CHINAHOY

27-January-2014

La France, partenaire du développement durable à Wuhan

Interview de Philippe Martinet – Consul général de France à Wuhan

 

La première ligne aérienne directe entre Wuhan et Paris a été inaugurée le 12 avril 2012. (photo fournie par le bureau des affaires étrangères de wuhan)

 

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

C'est au New World International Trade Center, un imposant immeuble dans la partie Hankou qui héberge le Consulat général de France et celui des États-Unis, que nous avons eu la chance de nous entretenir avec M. Philippe Martinet, Consul général de France à Wuhan. Mais pas dans un bureau austère, non. Dans un Costa Café, autour d'une boisson chaude, une ambiance bien plus chaleureuse.

De 2002 à 2006, vous avez été en poste à l'ambassade de France à Moscou, puis vous avez dirigé la coopération et l'action culturelle française en Inde de 2006 à 2010. Aujourd'hui, depuis quatre mois environ, vous occupez le poste de Consul général de France à Wuhan. On observe donc, dans votre parcours, un déplacement vers l'est. Est-ce un hasard ?

C'est en fait le résultat d'un choix. Je m'intéresse plus particulièrement aux pays émergents, aux grands pays ou bien à ceux qui entretiennent d'importantes relations internationales avec la France. C'est la carrière de diplomate qui m'importe. En revanche, je n'ai pas choisi les positions que j'ai exercées, parce qu'elles ont beaucoup dépendu de l'évolution de ma carrière. J'ai fait du politique en Russie, du culturel universitaire scientifique en Inde, et là, je fais un peu de l'attractivité économique et du culturel en Chine, avec un poste au service de gestion des visas en plus. Donc à chaque fois, des positions et un contenu de travail différents, mais l'idée, c'est surtout d'être auprès des pays qui sont parmi les plus importants partenaires de la France dans ses relations internationales.

C'est vrai que par ailleurs, je suis plus attiré par les pays qui ont une vieille culture, c'est en Europe ou en Asie qu'on les trouve.

Comment voyez-vous Wuhan ?

La première impression que j'ai eue de Wuhan, c'est celle que tout le monde a en arrivant : c'est l'usine de la Chine. Même les gens de Wuhan n'aiment pas toujours leur ville. Moi, je suis resté seulement quatre mois ici, mais je suis frappé par le fait que dans cette espèce de chaos urbain il y a une forte énergie, très dynamisante pour le travail. Les gens sont tout le temps en train de travailler. Moi, je me sens très en phase avec cette espèce de boulimie de travail. Les habitants, en réalité, préfèrent leurs loisirs mais passent énormément de temps à travailler.

Je connais principalement les provinces du Hunan, du Jiangxi et du Hubei. Chacune possède des caractéristiques bien différentes : la psychologie de la population est différente, la langue est différente, ils ne parlent pas le même dialecte. Les gens de Wuhan ne sont pas ceux de Changsha par exemple. Les gens de Changsha, ce sont les gens de la fête. Ils adorent vivre la nuit, boire, bouger, danser. Les Wuhanais aiment beaucoup manger, mais c'est beaucoup plus limité, ils ne sortent pas le soir. D'ailleurs, quand vous prêtez attention à l'espace urbain, vous voyez que ce n'est pas une ville aménagée pour les loisirs.

Mais un autre point à souligner, c'est que vous avez toujours à Wuhan des petits endroits qui donnent une image très différente de celle de « l'usine de la Chine ». Ils sont situés dans la partie Wuchang notamment, où vous avez autour des lacs des lieux très intéressants et très jolis, où les gens vont se promener le week-end. Et puis, aussi dans les quartiers anciens, où plein de petits endroits ont été récupérés, reconvertis en restaurants, en hôtels, cafés, très agréables, et qui mériteraient d'être beaucoup mieux mis en valeur. On peut encore citer Tanhualin, qui est une petite rue ancienne, où s'est rendue notamment Mme Ayrault le 7 décembre dernier au cours de la visite de son mari, le premier ministre français. C'est un coin ancien de Wuhan qui n'a pas été transformé. C'est l'un des enjeux de la ville : comment préserver, redévelopper des parties de quartiers et les mettre au service du rayonnement de la ville.

Les faiblesses de Wuhan reposent sur son modèle de développement qu'heureusement, elle essaie de transformer aujourd'hui. Mais si justement, il n'y a pas une inflexion rapide, la vie va y devenir difficile en fait. Mais Wuhan jouit des atouts traditionnels de la ville centrale, au cœur d'un réseau de communication. C'est le principal atout sur lequel misent les autorités de la ville pour la développer, c'est-à-dire le réseau de TGV, le fleuve, l'aéroport, la liaison directe Paris-Wuhan... Un positionnement international qui est fort puisque la ville ne compte pas moins de 27 partenaires internationaux. C'est vraiment l'idée d'une ville pivot dans un réseau international de grandes villes.

Comment expliquez-vous la concentration d'entreprises françaises à Wuhan ?

D'abord, c'est le gouvernement chinois qui a souhaité que l'on installe un Consulat français à Wuhan et qu'on ouvre un hôpital général. Je pense que la volonté des autorités chinoises d'installer la France au cœur de la Chine est un véritable témoignage de confiance.

La première entreprise française à s'être implantée à Wuhan, c'est l'entreprise Citroën. Aujourd'hui, on évalue à 12-15 % le stock des investissements français en Chine que Wuhan capte, mais ce calcul est très difficile parce que finalement, au fil du temps, la valeur des investissements et les taux de change évoluent. Ce qui est sûr, c'est que Wuhan est une ville très accueillante pour les investissements français, un facteur très positif dans les implantations qui ont lieu, et jusqu'à la dernière qui est celle de Renault en partenariat avec Dongfeng et Nissan. C'est en grande partie lié au fait que les autorités de Wuhan sont très amicales et ont une vraie stratégie de développement de la présence française que cette dernière se développe. Elles facilitent et elles ont l'intention de faciliter notre présence par notamment l'ouverture d'une vraie école française à Wuhan, dont elles ont achevé la construction des nouveaux locaux.

La volonté de la ville de maintenir des liens avec la France passe aussi par la coopération sur la ligne directe Wuhan-Paris, qui vient d'être renouvelée pour deux ans. C'est très important aussi car cela signifie de grosses facilités de développement pour les entrepreneurs et les hommes d'affaires. Nous misons beaucoup sur cette ligne pour le développement d'une vraie communauté d'affaires franco-chinoises à Wuhan, parce que celle-ci n'existe pas encore. Pour l'instant, nous avons essentiellement des sites industriels, des sites de production, destinés au marché chinois, mais assez peu, en fait, d'hommes d'affaires qui vivent entre la France et la Chine. Mais nous pensons que cela va se développer justement.

Avec le temps, la vie devient de plus en plus facile à Wuhan. La ville s'est transformée à partir de 1992, année de l'implantation de Citroën. À l'époque, les gens s'installaient dans une base vie, qui existe encore. Aujourd'hui, alors que Renault arrive, les cadres vont s'installer un petit peu partout à travers Wuhan. Cette situation montre bien que Wuhan est devenue une ville aux standards internationaux. Ce n'est plus une ville où l'on est obligé de s'installer en tant qu'expatrié dans un endroit un peu spécial parce qu'on pourrait s'y sentir mal.

Ensuite, les difficultés des entreprises françaises sont celles rencontrées par toutes les entreprises qui viennent en Chine, c'est-à-dire les démarches administratives, mais en règle générale, dès que je m'adresse aux autorités locales, les problèmes disparaissent. Donc, je crois qu'il y a vraiment une volonté de faciliter les choses qu'il faut saluer. Vraiment, je peux vous dire qu'on nous aide tout le temps.

Pouvez-vous nous décrire les différents jumelages et coopérations de Wuhan avec la France ?

Il faut bien distinguer d'un côté les jumelages, et de l'autre, les coopérations avec les régions. Les jumelages, ce sont les collectivités territoriales ; la coopération avec les régions, c'est la France. Bordeaux, c'est un jumelage, il y a aussi l'Essonne, la Moselle, l'Aquitaine, la Lorraine qui est partenaire du Hubei, donc il y a au moins 5 collectivités. Le Val-d'Oise va venir s'ajouter à la liste cette année, cela fera donc 6 collectivités qui s'intéressent à Wuhan et au Hubei. La France est, en outre, du point de vue de la coopération décentralisée, un des cinq premiers partenaires de Wuhan, avec la Russie, le Japon, les États-Unis, la Corée du Sud.

La région Lorraine est en train de réactiver son jumelage avec le Hubei. Elle va probablement mettre en place des coopérations dans le domaine des nouveaux matériaux, parce qu'elle est très intéressée par certains parcs technologiques, ceux du lac de l'Est par exemple. La Lorraine est aussi intéressée par la coopération dans le domaine médical parce qu'elle a été, avec la faculté de Nancy-Metz, à l'origine de la filière francophone de l'hôpital Zhongnan à Wuhan.

Bordeaux a signé, lors du passage à Wuhan de Mme Anne Walryck, maire adjointe chargée de l'exemplarité environnementale et du développement durable, deux accords : un sur le benchmarking du bilan carbone des bâtiments ; et un autre sur la mesure de la qualité des eaux, une coopération avec le bassin du Haut Adour. Ces deux dernières concrétisations remontent à fin novembre 2013. Ces accords ont demandé plusieurs années de coopération. Ils n'ont pas nécessairement des budgets très importants mais sont eux-mêmes cruciaux, notamment parce qu'ils portent sur le domaine de l'environnement et de la lutte contre le changement climatique. Ce sont des secteurs dans lesquels d'une part, il y a un fort intérêt du côté chinois, car au centre des préoccupations de la population et des autorités. Et pour nous, Français, il est très important de pouvoir apporter notre aide sur un sujet qui est essentiel à la vie quotidienne des Chinois. Et par ailleurs, ce sont des sujets qui touchent aussi à la présidence française de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique. En 2015, la France va accueillir à Paris la Conférence annuelle de la Convention-cadre des Nations unis sur le changement climatique. Dans ce contexte, c'est important aussi qu'on ait avec la Chine un rapport de coopération, et pas seulement un rapport de négociation multilatérale.

L'Aquitaine est aussi partenaire sur le projet de ville durable franco-chinoise à Wuhan. Pour le coup, ce n'est pas la coopération décentralisée uniquement, c'est la coopération entre la France et la Chine. C'est un projet qui a été évoqué lors de la dernière visite du premier ministre français avec Xi Jinping, Li Keqiang et Li Hongzhong (secrétaire du comité du Parti du Hubei). Il s'agit sans doute du projet phare qui va structurer le développement de la coopération. Je pense qu'il faut retenir cette idée : on était un grand partenaire industriel depuis 1992 ; à partir de 2014, on va être un grand partenaire du développement durable dans le centre de la Chine. Et Wuhan va vraiment devenir la ville pilote de cette coopération en matière de développement durable. Ça a commencé tout doucement à partir de 2010 mais le virage, ça a été 2013, avec la visite de Martine Aubry et la signature, le 25 octobre 2013 à Lille, d'un premier procès verbal entre la représentante spéciale du ministre des Affaires étrangères et le secrétaire du comité du Parti du Hubei. On espère aboutir à l'automne 2014 à une inauguration du site qui sera retenu, de manière à matérialiser le lancement de ce projet en Chine dans le cadre du 50e anniversaire des relations bilatérales.

L'Essonne travaille beaucoup sur les nouvelles technologies, sur le multimédia, sur les lasers, les questions d'optique. L'université Paris-Sud entretient des coopérations importantes et anciennes avec l'université de Wuhan. On est dans une phase aujourd'hui de relance de la coopération. On essaie de la rendre plus adaptée au tournant que les autorités chinoises veulent donner au développement de la Chine, un développement beaucoup plus axé sur la durabilité après 30 années de croissance très rapide.

Pourquoi autant de Chinois apprennent le français à Wuhan, d'après vous ?

Les étudiants qui apprennent le français sont des réalistes. En 2050, il y aura 700 millions de francophones dans le monde, grâce à l'Afrique (85 %). Donc, il faut voir cette logique d'apprentissage du français comme un calcul réaliste.

La France est également une terre d'innovation. Apprendre le français, c'est avoir accès à des filières d'études et de recherches qui sont en France et conduites par des Français.

L'avenir des étudiants chinois en France nous intéresse beaucoup. Il y a un Club France qu'on voudrait relancer à l'occasion du 50e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques franco-chinoises. Il n'y a pas assez de travail de réseau qui est fait pour valoriser cet investissement que font les jeunes Chinois. C'est pourquoi on aimerait que le Club France soit plus ouvert sur les entreprises, qu'il nous permette de recruter de jeunes cadres pour les entreprises de la région qui ont un lien avec la France. Et puis on espère que ces anciens étudiants chinois en France développeront les relations d'affaires au niveau des PME, qui manquent encore un peu.

Quelles sont les célébrations au programme à l'occasion du cinquantenaire des relations bilatérales sino-françaises ?

Nous préparons des célébrations tournées vers la coopération bilatérale. Elles auront lieu lors du Festival Croisements (d'avril à juin) et lors du « mois de la France » à Wuhan, prévu en octobre, qui commencera par une opération du nom de « Bellastock » (une sorte de grande opération « ville durable » mais dans un cadre culturel). C'est un projet qui est né de l'initiative de deux étudiants en architecture à Belleville, qui ont créé un collectif. Le concept : construis ta maison et habite-là pendant une semaine. L'idée, c'était de compléter leur formation par des exercices pratiques. Dans le cadre d'une opération Waterworld, 500 étudiants français et 500 étudiants chinois vont construire ensemble des villes flottantes à partir de bambous et de bouteilles de récupération sur les lacs de Wuhan. Nous espérons que ce projet prendra toute son ampleur. Il aura lieu durant la semaine de la Fête nationale début octobre.

Vont aussi avoir lieu des opérations autour de PSA et de Renault, autour de l'excellence industrielle française, probablement une exposition sur l'innovation française, plusieurs évènements scientifiques importants (dont l'inauguration du laboratoire p4 en novembre peut-être), un colloque sur la ville durable (avec l'inauguration du site de la ville durable de Wuhan). D'autres célébrations sont en préparation mais le programme n'est pas encore finalisé.

 

La Chine au présent

Liens