CHINAHOY

1-June-2015

Les tombeaux des Qing de l’Est

 

C’était dans le cadre de mon projet « la Chine des bas-côtés ». J’avais envie de parcourir les routes à vélo, de voir ce qui se passe dans le pays loin des circuits touristiques et entre les centres d’intérêt bien cartographiés par le Guide du Routard et le Petit Futé.

 

CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction

 

J’avais commencé par rejoindre et visiter Tianjin, à quelque 130 km au sud-est de Beijing. Puis, longeant la côte, j’ai pris le chemin de Beidaihe, la station balnéaire favorite des Pékinois. J’avais ensuite poussé jusqu’à Shanhaiguan, la « tête du dragon », c’est-à-dire le bout de la Grande Muraille de Chine où, quittant les steppes mongoles, descendant des montagnes, elle atteint finalement la mer.

 

Chemin faisant, j’avais rencontré une équipe de cyclistes qui, comme chaque week-end, faisaient un circuit dans les environs de Tangshan, et ils m’ont fait visiter leur ville. Pour rentrer à Beijing, ils m’ont conseillé de mettre d’abord le cap au Nord, jusqu’aux tombeaux des Qing de l’Est, à une centaine de kilomètres, puis de piquer ensuite plein Ouest pour rejoindre la capitale à environ 150 kilomètres.

 

 

Visite des tombeaux des Qing de l’Est

 

J’ai suivi leur conseil et je ne l’ai pas regretté : les tombeaux de l’Est, c’est un lieu incroyable. Cinq empereurs et quinze impératrices de la dynastie des Qing (1644-1911) y sont enterrés dans une vingtaine de répliques de la Cité interdite, réparties sur 80 km² dans les collines et reliées par des routes et des ponts de marbre. Des palais, des statues, des monuments, tout ça pour des tombeaux impériaux, il est vrai. La plupart des visiteurs viennent en voiture, ou alors prennent les bus touristiques qui leur font voir les principaux points d’intérêt. Mais moi, grâce à mon vélo, je peux explorer tous les recoins du site, tranquillement, pour en apprécier la surface et la profondeur.

 

La visite commence par une porte en marbre blanc à cinq arches qui marque le début de la « voie des esprits », pavée de marbre, qui elle-même mène à une seconde porte, rouge, en forme de temple, qui annonce la couleur : tout, ensuite, est dans le style de la Cité impériale de Beijing. Normal : les empereurs y ont vécu toute leur vie, ils veulent bien sûr que leur résidence pour l’éternité soit en accord avec leur résidence ici-bas…

 

On l’a un peu oublié de nos jours, mais les civilisations se construisent en construisant. La guerre ne peut que prendre le territoire. Ce territoire, il faut le marquer, l’organiser, l’approprier.

 

Les tombeaux des Qing sont un cimetière et un livre d’histoire. En 1644, les Mandchous venaient de prendre Beijing. Ils ont certes pris tous les leviers du pouvoir, apporté leurs traditions et leurs technologies, remodelé à leur goût la Cité interdite… pourtant, par là même, ils se sont très rapidement assimilés à l’empire qu’ils venaient de conquérir. Admirez ces tombeaux, cette voie des esprits encadrée de sculptures monumentales : dès Shunzhi, le premier empereur mandchou, on a copié le modèle architectural des tombeaux impériaux des Ming, qui se trouvent au Nord de Beijing.

 

Parcourant les routes et visitant ces bâtiments magnifiques, j’essaie d’imaginer l’infrastructure nécessaire à ces dizaines de milliers d’artisans. Il fallait une agriculture, des champs, des élevages, pour nourrir toutes ces personnes qui, pendant vingt ans, construisaient le tombeau de l’empereur.

 

Les grands travaux organisent le territoire, et aussi la société. Pour les financer, il faut lever l’impôt. C’est-à-dire recenser les citoyens, organiser une comptabilité nationale, mettre en place un système fiscal, le faire appliquer. Construire une cité mortuaire à 150 km de la capitale, c’est un autre défi ! Il faut amener sur place les matériaux ! Le marbre vient de Dali, dans le Yunnan, à 3 000 km au Sud-Ouest. Le cèdre, qui fournit ces énormes troncs d’un mètre d’épaisseur, ne pousse que dans les forêts du Sud. Il faut des tailleurs de pierre, des bûcherons, des convois pour transporter tout cela à travers le pays. Donc des routes, des canaux, des attelages… Les travaux, il faut les conduire, les réaliser : mobiliser des travailleurs, les amener sur place, les nourrir, les loger. Pas seulement des esclaves casseurs de cailloux : des architectes, des sculpteurs, des peintres, des charpentiers. Toutes sortes de professionnels sont nécessaires qu’on ne peut pas faire travailler au fouet : il faut les former, les entretenir, les payer.

 

Même si le projet initial suivait le style et les traditions du Nord, il a bien fallu composer avec le personnel d’ici : celui de la dynastie précédente. Et le résultat final ressemble beaucoup aux tombeaux des Ming…

 

On entre sur le territoire du tombeau central, dit Xiaoling : un pont de marbre à sept arches, puis un autre à cinq arches enjambent des canaux et rappellent l’organisation générale de la Cité interdite. En plus champêtre, bien sûr : pas de contraintes de place ici, de vastes terre-pleins plantés d’arbres enrichissent les perspectives… On passe quelques pavillons secondaires et colonnes de marbre avant d’arriver au tombeau du fondateur de la dynastie.

 

Le premier tombeau : Xiaoling

 

Le tombeau Xiaoling, le premier construit ici, fournit le modèle qui sera repris par les autres constructions : la voie des esprits, les palaces funéraires, les cuisines de sacrifice. C’est ce tombeau qui comprend la voie de parade la plus élaborée, elle s’étend en ligne droite sur deux kilomètres et passe par toutes les étapes prévues pour la cérémonie funèbre : stèles d’Est et d’Ouest, grand palais, un autre pour l’habillement de la famille impériale, encore un pavillon, des sculptures en marbre, une porte du dragon et du phénix (symbolisant l’empereur et l’impératrice), un pont à une arche, un autre à sept arches, un autre à cinq arches (tous en marbre blanc). La partie funéraire proprement dite comprend plusieurs palais qui ont chacun leur fonction bien définie pour la cérémonie d’accompagnement du monarque dans sa dernière demeure. Pas étonnant que l’ensemble comprenne aussi d’immenses cuisines où les cuisiniers impériaux préparaient les mets destinés au sacrifice.

 

À chaque fois qu’un empereur nouveau succédait à celui qui venait de quitter le trône, sa première préoccupation était de planifier avec ses architectes, en fonction des règles du fengshui, l’emplacement de son futur complexe funéraire, dont la construction allait se prolonger pendant tout son règne.

 

À gauche et à droite du tombeau de Shunzhi, adossé aux collines qui se découpent à l’horizon, se trouvent les palais funéraires de ses successeurs. Construits selon le même principe, chacun reflète les goûts et les préférences de leur impérial commanditaire.

 

Le tombeau de l’impératrice Cixi est l’un des plus imposants

 

L’un des plus imposants est évidemment celui de l’impératrice douairière Cixi, connue pour son goût du luxe et des dépenses somptuaires. Comme on pouvait s’y attendre, elle a voulu le palais mortuaire le plus munificent. Pendant son règne, elle est venue plusieurs fois effectuer des visites d’inspection, exigeant telle ou telle modification, telle ou telle extravagance supplémentaire, et puis des aménagements qui laissaient ses architectes perplexes ou désespérés…

 

Difficile de faire ici une liste des merveilles du lieu. Je préfère partager mes impressions et tenter de donner envie au lecteur de visiter cet endroit magique.

 

L’ensemble du site est classé UNESCO depuis l’an 2000 (ainsi que les tombeaux des Qing de l’Ouest et les tombeaux des Ming). Ce complexe-ci est le mieux conservé des trois, malgré le pillage qu’il a subi en 1928 sous la conduite d’un certain Sun Dianying qui fit profaner les tombes et les cadavres des empereurs. Les bâtiments sont restés pratiquement intacts, même si de nombreux trésors ont été volés.

 

Comme je patrouillais à vélo sur les routes secondaires qui zigzaguent dans les collines, je m’aperçus que les travaux se poursuivent encore aujourd’hui : ici on reconstruit, avec les matériaux et les techniques de l’époque, une des cuisines de sacrifice d’autrefois. Bien sûr, les équipements modernes réduisent la main-d’œuvre nécessaire au chantier. Pourtant, l’énormité de ces poutres, de ces pierres taillées, illustre bien la somme de travail qu’a nécessité la construction de chaque bâtiment impérial.

 

Liens