CHINAHOY

5-August-2015

À Tianjin, l’art approche l’architecture

 

Les collages d’Adeline Parrot.

 

CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction

Il y avait d’abord des blocs de béton avec des lettres : au fur et à mesure que l’on gravit les marches de la Pop-Up Galery à Tianjin, les mots se forment et on accélère involontairement le pas pour lire la phrase qui, à chaque tournant, s’enrichit d’un mot, qui en incurve le sens. « Le dernier siècle » est le titre de cette composition qui s’étire sur trois volées de marches.

Puis c’est la salle d’exposition. Minimaliste, dépouillée, de style brut de décoffrage, murs en béton, conduits électriques et tuyauterie apparentes. Au sol, quatre lampes forment quatre caractères chinois qui déclinent un slogan : 艺术无用 (l’art ne sert à rien).

Le thème de l’exposition est « Art Approaching Architecture » : l’architecture constitue le cadre de vie de l’homme, mais il est aussi celui de l’art. Si de nombreuses œuvres d’art arborent des aspects architecturaux, l’architecture elle-même renferme souvent, telle un écrin, des œuvres d’art. C’est sur cette constatation de départ qu’un collectif de jeunes artistes chinois, français et allemands s’est lancé dans l’aventure.

Adeline Parrot, 27 ans, parisienne, fait des collages. Ses œuvres, ici exposées sous le titre « the color and the shape », représentent une vision onirique de l’habitat qu’elle compose à partir de photos découpées dans des magazines. On y voit des intérieurs parfois sobres et parfois kitsch, réorganisés d’un coup de ciseaux avec des meubles, des fenêtres, des portes et des plantes. Les fenêtres s’ouvrent sur un monde décalé, aussi bien du point de vue de la perspective que du contexte, et qui interroge le spectateur sur son propre point de vue. Parfois elle joue sur les matières et les textures très diverses, tapis, tentures, peintures. D’autres fois elle met simplement en opposition des lignes et des perspectives dans un dépouillement de couleurs primaires.

Gao Yan, l’organisateur, m’explique sa démarche : « L’art contemporain en Chine en est à ses débuts. Beaucoup de jeunes artistes veulent s’exprimer mais ils manquent de moyens de le faire. Alors le système D joue un rôle important. Par exemple, pour organiser cette exposition, nous avons pris contact avec un promoteur immobilier ; ces appartements invendus au centre-ville, il a accepté de les transformer provisoirement en galerie d’art. Nous économisons un loyer, ses locaux sont visités par les gens branchés de Tianjin… »

C’est lui l’auteur de la sculpture lumineuse L’art ne sert à rien. « L’art est un luxe, mais c’est un luxe indispensable, parce que c’est lui qui nous rend humains. Un proverbe chinois dit : ‘‘si tu n’as que deux yuans, achète un petit pain et une fleur’’. Ce proverbe exprime bien ma pensée : pour survivre, il faut manger chaque jour, bien sûr, mais il faut aussi contempler quelque chose de beau, de surprenant, de fragile, de rare. » L’art, c’est la fleur.

Dans un coin sombre de la galerie, une scène projetée m’intrigue. Il s’agit de l’installation Sans titre de Wang, un artiste chinois diplômé des beaux-arts de Nice en 2010. Son installation relate des happenings qu’il a organisés en France. Sur l’écran on le voit organiser, sur un coin de trottoir, une sorte d’habitation provisoire faite de meubles récupérés à droite et à gauche. Il apporte une table, un fauteuil, un banc… sur le plan suivant on le voit décharger une étagère d’une camionnette. Petit à petit l’extérieur (le coin de trottoir) devient un intérieur, alors que la rue continue sa vie tumultueuse, les gens se retournant à peine pour observer cette installation. Mais le plan suivant montre la réaction des services de la voirie : pendant la nuit, les bennes de la municipalité viennent enlever ce campement de fortune. On voit les agents municipaux, mi-figue mi-raisin, charger dans le container les débris ici rassemblés…

Juste à côté, Les coins de meubles de M. Niu semblent sortir du mur comme des fantômes qui hantent cet appartement pourtant récemment bâti. Ils échappent au cloisonnement, se dédoublent, conservent, en dépit de ces murs nouveaux censés les déplacer, leur place originelle, forçant les murs à composer avec eux.

Un peu plus loin, on voit des peintures d’un réalisme photographique qui représentent des installations industrielles. Citernes, cheminées, hangars, éclairées d’une lumière crue aux fortes ombres portées, qui soulignent l’a-esthétisme radical de ces zones purement fonctionnelles. À côté, des photos encadrées montrent des maisons endormies éclairées par les lampadaires urbains…

Une vingtaine d’artistes et autant de visions radicalement différentes et complémentaires de l’architecture.

 

 

La Chine au présent

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