CHINAHOY

17-February-2013

Le Centre des femmes rurales veut agir en profondeur sur la société.

LIU YI, membre de la rédaction

Le sort des millions de femmes paysannes de Chine ne suscite pas beaucoup d’attention. C’est pourtant à elles que le Centre des femmes rurales a décidé de consacrer son énergie. Plutôt que de leur prodiguer de loin des conseils théoriques, il s’implique sur le terrain et cherche à stimuler le potentiel caché de ces femmes.

Ye Xinzhou est une paysanne ordinaire du village de Huangjin (préfecture de Guangshui) dans le Hubei, c’est elle pourtant qui a érigé la première maison de retraite rurale privée du pays. Les soins aux personnes âgées sont un problème mondial, plus encore s’il s’agit de gens des campagnes sans revenu stable. Ye Xinzhou n’en est pas moins parvenue à mettre sur pied une telle maison de soins, et depuis mars 2012, 33 personnes âgées sont déjà venues y résider. Gérer une maison de retraite a toujours été le rêve de Ye Xinzhou, bien qu’elle ne sûtsave pas par où commencer. Puis, en 2011, elle est venue au Centre de développement culturel des femmes rurales à Beijing. Le Centre des femmes rurales l’a aidée à rechercher des fonds via divers canaux, à remettre en état l’école primaire du village laissée à l’abandon, pour petit à petit la transformer en maison de retraite. Et afin de réaliser son rêve, Ye Xinzhou a étudié par elle-même, en autodidacte, les soins d’urgence, la gestion et les finances, incitant par son exemple toute sa famille à se faire volontaire pour la même cause. Pour Xie Lihua, la directrice du Centre des femmes rurales, toutes les villageoises sont des Ye Xinzhou potentielles : il suffit de les découvrir, puis de les former. «Parmi les habitants de nos campagnes, il y a de très nombreuses femmes remarquables et bienveillantes, il nous suffit de leur donner de l’assurance, et leur capacité d’action se manifestera avec une puissance décuplée ! » Au cours des 20 dernières années, elle a travaillé pour ce type de personnes. Au départ il s’agissait d’éditer une revue pour elles, de les aider à vivre mieux ; à présent on construit une plate-forme où elles peuvent se rencontrer et réaliser elles-mêmes leurs propres rêves.

Du magazine à l’action de terraina plate-forme d’intérêt public En 1993, lorsque Xie Lihua a créé la revue Les Ffemmes rurales, des centaines de millions de femmes rurales chinoises n’avaient encore jamais connu de magazine qui s’intéresse spécifiquement à leur sort. ÀA ce moment-là, en Chine, après une dizaine d’années de réforme et d’ouverture, les villes changeaient d’aspect chaque jour un peu plus. Pourtant, dans les régions rurales où vivaient encore deux tiers des Chinois, les agriculteurs continuaient à cultiver leur terre, comme ils l’avaient fait depuis des milliers d’années. Les femmes rurales ne connaissaient pas du tout les nouvelles vogues, comme le prêt-à-porter, les critères de beauté et de minceur, les voyages, etc. Tout comme les générations qui les avaient précédées, elles se souciaient avant tout des problèmes d’existence fondamentaux : comment s’occuper du ménage en faisant des économies jusque dans les moindres aspects et comment occuper une place importante dans une grande famille. Les premiers pas de ce magazine étaient très difficiles, parce que les femmes rurales n’avaient pas d’argent pour acheter des revues et, à cause de l’état archaïque des moyens de communication, un grand nombre de personnes n’avaient même pas connaissance de l’existence de ce magazine. Au moment le plus difficile, Xie Lihua a fait la connaissance du docteur Mary Ann Burris, une responsable au sein de la Fondation Ford. Cette célèbre militante des droits de la femme célèbre, invitée par le gouvernement chinois, était en train d’aider à préparer la Conférence mondiale des Femmes qui devait se tenir à Beijing en 1995. Non seulement Mary Ann Burris a gratifié Les Ffemmes rurales d’un soutien financier constant, mais en plus elle a permis à Xie Lihua de voir son propre magazine sous un angle neuf: il ne s’agissait pas seulement de fournir un réconfort moral aux femmes rurales, il s’agissait surtout de les aider ensuite à élever concrètement leur niveau de vie et à étendre leurs horizons espace de vie. C’est cette idée qui a amené Xie Lihua à fonder en 1996 la première organisation d’intérêt public au service des femmes rurales de Chine : La Maison des femmes travailleuses migrantes. Celle-ci a offert son aide ainsi qu’une formation juridique aux femmes rurales parties travaillerant dans les villes. Ensuite, en 1998, elle a créé avec Madame Wu Qing, professeur à l’Université des Langues étrangères de Beijing, l’Ecole de formation desaux techniques appliquées pour les femmes rurales, afin d’aider celles qui venaient des milieux les plus pauvres à apprendre les technologies de production. Les activités d’intérêt public ont augmenté et Xie Lihua a créé en 2001 un nouvel organisme d’intérêt public : le Centre de développement culturel des femmes rurales. Celui-ci regroupait sous sa tutelle la Maison des femmes travailleuses migrantes, l’Ecole de formation auxdes techniques appliquées et le magazine payant Les Ffemmes rurales. Cette nouvelle organisation a permis de séparer plus clairement les activités de chacune de ses branches : la Maison des femmes travailleuses migrantes se focalise sur les femmes rurales qui travaillent dans les villes et l’Ecole se focalise sur l’apprentissage des techniques et sur un grand nombre de projets destinés aux femmes qui restent dans les régions rurales. Parmi ces projets on peut citer l’alphabétisation, l’usage rationnel de l’eau, la sécurité des filles durant leur adolescence, etc.

Actuellement, la Maison des femmes travailleuses migrantes s’occupe non seulement de la protection des droits des femmes rurales, mais aussi du renforcement de leur connaissances juridiques. Par ailleurs, elle a mis en place plusieurs projets comme celui de l’éducation des enfants migrants, ou celui de la santé des femmes migrantes, pour les aider à s’intégrer à la communauté urbaine. ‘L’Ecole’ a formé jusqu’à présent gratuitement plus de 3, 000 femmes rurales. Les diplomées de cette école ont été bien accueillies sur le marché du travail parce qu’elles maîtrisaient déjà les techniques du métier, que ce soit l’informatique, la couture, les soins de beauté, la coiffure, la restauration, ou d’autres encore. Il y avait aussi des femmes qui étaient retournées dans leurs villages pour créer leurs propres entreprises.

Vers une compréhension plus fine du rôle des services publicsLes services publics : de l’incompréhension au soutien actif Au fur et à mesure que les projets d’intérêt public se sont développés, Xie Lihua a commencé à avoir une compréhension plus profonde du rôle qu’elle était appelée à jouer. Dans son optique, le rôle des services publics est d’unifieri fier toutes les forces actives dans la bienfaisance. Et pour elle, la bienfaisance est non seulement le fait des gens qui font acte de générosité, mais aussi de ceux qui se trouvent dans une situation difficile et cherchent à en sortir. Les femmes rurales sont souvent considérées comme des gens ignorants qui se situent tout en bas de l’échelle sociale. Le Centre cherche à délierdélier leur énergie et à stimuler leur potentiel. « Bien qu’elles jouent un rôle bien modéré, on peut sentir briller leurs cœurs », nous raconte Xie Lihua. Chaque fois qu’elle va en mission, elle peut découvrir des femmes remarquables. Elle les appelle les « graines ». « Si on cultive ces graines, elles vont exercer une influence sur leur entourage et leur village », le village et le groupe social, nous explique-t-elle. « Le processus de recherche des graines est bien intéressant : on fait des jeux pour les trouver. Prenons un exemple : lorsque les femmes expliquent les règles d’un jeu, elles le font chacune de façon différente. Certaines présentations sont très vivantes et intéressantes. On peut y déceler la capacité d’organisation du langage. À A partir des détails, on peut voir le potentiel d’une personne. Certaines femmes ont une forte capacité d’organisation : lorsqu’on doit tenir une réunion, elles peuvent en un clin d’oeil rassembler de nombreuses femmes et remplir une salle. et remplir une salle. »

En 2007, le Centre a créé six 6 bibliothèques pour femmes rurales à Beijing, au Hebei et au Shanxi. À part l’acquisition des meubles et des livres dans la première étape, l’exploitation des bibliothèques dépend à cent pour cent des graines. Les chefs des bibliothèques doivent se procurer l’argent nécessaire pour assurer le fonctionnement et l’entretien de celles-ci et organiser les diverses activités de diffusion et de promotion au sein du village. Elles ne peuvent gagner un sou par ce travail, parfois, elles doivent dépenser leur propre argent. Malgré les difficultés, ces graines découvrent toujours des solutions. La bibliothèque du village Lisenlin du district de Zhangbei (Hebei) a été fondée il y a plus de 3 ans. Son chef, Wang Senlin, a eu 21 expériences qui lui ont appris des choses très utiles. Par exemple, il faut communiquer avec le comité des villageois quand on rencontre des difficultés. Mais, on ne doit pas non plus se présenter trop souvent au comité des villageois, car cela pourrait susciter des jalousies. Lors des activités, il faut faire valoir les compétences des villageoises et leur donner l’impulsion initiale qui fera d’elles des forces motrices. Cela leur redonne confiance en elles. ÀA côté de cela, il faut aussi récompenser convenablement les maris qui donnent leur soutien et leur assistance à la bibliothèque. Depuis 5 ans, le Centre a établi plus de 60 bibliothèques qui sont toutes devenues le germe d’un renouveau dans le village. Le Centre a joué un rôle de plate-forme. Les chefs ont pu échanger leurs expériences lors des ‘conférences de formation et de communication des bibliothèques’, organisées chaque année par le Centre. On a créé un bulletin dont le nom était : Les Ffemmes qui lisent, pour permettre à celles-ci de partager leur impressions de lecture. En mai 2012, quate4 chefs ont reçu le prix leader des femmes rurales au 6sixièmee Forum mondial du développement de la femme. Leurs bibliothèques ont donné aux villages de l’énergie, et leur ont apporté une forme de développement.

Relever les défis en cultivant l’énergie positive Le Centre a été une des premières organisations d’intérêt public de Chine. Il n’avait pratiquement pas d’exemples sur lesquels il puisse s’appuyer pour le renforcement de son organisation, la gestion de ses projets et la collecte de fonds. Xie Lihua et son équipe ne pouvaient qu’avancer à tâtons directement sur le terrain. Pour résoudre son lancinant problème financier, le Centre a d’une part réduit les dépenses et le personnel, et d’autre part, a cherché à susciter des dons en faisant connaître ses réalisations et ses projets. De plus, il a organisé des collectes de fonds auprès du public où il s’est assuré le soutien des gens bienveillants. Il a renforcé la participation des bénévoles et a enrôlé plus de professionnels. Il a aussi sollicité des fonds spéciaux auprès du gouvernement et un soutien politique. Cependant, la plus grande difficulté vient de la force des conventions. Dans les régions rurales, si une femme se lance en politique, elle sera considérée comme une personne très étrange. Pourtant, la proportion de femmes en zone rurale est de plus en plus élevée par rapport aux hommes. Les femmes sont de plus en plus souvent en charge d’affaires publiques. Donc, elles doivent faire entendre leur voix. En 2006, le Centre a invité toutes les femmes chefs de village de Chine à participer au 1er Forum des 100 femmes chefs de village. ( Depuis 2006, quatre de ces forums ont déjà été organisés). Les chefs y ont discuté de sujets brûlants, comme par exemple de la discrimination sexiste dans les règlementations villageoises ou du rôle joué par les femmes dans la construction de régions rurales socialistes. Le projet de prévention du suicide organisé par le Centre a quant à lui dû surmonter pas mal d’obstacles. Dans les régions rurales, le suicide est un phénomène très commun, surtout pour les femmes. Le nombre de femmes chinoises qui se suicident est de 28% plus élevé que celui des hommes. La Chine est le seul pays du monde où les femmes se suicident plus que les hommes, et la plupart des suicides ont lieu dans les régions rurales. La conception traditionnnelle, qui donne à l’homme la première place, reste profondément enracinée dans certaines régions, et les droits de la femme ne sont pas bien protégés. Elles n’ont pas droit à la parole sur les affaires de famille et dans les affaires publiques. Elles sont donc plus susceptibles d’avoir recours au suicide quand elles se sentent réduites à la dernière extrémité ou qu’elles ne reçoivent pas le soutien qu’elles attendent. Selon la conception traditionnelle chinoise, le suicide est considéré comme une honte pour la famille. Il ne suscite pas beaucoup de compassion. Aborder cette problématique et oser parler de prévention du suicide est donc une vraie révolution dans les régions rurales, où pour rien au monde on ne voudrait perdre la face en admettant l’existence d’un tel problème. En 1996, le Centre a trouvé des fédérations locales de femmes qui voulaient coopérer avec lui et il a mené des expériences pilotes dans 3 districts de la province du Hebei. Ce projet a finalement été nommé ‘gGroupe de soutien à la santé des femmes’ afin que les villageois puissent l’accepter. Ce groupe a établi des dossiers d’information pour les personnes à haut risque, telles que les personnes âgées solitaires, les orphelins, les enfants handicapés ou encore les personnes issues d’une famille pauvre. Il a diffusé des informations sanitaires, techniques et scientifiques auprès des femmes rurales. Petit à petit, les femmes ont appris à apprécier l’appui émotionnel prodigué par ce groupe. Leur attitude envers la vie est devenue plus positive. En 2001, le projet a été officiellement lancé dans 6 villages. Pourtant, au plus ce projet avançait et s’approfondissait, au plus il heurtait de front la conception traditionnelle. En 2006, après un reportage sur ce projet peu connu, le gouvernement a demandé une entrevue avec le responsable du projet. Dans son idée, il fallait laver le linge sale en famille. Il a donc exigé une enquête. En fait, après la mise en place de ce projet en 2001, il n’y a plus eu que trois 3 tentatives de suicide dans les six6 villages. Et auparavant, entre 2000 et 2001, il y en avait eu 25 dont treize réussies. Pour le Centre, les obstacles peuvent aussi constituer un stimulant pour améliorer la situation.sont des opportunités d’amélioration. Il n’a cessé de réajuster sa stratégie sur le terrain et a toujours cherché à associer un maximum de personnes à ses projets afin de se gagner leur adhésion. Des salles d’activités, des coins bibliothèques et des équipes artistiques ont été établies pour aider les villageois à bien comprendre l’intention des concepteurs du projet. Des « graines » ont été trouvées pour aller dans les familles, découvrir les difficultés, et solliciter de l’aide pour celles d’entre elles qui rencontraient des problèmes. En 2006, le Centre a fait entrer des hommes dans ce groupe, élargissant ainsi sa base. Les femmes rurales constituent un groupe peu homogène qui se trouve au bas de l’échelle sociale, mais qui possède en même temps un grand potentiel inexploité. Le Centre s’est assigné la tâche de libérer et d’exploiter ce potentiel et cela a été rendu possible par son attitude positive. Il a permis à ce groupe de briller d’une façon particulière.

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