenus par des agriculteurs de profession ; et les chambres d’hôtes n’ont quant à elles pas besoin d’être accréditées. Souvent constitués sous la forme d’associations, de chambres de commerce ou de syndicats professionnels, ces organismes fournissent des services d’évaluation, de conseils et de publicité aux établissements et leur sont donc souvent d’une aide précieuse.

En France, le tourisme rural a permis de contenir la fuite des paysans et a contribué au développement des campagnes. Aujourd’hui, ce phénomène séduit 30 % des vacanciers et représente 20 % de la consommation touristique nationale. La FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) prévoit que dans un avenir proche, 25 % des revenus totaux des agriculteurs proviendront du tourisme. Bien qu’il soit encore balbutiant en Chine, le tourisme vert suit une croissance intensive, signe du dynamisme du marché des capitaux, mais aussi d’une faiblesse de régulation par l’administration publique. Quoi qu’il en soit, durant cette phase d’exploration, l’agritourisme chinois ne devrait pas hésiter à s’inspirer de l’expérience dont fait preuve le marché français mature. Cette nouvelle tendance contribuera certainement à dynamiser l’économie rurale et à équilibrer le niveau de développement entre les villes et les campagnes du pays.

 

*ZHONG JUN est professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO).

 

La Chine au présent

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