CHINAHOY

30-July-2014

L'e-médecine commence à voir le jour en Chine

 

Le 10 août 2011, une opération a été conjointement effectuée par des médecins venus du monde entier via Internet, dans l'hôpital n°2 affilié à l'École de médecine de l'université du Zhejiang. (CFP)

 

LUO YUANJUN, membre de la rédaction

À la mi-juin 2014, les consultations s'enchaînent sans encombre aux urgences de l'Hôpital du peuple, dans l'arrondissement Nanhai de Foshan (province du Guang-dong). Et pourtant, le directeur de ce service indique qu'en 24 heures, un minimum de 400 patients y étaient admis, le record s'étant un jour établi à 800. À vrai dire, depuis que l'arrondissement Nanhai s'est mis aux Big Data à visée médicale, plus besoin de faire la queue durant de longues heures pour un rendez-vous !

Fin avril dernier, a été lancée pour les citadins de l'arrondissement Nanhai une plate-forme de gestion de leurs dossiers médicaux. En s'y connectant, les internautes peuvent avoir accès à des informations comme le récapitulatif de leurs consultations, leurs ordonnances ou leurs bilans médicaux. Grâce à ces données, les médecins urgentistes sont informés, plus rapidement et de manière plus complète, de l'historique médical d'un sujet, réalisant ainsi un diagnostic plus avisé. Cette plate-forme facilite donc l'interaction entre médecins et patients, tout en faisant bénéficier ces derniers d'un service de soins plus personnalisé.

Internet et la médecine traditionnelle : une intégration accélérée

Dès 2010, le gouvernement chinois a décidé de créer une plate-forme informatique médicale à trois échelons (au niveau du pays, des provinces et des préfectures ou villes), ainsi que d'établir deux banques de données fondamentales (une consacrée aux archives et une consacrée aux dossiers médicaux. Recourir aux Big Data est déjà devenu une stratégie clé mise en œuvre par la majorité des établissements médicaux pour améliorer la qualité de leurs soins et leur compétitivité, ainsi qu'accélérer leur rythme de croissance et d'innovation.

L'e-médecine consiste grosso modo à relier à l'Internet mobile collecte de données vitales, suivi médical, consultations, diagnostics et traitements, par le biais de dispositifs médicaux portables intelligents et de l'analyse des Big Data. Toutes ces informations pertinentes ne se limitent plus au support papier ni à l'enceinte des hôpitaux : elles peuvent être mises en ligne, circuler librement, être téléchargées et partagées, de sorte que les médecins d'autres provinces peuvent tout aussi facilement établir un diagnostic.

Outre ces dispositifs médicaux portables, d'autres outils mettant à profit les Big Data se généralisent également. Le 24 mai 2014, 100 praticiens ont participé à la première Formation à l'échelle nationale des médecins de campagne, qui a été inaugurée à Chengmai (province de Hainan). Au-delà des compétences générales, cette formation portait sur l'utilisation d'une nouvelle technologie utile à la prestation de soins. Chacun des 2 476 villages de Hainan est équipé de cet appareil, qui permet de recueillir les informations médicales de 5 millions de villageois.

Avec cet outil, les médecins de campagne peuvent mesurer la tension artérielle, la glycémie, la fréquence cardiaque, etc. L'appareil étant relié à un ordinateur, les données sont stockées dans ce qu'on appelle le cloud et peuvent ainsi être consultées au jour le jour par les médecins de campagne, les hôpitaux de district ou de canton, voire les grands hôpitaux de Beijing. Ces données, mises à jour en permanence, sont d'une grande aide à l'établissement de diagnostics.

Ce système permet donc de relier les établissements médicaux de district, de canton et de village. Les médecins de campagne décident, selon la gravité de la maladie, d'où sera traité le patient : à son domicile, dans un hôpital de canton ou dans un hôpital de district. L'hôpital de campagne joue ainsi le rôle de « gare de triage ». Dans le village de Luoyi au district de Chengmai, le dossier médical de 4 828 habitants a été établi, 31 065 examens médicaux ont été menés, et des relevés sur la pression artérielle, la glycémie et le rythme cardiaque de patients ont été publiés, énumère le médecin de campagne Li Shouxing. Dans le passé, il notait par écrit les résultats des examens, le résumé de ses consultations et la médication de ses habitués, ce qui n'était guère pratique pour conserver les informations, et encore moins pour les échanger.

Consultation en ligne

À la fin de 2013, en Chine, plus de 2 000 applications mobiles dédiées à la santé avaient été développées par plus de 500 sociétés spécialisées. Parmi elles, Chunyu Yisheng (Médecin de poche Pluie printanière) est la plus consultée. Avec cette application d'autodiagnostic et de consultation, il est possible de se renseigner sur les diverses pathologies et de poser gratuitement des questions à des professionnels de la santé.

« Pour ce qui est de l'autodiagnostic, l'usager peut indiquer sur un corps virtuel ses propres points douloureux pour déterminer concrètement ses symptômes, puis s'enquérir des maladies associées, des méthodes de traitement, etc. Si l'utilisateur n'arrive néanmoins pas à identifier son affection par ce biais, il peut recourir au service de consultation, qui lui permet d'entrer en contact avec quelque 5 000 médecins exerçant dans de grands hôpitaux du pays, en leur communiquant des photos et vidéos décrivant les maux », explique Wang Rui, un employé travaillant dans le secteur des médias et qui a déjà utilisé Chunyu Yisheng.

L'éditeur de logiciel Chunyu Tianxia, qui a mis au point cette application, a été créé l'été 2011. Elle possède aujourd'hui une banque de données mobile complète sur les maladies. Toutes ces données ont été extraites de livres médicaux autorisés et de bases de données officielles. Aujourd'hui, l'application dénombre plus de 20 millions inscrits. Cette plate-forme rassemble en outre plus de 15 000 médecins des hôpitaux de premier et deuxième rang du pays, qui chaque jour répondent à plus de 25 000 questions posées par les utilisateurs.

« La somme journalière des consultations opérées via ce logiciel dépasse celle de n'importe quel hôpital en Chine. De plus, toute question médicale peut obtenir une réponse dans les 30 minutes. Dans un premier temps, le système classe la question de l'usager dans la spécialité médicale concernée. Puis, les médecins qui ont un peu de temps libre peuvent y répondre et recevront en retour de bonnes ou de mauvaises appréciations de la part des patients. Donc, même au beau milieu de la nuit, il est possible d'obtenir l'avis d'un médecin rapidement », commente Zhang Rui, le créateur de l'application.

« Les hôpitaux réputés sont bondés au quotidien, alors que dans tant d'hôpitaux de second rang, seulement 80 % des lits sont utilisés. À travers notre action, nous tenons à mobiliser les ressources médicales libres pour que celles-ci fournissent des ''petites consultations'' par Internet aux usagers, poursuit M. Zhang. Plus de 95 % des requêtes que les patients font d'ordinaire dans les hôpitaux pourraient être satisfaites grâce à ces ''petites consultations''. Nous n'avons pas pour vocation de résoudre les cas difficiles, mais de délivrer des conseils de santé plus scientifiques ainsi que des consultations pour des maladies bénignes. Si vous ne vous sentez pas en forme, adressez-vous à Chunyu Yisheng ! »

Ainsi, c'est en faisant grandir la communication médecin-patient qu'Internet a le plus contribué au progrès de la médecine traditionnelle. Toutefois, cette communication est censée reposer sur une « base médicale matérielle ». Selon la loi chinoise, un médecin a l'obligation d'exercer dans l'enceinte d'une entité médicale, excluant à première vue la possibilité d'un hôpital en ligne. Cependant, grâce au miracle technologique qu'est Internet, un patient peut recueillir des documents dont son dossier médical établi par le premier établissement dans lequel il a consulté, des images médicales ou des rapports d'examens hématologiques. Ces documents peuvent rapidement être transmis vers l'ordinateur ou le téléphone portable de n'importe quel médecin. Ces données spécifiques reçues, le médecin peut échanger avec le patient en ligne pour lui donner des conseils pertinents.

Opportunités sur le marché de l'e-médecine

Selon un rapport publié par le cabinet d'études de marché américain ABI, en 2016, le marché des services médicaux via Internet sans fil représentera 1,34 milliard de dollars ; 30 millions d'appareils mobiles seront connectés au « réseau local médical » ; les capteurs médicaux sans fil qui s'attachent aisément à la peau seront au nombre de 100 millions.

Ces capteurs peuvent évaluer la température du corps, le rythme cardiaque, le pouls, la profondeur du sommeil, la tension artérielle et le niveau d'oxygène dans le sang de ceux qui les portent. Les données électroniques obtenues peuvent alors être envoyées par e-mail aux patients et aux médecins de famille.

Selon des enquêtes, en raison d'une répartition inégale des ressources médicales en Chine, dialoguer avec son médecin sera toujours plus important pour les patients à mesure que se développe la « médecine mobile » : 64 % des patients espèrent à l'avenir pouvoir communiquer avec leur médecin grâce à un appareil mobile et se disent prêts à payer pour cela ; 73 % sont disposés à débourser de l'argent pour essayer les systèmes de suivi médical à distance ; 46 % souhaiterait recevoir plus d'informations médicales par le biais de l'e-médecine, trois quarts d'entre eux étant enclins à mettre la main au porte-monnaie pour cela.

Les outils de l'e-médecine changeront également avec le temps. Les réseaux mobiles et les smartphones sont le plus souvent utilisés, jusqu'à devenir les moyens les plus populaires pour accéder à des services de l'e-médecine. L'Internet mobile s'avère le premier choix des patients, récoltant 35 % des votes. Mais bien que les patients acceptent majoritairement de payer pour des services médicaux mobiles, le coût de ces derniers demeurera néanmoins le plus grand obstacle à leur utilisation. Les sociétés spécialisées dans ce domaine devraient donc envisager d'offrir ces services à bas prix, voire gratuitement, tout en trouvant des alternatives commerciales pour réaliser du bénéfice.

En Chine, la médecine par Internet suit deux modèles : le B2B, qui s'adresse aux médecins des hôpitaux ; et le B2C, qui s'adresse aux usagers. Et pour l'heure, les applications mobiles peuvent être classées en trois catégories : l'e-médecine, avec par exemple Chunyu Yisheng, qui permet de se renseigner sur les affections dont on est potentiellement atteint et de consulter un médecin ; le suivi des maladies, comme avec Hao Daifu (Bon médecin), qui vise à assurer une surveillance postopératoire, après la pose par exemple d'une prothèse valvulaire cardiaque ; la médication, avec notamment Dingxiangyuan (Jardin de lilas), qui met à disposition des notices de médicaments et des outils de calculs médicaux.

Selon une analyse conduite par iiMedia Research, l'e-médecine n'en est qu'à ses balbutiements en Chine, et son développement se heurte à de nombreuses difficultés, telles que le manque de ressources médicales, le faible recours des hôpitaux publics à l'informatique, ainsi que le petit nombre d'usagers, qui plus est, peu actifs. Chunyu Yisheng est encore en train de chercher des solutions pour se dégager un profit. Bien que les services en ligne fournis soient à l'origine payants, seuls 5 % des usagers les règlent, et tous les bénéfices générés sont utilisés pour rémunérer les médecins. La société doit en outre verser de l'argent aux professionnels qui prennent le temps de répondre aux questions posées gratuitement par les usagers. Les autres recettes proviennent d'entreprises en quête de prospects, comme par exemple des fabricants de produits pour les mères et les nouveau-nés.

 

La Chine au présent

Liens