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Les raisins mûrissent...

ZHOU LIN, membre de la rédaction
Deux Allemands, Norbert et Hans, ont cultivé des vignes en Chine ; mais par leur dynamisme, sérieux et bienveillance, ils ont surtout cultivé l'amitié sino-allemande.
Dans le discours qu'il a prononcé à la Fondation Körber le 28 mars dernier durant sa visite en Allemagne, le président chinois Xi Jinping a raconté l'histoire de deux Allemands, Norbert Görres et Hans-Werner Beu : « Un ami allemand prénommé Norbert, expert viticole, s'est rendu 17 fois à Zaozhuang (province du Shandong) avec son adjoint Hans, entre 2000 à 2009. Ils y ont aidé les agriculteurs locaux à moderniser les méthodes de viticulture et de greffage. Norbert a aussi autorisé, à titre gratuit, une fabrique de vin locale à utiliser la marque de son domaine familial plusieurs fois centenaire. Par ailleurs, Norbert et Hans ont parrainé les études de huit élèves issus de familles défavorisées. En 2007, un cancer a été diagnostiqué chez Hans. Sur son lit de mort, il a demandé à Norbert de léguer pour lui 2 000 yuans à deux de ses « filleuls » qui n'avaient pas encore terminé leur lycée. Quand Norbert a remis cet argent entre les mains des deux élèves le 1er août 2008, toutes les personnes présentes à la cérémonie pleuraient. »
Grâce aux efforts de Norbert et de Hans, les 10 000 mu (15 mu = 1 ha) de vignes plantées dans le district de Shanting, à Zaozhuang, sont aujourd'hui chargés de raisins. À l'entrée de leur château viticole à l'européenne, se tient une statue de deux mètres de haut : il s'agit de Norbert, l'air affable, qui accueille ses invités un verre de vin à la main.
Nouvelles méthodes de viticulture
Zaozhuang, qui autrefois vivait principalement de l'industrie charbonnière, souffre aujourd'hui de l'épuisement de ses ressources. Le gouvernement local s'est donc engagé dans une restructuration économique en développant l'agriculture bio pour assurer le développement durable de son économie. En 2000, attirés par un programme officiel de recrutement de talents, Norbert et Hans sont venus à Shanting pour mener une étude du terrain. Dès lors, ils ont créé des liens forts avec Zaozhuang et ont transmis à ses habitants des techniques vinicoles.
« En 2000, j'ai été prévenu que deux experts étrangers allaient venir à Shanting pour y cultiver des vignes. Nous avons donc fixé une première rencontre », a raconté avec son fort accent local Yu Tingbai, conseiller technique âgé de 70 ans travaillant pour le groupe Hannuo.
« Le 13 mars 2000, Norbert et Hans sont arrivés à Shanting. Ils ont d'abord visité, durant quatre jours, plusieurs endroits, dont Zhuangyuan, Xiji, Hongmen et Shuiquan, qui étaient encore des champs à l'époque », se rappelle Yu Tingbai. Puis, ils ont enseigné aux agriculteurs locaux le bouturage et la culture des cépages qu'ils apportaient. Ils ont aussi défriché un lopin de deux mu pour essayer de faire pousser diverses variétés.
Le 27 août de la même année, les deux sont venus pour la deuxième fois à Shanting. Ils ont été satisfaits du bon développement des plants. Les gens de Shanting avaient travaillé dur en suivant rigoureusement les méthodes enseignées par leurs deux professeurs méticuleux, ce qui n'avait pas manqué de rassurer ces derniers.
Ces experts allemands ont laissé une vive impression à Gao Zhenlou, un fruiticulteur de 63 ans installé dans le village de Xilu. C'est dans son champ que les deux experts avaient cultivé des cépages à l'essai. Aujourd'hui, Gao Zhenlou utilise encore un pulvérisateur de plus de 10 kg que Norbert avait apporté d'Allemagne.
« En mars 2001, j'ai vu Norbert et Hans dans le champ expérimental, portant chacun deux sacs d'un mètre de long, lesquels contenaient des plants de vigne. Ils approchaient déjà les 70 ans, mais ne se lamentaient pas pour autant », se rappelle Gao Zhenlou. Ces deux experts allemands sérieux ont réalisé beaucoup par eux-mêmes. Par exemple, lors de la plantation, ils ont mesuré la profondeur des trous et la distance entre chaque plant avec un mètre.
« Norbert, armoire à glace de 1,80 m et 130 kg, ne pouvait s'accroupir avec son embonpoint et était obligé de s'agenouiller pour analyser le sol. Mais cela ne l'avait pas empêché de porter un poteau en ciment de 50 kg, destiné à soutenir les cordons des vignes », raconte Yu Tingbai avec émotion.
Toutefois, Norbert a apporté beaucoup plus que de simples nouvelles variétés de vigne. Il a exprimé : « Durant le temps qu'il me reste à vivre, je vais transmettre mes techniques aux peuples qui en ont besoin. » Ainsi, c'est souvent qu'à Shanting, on a pu observer Norbert, à genoux dans un champ, en train d'apprendre à des agriculteurs chinois des techniques qu'il tirait de sa famille.
Norbert et Hans ont rehaussé la hauteur des raisins par rapport au sol, la faisant passer de 40 à 80 cm, et ont pris l'initiative de réduire la production par mu de 1 000 kg à 750 kg. Ainsi, la perméabilité à l'oxygène et la lumière ont augmenté, améliorant la qualité des raisins.
Lors de leurs 17 visites à Shanting, les deux experts ont donné 25 cours ainsi que 37 séances de démonstration sur le terrain. Ils ont formé plus de 3 200 personnes. Ils ont aidé à résoudre 47 problèmes pratiques et formulé en outre 13 suggestions pour développer davantage les vignobles. De fait, le niveau technique des agriculteurs locaux a nettement crû.
Grâce aux conseils prodigués par Norbert et Hans, Shanting possède aujourd'hui plus de 10 000 mu de plantations de vignes et de cerisiers de bonne qualité. Ces arbres fruitiers affichent une production annuelle de 14 millions de kg et rapportent environ 300 millions de yuans à leurs agriculteurs. « Les bonnes années, je touche un revenu net de 100 000 yuans », confie le paysan Gao Zhenlou.
« Aujourd'hui, on estime qu'il est difficile de trouver ailleurs de Chine des raisins dont la qualité égalerait celle des nôtres », affirme Yu Tingbai avec fierté.
Cristallisation des raisins
Par l'intermédiaire de Norbert, la société vinicole sino-allemande Hannuo – Han et Nuo étaient les noms chinois de Hans et Norbert – a été créée en 2006. Né d'un investissement total de 220 millions de yuans, l'entreprise peut désormais fabriquer chaque année 600 000 kl de vin haut de gamme et 200 000 kl de jus de fruits. « L'argent a été alloué par la Chine, tandis que les plants de vignes et les équipements ont été importés d'Allemagne. Les techniques de vinification ont été enseignées par les deux experts eux-mêmes », souligne Wang Yunxiang, président du conseil d'administration de la société.
« Tous les plans de l'usine ont été d'abord dessinés par Norbert et Hans, puis les techniciens chinois les ont reproduits sur ordinateur. Ils travaillaient souvent jusque tard dans la nuit », se rappelle Wang Yunxiang.
Wang Zhaoke, diplômé de l'Université d'agriculture et de sylviculture de la Chine du Nord-Ouest, est chargé de la vinification. Selon lui, Norbert était très sérieux et exigeant : seul le vin conforme à certaines normes pouvait être étiqueté avec la marque de sa famille. La majorité des producteurs chinois congèlent plus de dix jours le raisin. Les deux experts allemands exigeaient de sauter cette étape pour maintenir la saveur originelle des fruits.
En neuf ans, Norbert et Hans ont apporté 91 variétés de plants de vigne, qu'ils plantaient au printemps puis examinaient en automne. Finalement, 16 variétés considérées comme adaptées aux conditions locales ont été retenues, parmi lesquelles sept destinées exclusivement à la production de vin.
Dans son pays d'adoption, outre ses apports dans le secteur vinicole, Norbert a financé la scolarité d'élèves nés de familles pauvres, pour qu'ils puissent poursuivre leurs études à l'université.
À 200 m au nord du groupe Hannuo, se trouve l'école secondaire n°18 de Zaozhuang. Ci Fuling, qui y est aujourd'hui professeur de chimie, a bénéficié de l'aide de Norbert et de Hans au moment où les difficultés financières de sa famille allaient le contraindre à interrompre ses études. « À cette époque, je m'étais déjà résolu à abandonner l'école. Mais ces deux papys m'ont chacun donné 4 000 yuans, une somme astronomique pour moi. » Grâce à leur soutien, elle a fini ses études secondaires et a été admise à l'université.
Pendant leurs neuf années passées à Shanting, ces deux Allemands ont aidé huit étudiants de familles démunies à achever leurs études, en donnant un montant cumulé de 32 000 yuans.
Chaque fois qu'ils arrivaient à Shanting, ils allaient manger chez Gao Zhenlou. Les gan bei « cul sec » qu'ils lançaient tels de vrais Chinois rythmaient le repas. Et quand on leur demandait ce qu'ils désiraient manger, ils répondaient toujours des nouilles. « À Shanting, les nouilles représentent la fréquence des échanges, ce que n'avaient pas manqué d'imprimer dans leur mémoire Norbert et Hans », explique Yu Tingbai.
En mai 2009, Norbert, alors âgé de 76 ans, est décédé en Roumanie des suites d'une maladie. Le gouvernement du district de Shanting a alors dépêché des représentants en Allemagne pour présenter ses condoléances. De plus, le Conseil des affaires d'État (gouvernement central chinois) lui a décerné le « Prix de l'Amitié » à titre posthume.
Une succession assurée
Les décès de Norbert et de Hans n'ont pas sonné le glas du programme de recrutement de talents. Les cœurs chinois et allemands étaient déjà liés par des sarments de vigne.
Le 18 août 2010, la statue de Norbert a été dévoilée à Zaozhuang, en présence de son petit-fils Marc Linden et de l'épouse de ce dernier. Fidèle à la volonté de Norbert et de Hans, Marc a repris le poste de conseiller technique au groupe Hannuo et a accordé la licence de marque de son domaine familial Sun Mountain.
En Allemagne, Norbert est communément surnommé « Professeur Vin ». Il jouit d'une grande réputation parmi l'industrie vinicole dans son arrondissement natal d'Ahrweiler. L'ancien chancelier Gerhard Schröder lui avait même décerné la médaille de « héros ».
Marc a été très ému d'entendre que lors de sa visite en Allemagne en mars 2014, le président Xi Jinping avait parlé de la contribution de son grand-père à l'amitié sino-allemande. « C'est un très grand honneur : on le loue encore en Chine cinq ans après qu'il nous a quittés. Tellement de gens lui sont encore reconnaissants pour sa contribution à l'égard de la Chine. Je pense que lui-même, de là-haut, s'avère heureux de ce qu'il a fait. »
« Mon grand-père considère la Chine comme son deuxième pays. Moi aussi, je suis tombé amoureux de ce beau pays ainsi que de son peuple sincère et accueillant », poursuit Marc avec tendresse.
Dès son enfance, Marc a appris les techniques de viticulture et de vinification auprès de son grand-père. Plus tard, il a obtenu une qualification d'œnologue. En 2006, il a officiellement pris en main le domaine fondé par son grand-père. Et enfin, aujourd'hui, c'est en Chine qu'il remplace son aïeul.
Selon Marc, le bon vin naît d'une bonne culture. Grâce aux efforts que son grand-père avait déployés pour cultiver la terre pendant une dizaine d'années dans sa région natale, l'industrie vinicole d'Ahrweiler s'est depuis transformée avec succès.
« Cette vision à long terme de mon grand-père était aussi valable pour la cause vinicole en Chine. L'amitié entre Ahrweiler et Shanting, il l'a cultivée comme l'on produit du vin à partir de plants de vigne, compare Marc. Telle est l'expérience la plus précieuse que j'ai apprise de mon grand-père. Désormais, c'est à moi qu'il revient de transmettre l'héritage matériel et spirituel que mon grand-père a laissé derrière lui. »
La Chine au présent