CHINAHOY

9-October-2016

Tour d’horizon du patrimoine mondial de l’Anhui

 

Le 25 mars 2016 à Huangshan, dans la province de l'Anhui. L'ancien village de Hongcun, représentant typique de l'architecture de Huizhou, aux bâtiments originaux et magnifiques.

 

LU RUCAI, membre de la rédaction

 

Inspirée par la nouvelle tendance des séjours de dernière minute, je décide de renoncer aux tâches ménagères du week-end et m'empresse d'avertir l'école maternelle de l'absence de ma fille ces prochains jours, tandis qu'au même moment, j'achète en ligne deux billets de train pour embarquer le jour-même à bord d'une aventure réjouissante.

 

Nos deux destinations principales sont les monts Huangshan (ou les « monts Jaunes ») et l'ancien village de Hongcun, tous inscrits sur la liste du patrimoine mondial. Le premier, en reconnaissance de ses paysages naturels et de son passé culturel ; le second, pour son héritage fascinant, avec ses vieilles bâtisses rappelant l'architecture de Huizhou, typique de la région.

 

Aucune montagne ne peut rivaliser avec Huangshan

 

Avant le départ, je recherche quelle est la meilleure saison pour visiter les monts Huangshan, mais j'obtiens comme réponse que son charme opère toute l'année. Les touristes optent communément pour le printemps et l'automne où le climat est agréable, mais pour les amateurs de photographie, les forêts d'arbres givrés en hiver offrent un panorama féerique.

 

Huangshan se situe au sud de la province de l'Anhui. Grâce à la gare du Nord de Huangshan, la ville où se dresse la montagne est desservie par plusieurs lignes TGV, ce qui facilite l'accès pour les touristes. Par ailleurs, à la sortie de la gare, attendent des bus destinés au transport des voyageurs vers les divers sites touristiques.

 

Une fois arrivées, nous passons la nuit dans le bourg de Tangkou, histoire de prendre des forces avant notre randonnée en montagne prévue le lendemain. Ce bourg de superficie modeste s'est intégralement développé autour du tourisme suscité par la montagne. Par rapport à la plupart des régions rurales, il paraît assez prospère, avec ses hôtels et supermarchés de toutes sortes qui s'amoncellent des deux côtés de la route.

 

Sur place, je fais quelques emplettes en prévision de l'escapade à venir : imperméables, bottes en caoutchouc, bouteilles d'eau et plats cuisinés à base de riz. Ces provisions se sont révélées tout à fait nécessaires. Pour atteindre le sommet de la montagne et s'accorder un repos bien mérité dans un hôtel, il faut compter sur la nourriture emportée dans son sac à dos pour garder des forces. De même, il est sage d'endosser des vêtements de pluie pour se protéger des précipitations passagères. Quel serait le charme de Huangshan sans ces scènes entremêlant nuages noirs et brume ?

 

Les touristes ayant le courage de gravir la montagne par les escaliers sont peu nombreux, mais en revanche, nous croisons de temps à autre des porteurs. Il n'est pas rare d'entendre derrière soi : « Attention ! Pardon ! ». À l'aide d'une palanche et d'une grosse tige de bambou perpendiculaire servant de cale, les porteurs sont capables de hisser une charge de plus de 100 kg jusqu'au point culminant, pour ravitailler les quelques restaurants installés là-haut en céréales, légumes, eau et autres denrées et matériaux. Ces hommes à la peau mate et aux jambes tout en muscles, qui font tous les jours le va-et-vient entre le pied de la montagne et le sommet à plus de 1 000 m d'altitude, demeurent parmi les images les plus mémorables de notre voyage.

 

Le paysage varie au fil de notre ascension. Rayons de soleil et bruine s'alternent, tandis que se succèdent les pins légendaires, les rochers aux formes particulières et les flots de nuages qui forment le décor caractéristique de Huangshan. La beauté naturelle de ces monts a fasciné d'innombrables poètes, peintres et photographes. On raconte que de la dynastie des Tang (618-907) à la dynastie des Qing (1644-1911), plus de 20 000 poèmes faisant l'éloge de cette montagne ont été composés. Aux yeux de Xu Xiake (1587-1641), voyageur et écrivain renommé sous la dynastie des Ming (1368-1644), aucune montagne ne peut rivaliser avec Huangshan sur le plan esthétique. Il est ainsi l'auteur des célèbres vers chinois : « Qui a admiré les cinq montagnes sacrées ne veut plus voir d'autres montagnes, mais qui a admiré Huangshan ne veut plus voir les cinq montagnes sacrées », à savoir, Taishan à l'Est, Huangshan à l'Ouest, Hengshan au Sud (dans le Hunan), Hengshan au Nord (dans le Shanxi) et Songshan au centre.

 

En 1990, l'UNESCO a classé Huang-shan à la fois au patrimoine naturel et au patrimoine culturel mondial, la décrivant en ces termes : « Célébrée durant une bonne partie de l'histoire chinoise dans l'art et la littérature (par exemple dans le style shanshui « montagne et eau », milieu du XVIe siècle), Huangshan, la plus belle montagne de Chine, exerce toujours la même fascination... »

 

Parmi les 72 pics qui se dressent dans la zone touristique de Huangshan, trois se distinguent : le pic du Lotus à 1 864 m d'altitude, le pic de la Clarté à 1 860 m et le pic de la Capitale céleste à 1 810 m. Pour des raisons de sécurité, nous choisissons de grimper au pic de la Clarté, en suivant un chemin relativement moins abrupt sur une dizaine de kilomètres. Enfin au sommet, nous profitons d'une nuit de repos réparateur. Le lendemain, nous allons au canyon Xihai (canyon de la mer de l'Ouest), qui est situé à l'ouest de la zone touristique s'étendant sur une superficie de 154 km2. Nous descendons à pied tout au fond du canyon, avec cette illusion de marcher dans les nuages alors que nous longeons les roches escarpées. Puis, une fois en bas, nous prenons le funiculaire pour nous rendre à Shichuang (« lit en pierre »), pic s'élevant à 1 574 m d'altitude. En seulement trois minutes, ce funiculaire parcourt la longueur totale des rails (soit 892 m) sur un dénivelé de 497 m, offrant tout au long du trajet une vue panoramique sur les parois à-pic et le fouillis des pins.

 

Deux jours ne suffisent pas à visiter les monts Huangshan. Cependant, du haut de ses 6 ans, ma fille n'a pas les forces suffisantes pour crapahuter sur d'autres sites. Notre voyage dans ces monts s'arrête donc là et nous nous préparons à partir vers notre prochaine destination : le vieux village de Hongcun.

 

Le lac Yuezhao, au centre du village de Hongcun. Le ciel bleu, les nuages blancs et l'architecture de Huizhou ressemblent à une aquarelle traditionnelle chinoise. (LU RUCAI)

 

Hongcun, comme sorti d'une peinture traditionnelle chinoise

 

Les villages de Hongcun et de Xidi sont tous deux situés dans le district de Yixian, à une soixantaine de kilomètres en voiture du pied des monts Huangshan. En 1999, ils ont été inscrits au patrimoine culturel mondial, sous l'ensemble intitulé « Anciens villages du sud de l'Anhui ». Selon le Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO, « les deux villages traditionnels de Xidi et de Hongcun ont conservé à un degré remarquable l'aspect propre aux peuplements non urbains qui, pour la plupart, ont disparu ou se sont transformés au cours du dernier siècle. Le tracé des rues, leur architecture et leur décoration, ainsi que l'intégration des maisons dans un vaste réseau d'alimentation d'eau, sont des vestiges uniques ». À vrai dire, c'est la première fois qu'une agglomération était classée au patrimoine mondial.

 

Environ toutes les demi-heures ou toutes les heures, un autocar part de la gare du Nord de Huangshan pour conduire les voyageurs à l'entrée du village de Hongcun. Pour gagner du temps, nous prenons un taxi avec quelques autres touristes pour partager les frais. En moins d'une heure, nous atteignons l'entrée du village, où nous attend la patronne de l'auberge dans laquelle nous avons réservé.

 

Hongcun abrite actuellement plus de 400 foyers, dont l'écrasante majorité a été reconvertie en gîte. La patronne nous indique que son auberge compte déjà plus de 200 ans d'histoire, mais précise que cet âge est considéré comme relativement « jeune » dans le village.

 

Hongcun a été construit en 1131, sous la dynastie des Song du Sud (1127-1279) et stale de nos jours sur environ 19 ha. Ses habitants sont pour la plupart des descendants de la famille Wang () et portent toujours ce nom. D'après notre guide touristique, le village renferme à peu près 140 demeures bâties au cours des dynasties des Ming et des Qing. Pourvues de murs blancs et de tuiles grises, elles sont associées à l'architecture de Huizhou, typique du sud de l'Anhui, et composent ensemble un village qu'on dirait sorti d'une peinture traditionnelle chinoise. D'ailleurs, alors que nous explorons les vieilles ruelles, nous croisons souvent, outre des touristes comme nous, des étudiants des beaux-arts originaires des quatre coins du pays venant dans ce lieu pour peindre sur le vif. Armés de leurs pinceaux, ils donnent une nouvelle jeunesse aux ponts anciens et aux édifices centenaires.

 

Vu du ciel, le village Hongcun a la forme d'un bœuf qui serait couché auprès du ruisseau devant la montagne. Effectivement, les ancêtres du village ont creusé un réseau d'eau à l'image d'un bovidé : la colline Leigang est considérée comme la tête, les deux grands arbres à l'entrée du village équivalent aux cornes, les maisons aménagées de la partie est à la partie ouest constituent le corps massif, les ruisseaux sillonnant le village dessinent les intestins, et l'étang de la Lune où confluent ces ruisseaux joue le rôle de l'estomac. Quant aux pattes du bœuf, il s'agit des quatre ponts enjambant la rivière qui entoure le village. Le guide nous explique que la conception de ce réseau permet non seulement d'alimenter les habitants en eau au quotidien, mais aussi de lutter contre les éventuels incendies. En plus, la température de cette eau est ajustable. Il est intéressant de savoir que si vous vous perdez dans le labyrinthe des venelles de cette agglomération, il suffit de longer le cours d'eau dans le sens de l'écoulement pour enfin trouver la sortie du village.

 

Les nombreuses constructions anciennes encore sur pied à Hongcun reflètent chacune les épisodes de prospérité et de décadence des grandes familles qui y vivaient. Surnommé « la Cité interdite populaire », le pavillon Chengzhi compte parmi les sites les plus célèbres du village. Son propriétaire à l'époque, Wang Dinggui, était un marchand de sel extrêmement riche. L'intérieur de cette demeure soutenue par une ossature en bois est exquis, magnifiquement décoré de quantité de sculptures sur brique, sur pierre et sur bois. Comprenant au total 9 courettes et 60 chambres, la maison est divisée en plusieurs espaces, chacun d'eux étant consacré à une fonction particulière. Nous retiendrons notamment la salle pour jouer au mah-jong et la fumerie d'opium.

 

L'académie Nanhu (« du lac du Sud ») est également un site à ne rater sous aucun prétexte. Vers la fin de la dynastie des Ming, six établissements scolaires privés ont été établis près du lac, mais en 1814, ils ont fusionné pour donner cette académie. Ses vestiges invitent aujourd'hui les visiteurs à imaginer la vie des petits écoliers chinois il y a plusieurs centaines d'années.

 

Vue sur une rue ancienne dans le village de Hongcun, typique de l'architecture de Huizhou.

 

Préservation de l'héritage et diffusion de la culture

 

Le village de Xidi révèle un style architectural similaire à celui de Hongcun, mais exhale une essence culturelle plus prononcée, car au cours de sa longue histoire presque millénaire, il a donné naissance à une pléiade de lettrés et de fonctionnaires. Nous décidons toutefois, par manque de temps, de ne pas aller jusqu'à Xidi et de nous rendre plutôt à Lucun, à seulement 1 km de Hongcun.

 

Comparé à Hongcun où règne une atmosphère fortement commerciale, le village Lucun est plus tranquille, presque désert. Une bonne surprise pour nous ! Nous rencontrons peu de touristes dans ce village vivant dans l'ombre du célèbre Hongcun, qui, pour l'anecdote, a servi de lieu de tournage au film Tigre et Dragon.

 

Notre guide touristique nous conte que jadis, le village de Lucun rassemblait plus de 300 habitations, mais que seules 49 sont toujours debout de nos jours. Le site aujourd'hui le plus représentatif de l'époque consiste en un ensemble de constructions, lesquelles se démarquent de par leurs splendides sculptures sur bois. Le propriétaire d'alors, Lu Bangxie, a embauché une vingtaine d'artisans sur une période de quatorze ans pour tailler toutes ces œuvres. Avant d'entamer une carrière politique, M. Lu avait fait fortune dans l'industrie salinière. Il avait fait construire ce complexe résidentiel pour lui et ses six femmes (une épouse et cinq concubines). Parmi les divers bâtiments, celui destiné à sa cinquième concubine, dont l'état est encore bien préservé, est connu sous le nom de « salle de verre », tout simplement parce qu'il est décoré de cloisons en verre que Lu Bangxie avait achetées lors d'un voyage d'affaire en Allemagne. Au cours de notre visite, nous avons l'occasion de rencontrer la septième génération des descendants de Lu Bangxie et de ses différentes amantes. La plupart des gens de sa lignée sont devenus agriculteurs et vivent, en complément, de l'hébergement des touristes et de la vente d'objets artisanaux en bambou.

 

De nombreux habitants d'anciennes masures, se voyant dans l'incapacité de restaurer et d'entretenir leurs biens, ont préféré vendre. À Lucun, nous avons surpris un Pékinois en train d'expliquer à des travailleurs comment il souhaite rénover la vieille bâtisse qu'il vient d'acheter. Sur la plaque à l'entrée, le nom de l'ancien propriétaire a déjà été remplacé par celui du nouveau. Nous interrogeons ce monsieur, qui nous informe qu'il a fait l'acquisition de ce bâtiment pour quelques millions de yuans seulement il y a quelques années. Néanmoins, après l'achat, le gouvernement local impose que la rénovation soit effectuée selon le style architectural d'origine. Beaucoup de constructions dans le village sont réaménagées en auberge, mais lui n'a pas encore choisi quel sera le sort de sa nouvelle maison. Pour l'heure, il souhaite simplement lui redonner son caractère d'antan. À l'intérieur de la propriété se trouve une estrade sur laquelle sautille joyeusement, l'enfant du nouveau maître des lieux très sémillant. Dans la chambre située à côté de cette estrade s'entassent des costumes antiques datant d'on ne sait quelle époque, des trésors caractérisant les différentes scènes s'enchaînant au théâtre, telles les vicissitudes de la vie.

 

Les éléments du passé à préserver ne manquent guère. Un atelier que nous avons visité par hasard au bord du lac du Sud dans le village de Hongcun nous a particulièrement marquées. C'est là que travaille Wang Dehong, héritier de la sculpture sur bois selon le style de Huizhou, art que la Chine a intégré dans sa liste du patrimoine culturel immatériel national. Natif de Hongcun, Wang Dehong tient à perpétuer cette technique de sculpture sur bois, réalisée intégralement à la main comme autrefois, bien que son atelier vende également des produits sculptés à la machine. « L'ambiance commerciale dans le village est trop présente », affirme-t-il. Il a pris des apprentis, mais peu d'entre eux ont la patience et la persévérance nécessaires pour apprendre la sculpture sur bois. Récemment, Wang Dehong a été invité par des écoles supérieures à venir dans les classes enseigner son savoir-faire. Dans le même ordre d'idées, il espère de tout cœur que de plus en plus de jeunes s'intéresseront à cette technique manuelle et la transmettront à leur tour.

 

En résumé, les maîtres-mots sont préservation de l'héritage et diffusion de la culture : tel est, en fait, le but ultime que devrait viser l'accueil touristique.

 

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