CHINAHOY

7-December-2013

HEIDI DUGAN : un parcours en Chine pour réaliser mon rêve

 

HEIDI DUGAN

L'un des souvenirs les plus marquants que je garde de ma première arrivée en Chine, encore bien frais dans ma mémoire, s'est passé à Wuhan. J'avais décidé d'aller dans cette ville pour suivre des cours à la Wuhan Iron and Steel University. À l'époque, la plupart des Chinois n'avaient jamais vu un étranger, et les garçons australiens de ma classe étaient souvent entourés par des hordes de Chinois désireux de toucher la « fourrure » de leurs bras et jambes. Je me rappelle d'un jour où je descendais une rue sale : des deux côtés, des cahutes, des petits magasins vendant de tout, des snacks aux pièces détachées de vélo. Mais un boui-boui en particulier avait retenu mon attention. C'était à l'évidence un commerce qui était monté puis démonté chaque jour, car il se composait de quatre poteaux métalliques plantés dans le sol, soutenant une large tôle (en plastique peut-être) en guise de toit, avec au-dessous, un banc et des paniers vapeur en bambou. La commerçante, qui devait avoir dans les 28 ans, était en train de servir un homme qui visiblement n'arrivait pas à décider quel type de mantou (petit pain à la vapeur) il désirait : nature, aux légumes ou à la viande. J'avais bien sympathisé avec lui, parce que moi-même à ce jour, j'avais des difficultés à faire mon choix. Bref, la commerçante avait un enfant, âgé de moins de cinq ans d'après moi, qui n'arrêtait pas de crier et de pleurer, de s'agripper à la jambe de sa mère ou de tirer sur ses vêtements. La femme continuait de servir son client, comme si de rien n'était. Sur le coup, je me suis dit : « Quand le client va partir, cet enfant va se prendre une bonne fessée ou va sérieusement se faire gronder. » Mais le moment est venu, alors que le client repartait emportant une dizaine de mantou, la mère s'est tournée vers son fils, l'a soulevé, pris dans ses bras et embrassé. Le bambin s'est immédiatement arrêté de pleurer.

C'est probablement parce que j'ai été élevée en Occident que je pensais que cet enfant, s'accrochant ainsi à sa maman alors que celle-ci essayait tant bien que mal de travailler, se prendrait nécessairement une correction, que la mère s'énerverait après lui. À ce moment-là, j'ai compris l'importance de la famille ici en Chine et les sacrifices de leur existence même que les parents font pour pouvoir offrir à leurs enfants une vie meilleure que la leur, dans l'espoir que ces derniers fassent l'expérience du rêve chinois.

Après Wuhan, je me suis dirigée vers la métropole de Shanghai. Toutefois, sachez bien que le Shanghai d'il y a 19 ans n'avait rien à voir avec le Shanghai d'aujourd'hui. Mais pour moi, c'était le paradis ! Il est intéressant de constater qu'encore aujourd'hui, je crois toujours qu'il s'agit d'un coin de paradis. Un endroit où l'on peut tout faire et tout avoir, du moment que l'on est prêt à travailler dur et efficacement. C'est un lieu où les opportunités abondent et un lieu où les rêves deviennent réalité. Aucune ville au monde n'arrive même à la cheville de Shanghai ! C'est un endroit où le peuple, dont moi, peut vivre le rêve chinois.

J'ai grandi dans cette ville, elle a grandit simultanément tout autour de moi. Là, je me suis essayée, pour ainsi dire, à tous les jobs possibles et inimaginables, d'agent immobilier à chef de bureau dans un cabinet juridique, en passant par hôtesse d'accueil d'un commerce de détail/restaurant/spa sur le Bund. Mais ce dont je suis la plus fière et la chose pour laquelle je suis la plus connue est mon expérience à la télévision, principalement en tant que présentatrice du programme You Are The Chef. C'est en Chine que j'ai commencé à travailler à la télévision, d'abord pour la Shanghai Weishi, qui est devenue par la suite Dragon TV. Le département étranger de Dragon TV a vu son rêve devenir réalité le 1er janvier 2008, au moment où il a été promu chaîne à part entière, sous le nom de ICS. Certaines personnes très importantes ont cru à ce rêve et ont travailler d'arrache-pied pour qu'il se réalise, tout en ayant l'intime conviction que les habitants et la ville de Shanghai étaient prêts à accueillir cette nouvelle chaîne de télévision. C'est ainsi qu'elle a pu voir le jour. Je poursuis mon émission, qui est diffusé depuis maintenant 13 ans. Il s'agit du deuxième plus vieux programme télévisié en langue étrangère sur ICS, juste après City Beat.

Au cours de ces années, j'ai eu la chance de faire la rencontre de mon mari shanghaïen, qui, maintenant je peux le dire, ne déroge pas à la haute réputation qu'ont les Shanghaïens. J'ai deux beaux enfants, une fille de 8 ans et un fils de 4 ans. Je suis une femme comblée. Mes enfants fréquentent pour l'un, le jardin d'enfant local, pour l'autre, l'école primaire. Cela nous passionne de les voir apprendre non seulement les caractères chinois, mais aussi le dialecte local, le shanghaïen. Mon mari, très fier de sa ville, et moi-même, soutenons qu'être capable de parler et d'écrire une langue permet de comprendre profondément une culture.

Lors des vacances d'été, j'emmène ma famille dans mon Australie natale pendant deux mois, où mes enfants y suivent des cours. L'équilibre vital entre l'enseignement détendu et créatif en Australie et l'enseignement de la discipline dans un riche environnement culturel et historique en Chine compose la parfaite éducation et préparation pour mes enfants et leur futur.

Ma famille est amenée à rencontrer des gens de tant de nationalités différentes, dont beaucoup sont devenus de proches amis. J'ai suivi le parcours de certains de mes chers amis chinois qui ont commencé à mes côtés il y a tant d'années déjà. Je les regarde maintenant avec admiration et ébahissement en voyant comment ils ont su créer une vie fantastique pour eux et leurs familles, comment ils ont contribué en même temps au changement et à l'amélioration de la vie des autres autour d'eux, comment ils ont réformé et perfectionné de manière significative les industries dans lesquelles ils travaillent, que ce soit la télévision, le cinéma, la banque, l'hôtellerie ou la restauration.

J'accompagne chaque jour mes enfants sur le chemin de l'école et observe les passants qui commencent leur journée en courant ça et là. Je retourne chercher mes enfants l'après-midi et leur fait prendre leur douche, en les couvrant de câlins et de baisers. Quand je les regarde, je vois à quel point leur vie et leur expérience sont riches, mais je vois également que ce que je fais a une grande influence sur eux. Nous vivons tous le rêve chinois et nous créons un lieu où nos enfants ont la chance d'espérer, de rêver, de vivre la vie de leur choix. Le rêve chinois sera sûrement différent pour eux, mais à partir du moment où ce sera le leur et qu'ils garderont espoir, ils pourront créer, eux aussi, leur propre rêve chinois.

Beaucoup diront, j'en suis bien consciente, que des choses, systèmes, comportements restent à changer et améliorer, mais c'est bien cela vivre le rêve ! Ce n'est pas l'avoir, ce n'est pas en faire l'expérience dans son intégralité : c'est un voyage. Il s'agit d'avancer ensemble, de créer un environnement meilleur et de vivre mieux. Il s'agit de prendre possession et d'assumer la responsabilité à la fois de ce que nous avons créé et de ce que nous sommes en train de créer. Je suis une idéaliste et je choisis toujours de regarder le côté positif ; et c'est en adoptant cet angle de vue et en pensant de la sorte que je me suis construit ma réalité.

J'ai vécu précisément la moitié de ma vie ici en Chine ; ce parcours m'a fait devenir ce que je suis aujourd'hui. Sans cette ville, ce pays, ce peuple, ces expériences, ces défis, ces opportunités, ces espoirs et ces rêves qui sont devenus réalité ici, je sais que ma vie aurait été moins accomplie, moins heureuse et moins excitante. Je serais une toute autre personne aujourd'hui. Quand je me penche sur ses 19 années passées, il me paraît évident que moi, je vis à fond le rêve chinois, et je voudrais saisir cette opportunité pour vous remercier, vous qui le partagez avec moi.

HEIDI DUGAN est présentatrice de l'émission culinaire You Are The Chef sur la chaîne de télévision ICS (International Channel Shanghai).

 

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