CHINAHOY

3-July-2015

La Chine rit de se voir si belle en ce miroir

 

Scène de la série De Concubine à Impératrice.

 

La Chine se mire dans les séries télévisées qui se multiplient sur le petit écran et les tablettes. Enquêtes policières, comédies romantiques, légendes ou histoire, citadins et campagnards, étrangers en Chine et Chinois à l’étranger : tous les thèmes sont abordés, déclinant le rêve chinois sous tous ses aspects.

CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction

L’instant est dramatique ! Les otages ont chacun un pistolet braqué sur la tempe, mais voilà qu’arrive une escouade casquée, cagoulée, masquée. La surprise horrifiée se peint instantanément sur les visages grimaçants des terroristes… qui se reprennent aussitôt ! Voilà qu’une explosion télécommandée par l’un des terroristes fait diversion ! Il parvient inexplicablement à sauter dans une voiture et à s’enfuir, franchissant tous les barrages du site pourtant sécurisé par des centaines de policiers high-tech. La panique générale est restituée par des plans ultra-courts, une caméra secouée comme un prunier, une musique pathétique, tout en cuivres et percussions.

Je viens de rentrer à la maison, exténué par ma journée de travail. Comme tous les jours ou presque, ma chère et tendre se prélasse devant la télé qui diffuse le dernier épisode de Feihu, « les tigres volants », relatant les aventures du GIGN chinois. Une série TV à succès, comme il en existe des dizaines en Chine, qui met en scène le rêve chinois et déroule un scénario aussi divertissant qu’imprévisible. Le temps de poser mes affaires, et me voilà moi aussi captivé.

Cette fois, l’assaut est donné contre un groupe mafieux cerné dans quelque entrepôt sordide ! Des mouvements de kung-fu ultra-rapides succèdent à des enchaînements de commando. Le malfrat cagoulé est encerclé et maîtrisé. Mais voilà qu’on lui arrache son masque : le terroriste empaqueté est en fait l’amoureuse déguisée de l’un des policiers. Surprise ! Coup de théâtre ! Ce coup de filet n’était en fait que la mise en scène romantico- professionnelle d’une demande en mariage ! Toute l’équipe des gardiens de la paix se rassemble : souhaits, vœux, blagues, fusent de tous côtés. Happy end !

Ce romantisme quasiment insoutenable m’indispose, et je lui demande de changer de chaîne. Elle s’exécute mais c’est pour tomber sur une autre série TV : cette fois, c’est sur la mélodie entraînante d’un rap plagiant La Truite de Schubert que nous découvrons les personnages…

Le héros vient d’être démasqué : ses collègues rassemblés dans un bar ont appris que la jeune fille (hôtesse de l’air de son état) qu’il leur avait présentée comme sa petite sœur (depuis 10 épisodes déjà, me souffle-t-on à l’oreille) est en fait sa petite amie. Blagues, roulement d’yeux suggestifs, reproches gentils, bouderies… La particularité de cette comédie romantique qui se déroule à Shenzhen, ce sont des émoticônes qui apparaissent en incrustation pour expliciter les sentiments des héros à différents moments clés de l’intrigue.

Et déjà l’histoire rebondit ! À peine le héros a-t-il avoué la vérité à ses amis proches, voilà que sa mère vient s’installer dans son appartement, et c’est à elle qu’il doit désormais donner le change... Il présente sa copine comme une simple colocataire qu’il connaît à peine. La mère semble se douter de quelque chose, et la copine est d’une docilité confondante, tandis que le malheureux Don Juan se contorsionne dans son vaudeville, se précipite, jonglant avec les demi-vérités et escamotant prestement les indices dans la salle de bain et la chambre à coucher…

C’est la mode : les Chinois ont pris le pli de leurs collègues étrangers et adorent télécharger des séries ou les regarder en streaming, suivre une intrigue emberlificotée et se laisser entraîner par des personnages qui évoluent à travers des difficultés divertissantes ou tragiques. Je m’inquiète parfois du temps de plus en plus considérable que passe ma bonne amie devant ses divers écrans, ses nuits blanches et ses cernes, ses repas pris distraitement en compagnie du jeune premier, de son amie stewardesse et de son chef irascible… Mais j’évite de lui en parler, parce qu’à chaque fois, ça finit en dispute… Je la soupçonne parfois de scénariser nos querelles sur des schémas inspirés des séries romantiques qu’elle affectionne tant.

Avant cela, c’était Ruraux en métropole, une série de 2010 en 23 épisodes. Le 1er épisode nous avait fait découvrir les personnages. Comme souvent, leurs caractères sont ultra-tranchés. Il y a les bons comme le bon riz, à la fois vertueux, travailleurs, honnêtes, courageux, modestes, raisonnables. Et puis, il y a les autres, violents, paresseux, impulsifs, colériques, cupides et dépensiers (à la fois ! ils dépouillent leurs proches pour aller boire ou s’adonner à des jeux d’argent...). Évidemment, des caractères aussi manichéens produisent une intrigue simplette.

Un scénario riche en rebondissements et en sentiments excessifs

Installés à la ville, les vertueux villageois sont confrontés aux fourberies citadines, aux jalousies, aux intrigues, à la paresse et à la superficialité... Bien entendu, la vertu naturelle des villageois finit par triompher : Maître Yu le masseur expert, sœur Yu l’infirmière émérite, oncle Tianlong et sa formule médicale héritée de ses ancêtres, trouvent finalement à la ville des emplois à la mesure de leur talent et de leur dévouement au bien-être des patients. Mais c’est seulement après bien des avanies et des épisodes d’humiliations, de stress et de mauvaises surprises.

Les solidarités régionales et locales sont sans cesse évoquées : « Vous ne pouvez pas me faire ça, nous sommes de la même région » est un argument qui revient souvent et qui clôt la discussion.

La Chine est inondée de séries télé. D’abord celles, innombrables, qui sont produites localement : on parle de quelque 30 000 épisodes par an. Mais aussi les séries américaines, sud-coréennes, japonaises… Luran, 31 ans, me confie : « Oui, je regarde régulièrement les séries chinoises, et j’adore ça. Pas tous les jours, mais presque. J’essaie de sélectionner les plus intéressantes sur les conseils d’amis ou les commentaires en ligne, parce que sinon, on s’y perd un peu. Ces deux dernières années, j’ai suivi une série intitulée De Concubine à Impératrice qui est assez populaire parmi les jeunes. Normalement, je regarde les séries à la télé si je suis à la maison, mais sinon, parfois sur Youku.com sur mon portable. »

La série préférée de Juliette, une collègue à elle, Dazhaimen, retrace la saga d’une famille d’apothicaires sous la dynastie des Qing (1644-1911). Une autre série, qui date de 2005, retrace en 24 épisodes la vie édifiante du héros de la Longue marche, Li Yunlong. Certaines séries datent un peu, mais leur popularité ne se dément pas : Le Pèlerinage vers l’Ouest, un grand classique de la littérature chinoise, a été porté à l’écran en 1986. Les costumes sont simples, les effets spéciaux primitifs, mais la série est toujours rediffusée et reste l’une des plus populaires.

C’est l’une des particularités du cinéma et de la télévision chinois : l’histoire y prime sur le jeu des acteurs. Comme le dit Mark Goodman, acteur américain qui joue ici des rôles d’étranger en Chine : « Le rythme effréné des tournages fait que l’on n’a pas toujours le temps de bien répéter. Tout doit être fait à la première prise. » Une improvisation qui ne choque pas le public chinois qui suit l’intrigue sans chercher à relever les petits défauts du jeu des acteurs. « Je ne saurais pas dire si les séries chinoises sont meilleures ou moins bonnes que les séries américaines… Probablement sont-elles plus adaptées aux goûts du public chinois », me confie Luran.

La marque de fabrique des séries chinoises, ce sont les sentiments excessifs. Le moindre malentendu prend des dimensions épiques : larmes, cris, soupirs partent en un crescendo spectaculaire… Avant que le dénouement ne survienne, aussi imprévisible, suscitant à nouveau larmes (cette fois de joie) et soupirs (de soulagement).

Un produit d’exportation ?

En mars 2013, dans un discours qu’il tenait en Tanzanie, le président chinois Xi Jinping s’est félicité du succès que remporte dans ce pays la série chinoise Doudou et ses belles-mères.

Ces dernières années, les séries chinoises trouvent en Afrique un public de plus en plus nombreux. Des groupes tels que Radio Chine Internationale (CRI) et China International Television Corporation (CITC) travaillent au doublage et à l’exportation vers l’Afrique de séries, films, dessins animés et documentaires made in China.

L’ingrédient magique, dans presque toutes ces séries, c’est le romantisme. Et le romantisme, il faut aller le chercher dans le pays qui en possède les gisements les plus importants : la France. C’est ce que s’est dit le réalisateur de Familles de Wenzhou, dont le titre international est Family on the go, l’une des séries les plus populaires du moment.

La série, produite par Shandong Film and Television, est en tournage dans le sud de la France, autour de Marseille, avec une vingtaine de techniciens mais peu de matériel. « C’est le plus gros succès chinois à la télévision », explique Li Jingxiang, assistante de production de la série. 145 millions de Chinois en moyenne ont suivi les épisodes de la première saison, dont certains se déroulaient à Paris.

La deuxième saison (32 épisodes de cinquante minutes) sera diffusée en Chine à partir du mois d’août. Une version internationale, doublée en anglais, est également prévue.

CCTV propose même sur son site des séries chinoises sous-titrées en français. Comédies romantiques, fresques historiques, histoires policières, légendes anciennes, kung-fu, médecine traditionnelle : tous les sujets ou presque sont abordés (sauf curieusement la science-fiction). Une véritable mine d’or pour ceux qui veulent apprendre le chinois et étudier les expressions propres à chaque situation. Mais aussi pour le portrait fascinant qu’elles offrent de la Chine vue par elle-même : un pays en mutation, plein de situations cocasses, d’héroïsme et de malentendus toujours partis d’un bon sentiment. Hôpitaux futuristes, policiers incorruptibles, enseignants passionnés : la société harmonieuse, illustrée par l’exemple.

 

 

La Chine au présent

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