CHINAHOY

10-October-2015

La gourmandise est un vilain défaut !

 

SÉBASTIEN ROUSSILLAT, membre de la rédaction

Ne dit-on pas 吃饭了吗?(chīfànlema ) « avez-vous mangé ? » en guise de salutation quand on se croise dans les rues ? Mais n'allez pas croire que la personne qui vous salue va vous inviter au restaurant 饭店 (fàndiàn) si vous répondez non. Cette préoccupation pour votre appétit et le salut de vos entrailles n'est que pure politesse.

Cela en dit long sur l'importance que les Chinois donnent à la nourriture 饮食 (yǐnshí). Un dicton rappelle d'ailleurs que « le peuple a pour ciel le manger » 民以食为天 (mínyǐshíwéitiān), et le mot harmonie 和 (hé) est composé du composant des céréales 禾 (hé) et de la bouche 口 (kǒu), ce qui montre bien que manger n'est pas qu'une question de « se remplir l'estomac » 填饱肚子 (tiánbǎodùzi), mais aussi une question politique et sociale. Si tout le monde mange à sa faim 大家能吃饱 (dàjiānéngchībǎo ), alors l'harmonie règne 则天下太平 (zétiānxiàtàipíng).

Une série de « politiques » ont donc été mises en place en Chine à cette fin : la politique du « thé grossier et de la nourriture insipide » 粗茶淡饭 (cūchádànfàn), qui signifie en réalité un repas frugal. C'est une formule de politesse utilisée par les Chinois lorsqu'ils vous invitent à manger. Puis la politique des « trésors de la montagne et des délices de la mer » 山珍海味 (shānzhēnhǎiwèi) qui désigne en fait un repas pantagruélique et délicieux. Pire, vous avez le « repas complet mandchou et chinois » 满汉全席 (mǎnhànquánxí) qui consiste en une centaine de plats. Puis vous avez la politique des « repas familliaux » 家常菜 (jiāchángcài), des « plats secrets » 私房菜 (sīfángcài), des « plats campagnards » 农家菜 (nóngjiācài) et enfin la politique des « huit grandes cuisines » 八大菜系 (bādàcàixì) qui sont en fait les cuisines provinciales les plus connues de Chine, désignant la cuisine du Shandong 鲁菜 (lǔcài), du Jiangsu 苏菜 (sūcài), du Guangdong 粤菜 (yuècài), du Sichuan 川菜 (chuāncài), du Zhejiang 浙菜 (zhècài), du Fujian 闽菜 (mǐncài), du Hunan 湘菜 (xiāngcài) et de l'Anhui 徽菜 (huīcài). C'est surtout la façon de cuisiner 烹饪手法 (pēngrènshǒufǎ) et le goût 口味 (kǒuwèi) qui les différencient.

Allez donc les goûter vous-même. Une fois repu, vous pourrez alors dire « quand on a bien mangé, on n'est plus nostalgique de son pays » 吃饱了不想家 (chībǎolebúxiǎngjiā), car les Chinois croient que bien se nourrir évite l'animosité, les colères et la nostalgie. On dit aussi que pour « attraper un homme, il faut d'abord attraper son estomac ». Visiblement, pour les Chinois, l'estomac 胃 (wèi) est la source de tout bonheur.

Allez à Beijing manger du canard laqué 烤鸭 (kǎoyā), faites-vous péter la panse avec du porc au caramel 糖醋里脊 (tángcùlǐjī), goinfrez-vous de rouleaux de printemps 春卷 (chūnjuǎn), plat typique du Sud de la Chine, dévorez les dim-sum 广东小吃 (guǎngdōngxiǎochī) à Guangzhou, faites-vous péter le bide avec de la vraie 地道 (dìdào) bonne bouffe chinoise 美味佳肴 (měiwèijiāyáo) ! Goûtez à tout 品尝 (pǐncháng), picorez par-ci par-là 尝一尝 (chángyīcháng), « mangez beaucoup un peu » 多吃点 ! (duōchīdiǎn) vous dira-t-on pour vous inviter à prendre votre pied dans votre assiette. Et quand vous aurez bien mangé, bien bu et aurez la peau du ventre bien tendue 吃饱喝足了 (chībǎohēzúle), vous pourrez, entre deux rots satisfaits 饱嗝 (bǎogé), vous exclamer « Ah ! C'était bien bon ! » 真好吃 ! (zhēnhǎochī)

Vous poserez alors vos baguettes 筷子 (kuàizi) sur la table à manger 餐桌 (cānzhuō) et vous serez effrayé par ce qui arrive après : on vous amène « la nourriture » 饭 (fàn). Vous ne saviez pas qu'en Chine, ce mot ne signifiait pas les plats pléthoriques que l'on vous a fait déguster qui se disent 菜 (cài), mais que 饭 (fàn) désigne ce qui va vous achever : le riz 白饭 (báifàn), les pains chinois 馒头 (mántou), les raviolis 饺子 (jiǎozi), les nouilles 面条 (miàntiáo) et autres étouffe-chrétien que l'on sert à la fin du repas. Pour les Chinois, les plats ne sont pas la nourriture principale 菜不能当饭吃!(càibúnéngdāngfànchī).

Et là, vous vous direz : « je vais exploser » 撑死我了 (chēngsǐwǒle). Vous regarderez votre bol de riz 饭碗 (fànwǎn) ou l'assiette de raviolis avec une envie de pleurer, et vous vous repentirez d'avoir pêché par gourmandise ! 贪食 (tānshí).

 

 

La Chine au présent

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