CHINAHOY

3-November-2014

Situation en mer de Chine méridionale et perspectives pour la zone de libre-échange Chine-ASEAN

 

La nouvelle version de la carte de la République populaire de Chine, où les eaux territoriales et îles de la mer de Chine méridionale sont à la même échelle que le continent. (CNSPHOTO)

DONG CHUNLING*

Les récentes frictions en mer de Chine méridionale représentent-elles une menace envers la coopération des membres de l'ASEAN ?

Ces dernières années, bien que des disputes aient éclaté entre la Chine et des pays membres de l'ASEAN (dont le Vietnam et les Philippines) pour des questions de souveraineté territoriale et maritime en mer de Chine méridionale, les relations entre la Chine et l'ASEAN sont globalement restées caractérisées par le développement pacifique et le bénéfice mutuel. Récemment, la Chine a émis de nouvelles propositions en vue du traitement des litiges dans cette zone, pour s'assurer que cette affaire n'entrave pas le développement de son commerce et de sa coopération stratégique avec l'ASEAN. Il est ainsi fort probable que les États-Unis, qui pointent du doigt ces difficultés en mer de Chine méridionale afin de contenir la Chine, de fragmenter l'ASEAN et d'interférer dans l'intégration de l'Asie de l'Est, verront leurs manœuvres vouées à l'échec.

Les « calculs » des États-Unis

Ces disputes sur la souveraineté d'îles en mer de Chine méridionale entre la Chine et certains de ses voisins ne sont pas nouvelles. À cet égard, la Chine maintient depuis toujours sa position : elle ne cèdera pas la souveraineté, mais désire mettre de côté les différends et s'engager dans un développement commun. Dans l'ensemble, la situation en mer du Chine méridionale était demeurée relativement stable. Cependant en 2009, les États-Unis ont annoncé en grande pompe leur « retour en Asie-Pacifique », accélérant leurs déploiements militaires et accroissant leur concours diplomatique dans les pays de la région Asie-Pacifique. À partir de 2010, une succession d'évènements houleux y sont survenus. La devise « échanges économiques, coopération et gagnant-gagnant » qui illustrait l'Asie-Pacifique s'est doucement transformée en « sécurité, suspicion et jeu à somme nulle ». De plus, le système d'alliance hérité de la guerre froide qu'instaurent les États-Unis en Asie-Pacifique forge une version américaine de l'intégration économique dans cette région. Ainsi, les États-Unis cherchent, avec leur Partenariat transpacifique (TPP), à remplacer les mécanismes existants dans la région, à savoir la zone de libre-échange Chine-Japon-Corée du Sud et l'ASEAN 10+3 (les 10 pays membres de l'ASEAN + la Chine, le Japon et la Corée du Sud). L'intégration des économies d'Asie de l'Est passerait alors sous la houlette des États-Unis.

En plus de s'immiscer dans le processus d'intégration régionale en Asie de l'Est, les États-Unis jettent de l'huile sur le feu des problèmes en mer de Chine méridionale. Ils crient à la soi-disant « menace chinoise » pour freiner l'émergence pacifique de la Chine. En appuyant sur les plaies historiques, les États-Unis pourraient intensifier les contradictions entre la Chine et ses pays voisins au point de provoquer une pagaille irrémédiable, lesquels voisins interprèteraient alors mal les actes de la Chine qui ne fait que défendre légitimement sa souveraineté en mer de Chine méridionale ainsi que ses droits et intérêts. Les États-Unis poussent les pays de la région à nourrir des soupçons quant à la voie de développement pacifique suivie par la Chine, pour semer le trouble dans leur coopération avec elle, en calomnier l'image et l'empêcher subtilement d'avancer.

Les États-Unis utilisent les problèmes en mer de Chine méridionale pour « kidnapper » l'ASEAN, c'est-à-dire écarter ses pays membres de toute coopération avec la Chine. En invitant les Philippines, le Vietnam et d'autres pays à s'opposer plus fermement contre la Chine sur ce sujet, les États-Unis ont déjà réussi à faire toucher le fond aux relations sino-philippines et sino-vietnamiennes. Un sentiment anti-chinois s'est déjà imprégné dans la société des deux pays : des fusillades de ressortissants chinois ont eu lieu aux Philippines, tandis qu'une vague de manifestations anti-chinoises a déferlé au Vietnam. Actuellement, les États-Unis incitent vivement les Philippines et le Vietnam à faire publier à l'ASEAN une déclaration conjointe sur les questions en mer de Chine méridionale, de sorte que ce sentiment anti-chinois émanant de ces deux pays se diffuse à toute cette plate-forme multilatérale. Pour ce qui est d'entretenir des relations avec la Chine, des divergences s'observent déjà au sein de l'association. Cette situation émet des signaux d'alerte quant aux éventuels morcellement de l'ASEAN et « enlèvement » de ses intérêts, des phénomènes qui empêcheraient la coopération Chine-ASEAN de croître.

Risques pour l'ASEAN

Trois causes expliquent que les États-Unis soient capables de se servir ainsi des difficultés en mer de Chine méridionale. Premièrement, le fait que l'Asie-Pacifique ne dispose pas d'un cadre de coopération en matière de sécurité. La collaboration est prospère sur le plan économique, mais s'avère relativement en retard dans les autres domaines. De fait, persistent encore en Asie-Pacifique de nombreux problèmes ainsi qu'un système d'alliance légués par la guerre froide. Deuxièmement, les failles dont souffre l'ASEAN. Sous l'effet de son élargissement, les divergences dans les objectifs stratégiques et intérêts de chacun des pays membres sont devenus plus évidents, sans qu'une coordination efficace ait été mise en place. Après que les trois grands personnages Lee Kuan Yew, Mahathir bin Mohamad et Soeharto ont tiré leur révérence, la direction de l'ASEAN s'est affaiblie, de sorte que le mécanisme de coordination rapide et efficace d'autrefois a cessé d'exister. En outre, les membres clés de l'organisation ont également perdu leur enthousiasme à promouvoir l'intégration régionale. Troisièmement, la question de l'équilibre entre les deux grandes puissances que sont la Chine et les États-Unis. Pour des considérations pragmatiques, l'ASEAN espère s'engraisser sur le dos de la Chine et des États-Unis, à savoir profiter des bénéfices économiques de la Chine et des garanties sécuritaires des États-Unis. L'ASEAN espère également que les deux puissances se surveillent et s'équilibrent l'une l'autre, pour qu'elle obtienne une plus grande autonomie et flexibilité du point de vue stratégique.

Dans le contexte actuel, l'ASEAN pourrait être confrontée à trois sortes de défis. Premièrement, si les membres de l'ASEAN manquent de détermination dans le soutien à l'intégration économique et de volonté dans la construction d'un nouveau cadre de sécurité régionale, alors le mécanisme de l'ASEAN sera marginalisé, voire remplacé par des programmes économiques et sécuritaires sous la coupe des États-Unis. De force politique et économique majeure dans la région Asie-Pacifique, l'ASEAN se verra alors réduite à l'état de simple plate-forme de dialogue, voire, disparaîtra. Deuxièmement, si les questions en mer de Chine méridionale venaient à être mises à l'ordre du jour à l'ASEAN, les membres émettant des requêtes diverses, chacun adopterait une position différente sur cette affaire capitale, ce qui résulterait probablement en la dissolution de l'organisation. Troisièmement, l'ASEAN étant impliquée dans le jeu de « rééquilibrage des grandes puissances », elle pourrait pâtir d'une escalade des tensions en mer de Chine méridionale, qui augmenterait les risques que la Chine et les États-Unis s'affrontent. L'ASEAN ne souhaite surtout pas qu'éclate un conflit sino-américain ; les conséquences en seraient insoutenables pour chacun de ses pays membres.

Perspectives futures

Actuellement, trois facteurs positifs poussent néanmoins les relations Chine-ASEAN au-delà du « piège » tendu par les frictions en mer de Chine méridionales.

Tout d'abord, la coopération économique entre la Chine et l'ASEAN continue de se renforcer, au point que s'est déjà formée une interdépendance irremplaçable entre les pays. Entre 2002 et 2013, le volume bilatéral entre les deux parties est passé de 54,767 milliards de dollars à 443,610 milliards. La Chine est de nos jours le premier partenaire commercial de l'ASEAN ; tandis que cette organisation s'avère le troisième partenaire commercial de la Chine, son quatrième marché d'exportation, ainsi que sa deuxième source d'importations depuis trois ans. En août 2014, ont été lancées avec succès des négociations pour optimiser la zone de libre-échange Chine-ASEAN. À noter que moins de quatre années se sont écoulées entre la mise en place de cette zone et sa mise à niveau, ce qui souligne la volonté des deux parties de poursuivre leur coopération économique. L'avenir de la coopération commerciale Chine-ASEAN s'annonce réjouissant, avec des initiatives comme la version améliorée de la zone de libre-échange, l'Accord de partenariat économique intégral régional (REPC), la « Route de la Soie maritime ». Le gouvernement chinois a annoncé son objectif de porter le volume du commerce bilatéral à plus de 1 000 milliards de dollars d'ici 2020. Il est donc prévisible que la coopération économique et commerciale entre la Chine et l'ASEAN continue de donner une impulsion majeure en faveur de la paix et de la stabilité dans la région.

Ensuite, la Chine et l'ASEAN se sont accordées sur une « approche à deux volets » pour résoudre les problèmes en mer de Chine méridionale. Cette approche a été proposée par le ministre chinois Wang Yi en août dernier, lors du cycle de réunions des ministres des Affaires étrangères sur la coopération en Asie de l'Est. Selon cette théorie, les pays directement concernés par l'affaire doivent rechercher des solutions pacifiques par le biais de négociations et de consultations amicales, tandis que la Chine et l'ASEAN doivent de concert sauvegarder la paix et la stabilité en mer de Chine méridionale. Cette suggestion a fait l'unanimité auprès des homologues présents de Wang Yi. Elle brise les tentatives de pays comme les États-Unis et les Philippines qui cherchent à « enlever » l'ASEAN, dans l'intention de faire pression sur la Chine quant aux questions en mer de Chine méridionale.

Enfin, la coopération Chine-ASEAN dans les domaines de la mer et de la sécurité bat son plein, preuve que les deux parties s'appliquent à minimiser les problèmes en mer de Chine méridionale et à promouvoir leur coopération stratégique. Aux diverses réunions des ministres des Affaires étrangères sur la coopération en Asie de l'Est tenues en août dernier, la Chine a désigné 2015 comme l'« année de la coopération maritime Chine-ASEAN ». L'objectif est de faire progresser la collaboration dans les secteurs clés que sont l'économie maritime, les liaisons maritimes, l'environnement marin, la prévention des catastrophes, la sécurité en mer ou encore la culture maritime. Entre-temps, il est nécessaire d'étendre la coopération dans le domaine de la sécurité. La Chine a invité les ministres de la Défense des pays de l'ASEAN à venir sur son territoire l'année prochaine pour participer à la première réunion informelle des ministres de la Défense Chine-ASEAN. Cette rencontre visera à renforcer la coopération dans des secteurs non traditionnels, tels que la prévention des catastrophes et les mécanismes de secours ou encore la lutte contre les crimes transnationaux.

Pour ces diverses raisons, il y a lieu de croire en la sagesse stratégique des chefs de l'ASEAN et de s'attendre à ce que la zone de libre-échange Chine-ASEAN bâtisse un avenir plus brillant.

 

*DONG CHUNLING est chercheur assistant à l'Institut d'études américaines relevant de l'Institut des relations internationales contemporaines de Chine.

 

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