CHINAHOY

3-November-2014

Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures : volonté ou réalité ?

 

La construction des réseaux électriques, des ponts et chaussées sera l'axe majeur de financement de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures.

BAI MING*

Suite à la crise financière internationale, la structure de l'économie mondiale a progressivement évolué. La division internationale du travail se développant continuellement au fil de la mondialisation économique, le monde se voit confronté à un nombre croissant de défis dans divers domaines. Pour les relever, la Chine a exercé une influence favorable dans la coopération commerciale en Asie-Pacifique via le cadre de l'APEC (Coopération économique pour l'Asie-Pacifique). Mais à l'avenir, c'est en matière de collaboration financière qu'elle jouera un rôle important dans cette région.

Pour l'heure, les plates-formes de coopération que la Chine s'applique à construire comprennent trois banques : la Banque de développement des BRICS, qui sera basée à Shanghai ; la Banque de développement de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), encore en phase de conception ; et la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, dont l'idée a été lancée en octobre 2013 par le président chinois Xi Jinping, alors qu'il effectuait une visite d'État en Indonésie.

Une nouvelle alternative

À l'issue du 4e cycle des négociations sur la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures tenu en août dernier, 20 pays ont manifesté leur désir de compter parmi les membres fondateurs.

Le 2 mai 2014 déjà à Astana (capitale du Kazakhstan), le ministre chinois des Finances, Lou Jiwei, avait participé à une conférence ministérielle visant à établir les préparatifs pour la fondation de cette banque. 16 pays y étaient représentés : Laos, Cambodge, Myanmar, Thaïlande, Vietnam, Malaisie, Singapour, Brunei, Philippines, Indonésie, Kazakhstan, Corée du Sud, Mongolie, Pakistan, Sri Lanka, Chine. Les dix membres de l'ASEAN, avec qui la Chine et la Corée du Sud ont déjà bâti respectivement un cadre de coopération 10+1, étaient présents. Notons toutefois que ce mécanisme de l'ASEAN se borne à la coopération commerciale. Il est encore nécessaire de construire, en complément, une plate-forme destinée à la coopération financière.

Effectivement, selon les prévisions du cabinet de conseil McKinsey & Company, la demande en investissement des pays émergents d'Asie en matière d'infrastructures atteindront 10 000 milliards de dollars entre 2010 et 2020, dont 4 100 milliards pour l'énergie, 2 500 milliards pour le transport, 1 100 milliards pour les télécommunications, ainsi que 400 milliards pour l'eau et la protection environnementale.

Parmi les 16 pays ayant pris part à la conférence ministérielle citée plus haut, certains demeurent encore sous-développés. Ceux-ci manquent de fonds pour mettre en œuvre un certain nombre de projets d'infrastructures. Par ailleurs, à l'heure actuelle, les collaborations entre les membres de l'APEC ne sont pas équilibrées, d'autant plus que certains se sont rapprochés des États-Unis en signant l'Accord de partenariat transpacifique (TTP). Dans ce contexte, la fondation de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, au travers d'une alliance entre la Chine et des membres de l'APEC, revêt une importante particulière. D'une part, elle rééquilibrera coopération commerciale et coopération financière au sein de l'APEC. D'autre part, elle bouleversera, dans une certaine mesure, le phénomène actuel que les pays riches, les grandes puissances et les membres de l'APEC jouent un trop grand rôle dans la coopération économique en Asie-pacifique. En outre, elle aidera les pays sous-développés hors de l'APEC mais géographiquement proches à bénéficier au maximum de leur coopération avec cette association.

Il est incontestable que la Banque asiatique de développement (ADB) a joué un rôle majeur dans le développement économique et la construction des infrastructures chez les pays asiatiques en développement. Mais les besoins réels de la majorité de ces pays ont dépassé les capacités de l'ADB. On estime que chaque année les pays en développement asiatiques ont besoin de 800 milliards de dollars pour bâtir leurs infrastructures, tandis que le montant total des crédits de l'ADB prévu à cet égard n'est que de 10 milliards. Face à cette situation, la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, une fois fondée, ouvrira un nouveau canal de financement.

Une concurrence nécessaire

En matière de fonction et d'orientation, la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures présentera certainement des similitudes avec l'ADB existant depuis déjà une trentaine d'années, en particulier du point de vue de l'octroi d'aides aux projets d'infrastructures dans des pays asiatiques en développement.

Bien entendu, le développement économique de la Chine est étroitement lié au fleurissement de ces infrastructures, car ceux-ci sont financés en grande partie grâce à des crédits de l'ADB, en particulier les projets relatifs aux lignes ferroviaires, au réseau routier et à la protection de l'environnement.

Même si, comme son nom l'indique, les services de l'ADB sont exclusivement destinés aux pays asiatiques, il convient de noter que son actionnariat est relativement composite. En effet, les États-Unis se placent parmi les premiers actionnaires, détenant 12,756 % du droit de vote, au coude à coude avec le Japon. En outre, une grande quantité de pays occidentaux sont également membres de l'ADB, tels que l'Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, la Finlande, la France, l'Allemagne, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, l'Espagne, la Suède, la Suisse, la Turquie et la Grande-Bretagne. À l'heure actuelle, le Japon, les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande ainsi que les pays de la zone euro, disposent ensemble de 50,6 % du droit de vote à l'ADB, ce qui signifie que les décisions importantes prises par cette banque ne traduisent pas suffisamment les demandes émises par les pays en développement.

Les pays développés, avec les États-Unis en tête de file, occupent une position dominante dans la configuration économique mondiale. Cependant, cette suprématie rencontre unilatéralement des défis : le « leadership » de l'économie mondiale, par exemple, est en passe de changer de main. En tant que deuxième économie mondiale et première puissance commerciale de la planète, la Chine aura certainement l'occasion de faire partie des bien heureux gagnants de ce « leadership ». Mais, elle ne possède que 6,429 % des actions de l'ADB, un taux largement inférieur à celui du Japon, haut de 15,571 %. Quant au droit de vote, elle est tout aussi « pauvre », ne représentant que 5,442 %. Il est évident que les parts d'actions et de droit de vote de la Chine à l'ADB ne reflètent pas le statut économique du pays. Ainsi, l'initiative de créer la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures résulte d'une examen approfondi de la part de la Chine : cette dernière souhaite fournir, pour le financement d'infrastructures en Asie, une alternative à l'ADB dominée par le Japon et les États-Unis ; elle voudrait aussi changer la tendance actuelle selon laquelle une poignée d'économies développées jouit d'un droit de parole abusif.

Si la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures est fondée, elle sera inévitablement en concurrence avec l'ADB, voire avec la Banque mondiale. D'après moi, il ne s'agit pas d'un mal : cette situation poussera l'ADB et la Banque mondiale, qui d'ordinaire appâtent les pays en développement avec des prêts pour mieux critiquer par la suite leur système économique, à respecter davantage les demandes légitimes de ces pays. Pour ce qui est des relations entre la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures et l'ADB, il faudrait dans l'idéal que les deux mettent en jeu leurs atouts respectifs, tout en promouvant leur coopération.

De grandes chances de concrétisation

Le capital initial qui sera investi dans la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures est provisoirement fixé à 100 milliards de dollars, pas beaucoup moins que celui de l'ADB, qui est de 165 milliards de fonds. Cette somme sera fournie par la Chine à hauteur de 50 % environ : la Corée du Sud et Singapour apporteront également une contribution non négligeable. Toutefois, si le nombre de participants se multiplie, le taux d'investissement de la Chine s'en verra corrélativement réduit.

Aujourd'hui, les réserves de change de la Chine ont dépassé les 4 000 milliards de dollars, un record mondial. Ainsi, les capitaux destinés à l'établissement de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures sont assurément garantis, d'autant plus que la Corée du Sud et Singapour possèdent chacun une réserve de devises énorme. Par ailleurs, le financement de cette banque se fera selon une méthode de paiement différé : à la première échéance, les membres fondateurs n'ont besoin de payer que 20 % du montant total de l'investissement.

Il faut savoir tout de même que les pays asiatiques ne se positionnent pas tous en faveur de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures. Citons par exemple le Japon, grand actionnaire de l'ADB, qui bénéficie déjà d'un grand droit de parole en Asie. Depuis la création de l'ADB en 1966, ce sont toujours des Japonais qui se sont succédés au poste de président de cet organisme. De plus, les relations sino-japonaises étant tendues en raison du différend sur la souveraineté de l'archipel Diaoyu, le Japon manque d'enthousiasme vis-à-vis de cette proposition chinoise.

Dans le même temps, l'Inde hésite à participer à l'édification de cette Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures. Pourtant, récemment, un haut fonctionnaire du ministère indien des Finances a signalé que l'Inde serait en mesure d'adhérer à cette initiative chinoise à la condition que soient dissipées ses inquiétudes quant au contrôle de cette banque multilatérale. À vrai dire, on estime que les besoins de l'Inde d'ici dix ans pour financer ses infrastructures s'élèveront à 1 000 milliards de dollars, tandis que le manque de fonds du pays ne saurait être comblé par un simple crédit auprès de l'ADB. Alors, face à la pléiade de projets d'infrastructures à lancer, l'Inde n'écarte pas catégoriquement la possibilité d'intégrer la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures. En septembre dernier, lors de la visite d'État en Inde de Xi Jinping, le premier ministre indien Narendra Modi a déclaré que l'Inde étudierait la question. Des propos encourageants.

En dépit de ces réticences, la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures exerce une attractivité irrésistible. Le 21 août, le président chinois Xi Jinping et son homologue mongol Tsakhiagiin Elbegdorj ont signé à Oulan-Bator une déclaration conjointe pour ériger leurs relations bilatérales basées sur un partenariat stratégique global. La Mongolie a déclaré qu'elle prendrait part à la fondation de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures. Lors de sa visite d'État au Sri Lanka en septembre dernier, Xi Jinping a invité le pays à en faire de même.

Au vu des réponses actuelles plutôt positives, il semble que ce projet de Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures proposé par la Chine est globalement en passe de se concrétiser. Mais le développement ultérieur de cette banque fera face à de grands défis encore...

(Le 24 octobre, peu avant l'impresssion du présent magazine, les ministres des Finances et délégués des 21 premiers membres fondateurs ont signé à Beijing un accord pour fonder la Banque d'investissement pour les infrastructures. L'Inde en fait partie. - Note de la rédaction)

 

*BAI MING est chercheur et directeur adjoint du département de recherche sur les marchés internationaux à l'Académie du commerce international et de la coopération économique, relevant du ministère chinois du Commerce.

 

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