CHINAHOY

5-September-2016

Un maître de reproduction de tableaux anciens

 

En 1978, Chang Baoli en train de reproduire Guoguo Furen Youchun Tu (Dame Guoguo partant faire une promenade au printemps).

 

« Dans le monde, le Musée du Palais impérial est le seul qui possède une équipe professionnelle de reproduction de tableaux. Mais nous sommes peut-être les derniers, parce que pour l'instant, l'équipe n'a pas de successeurs. » En parlant de l'avenir de la reproduction de tableaux en Chine, Chang Baoli, héritier de ce patrimoine culturel immatériel chinois, ne cache pas son inquiétude. Il a travaillé pendant 35 ans dans un studio du nord-ouest du Palais impérial. Il a été en contact avec d'innombrables objets anciens et dirige le studio depuis dix ans.

 

Un champion de la reproduction

 

Chang Baoli est né en 1952 dans une famille ordinaire à Beijing. Lorsqu'il était en troisième année d'école primaire, son talent artistique est devenu évident et on l'a inscrit à des cours spécialisés. Il a aussi commencé à apprendre le zhuanshu (calligraphie sigillaire) et le lishu (l'écriture officielle des sinogrammes) avec le célèbre Liu Boqin au Palais des enfants de Beijing.

 

En 1969, pendant la Révolution culturelle (1966-1976), Chang Baoli a été envoyé dans les campagnes de la province du Heilongjiang. Après le travail des champs, il continuait à peindre. En hiver, lorsque les températures descendaient à -30°C ou -40°C, ses mains gelaient parce qu'il peignait longtemps.

 

Deux ans plus tard, il est rentré à Beijing pour s'occuper de sa mère malade. Cette période a été difficile, il n'avait pas de travail, ni d'argent, mais il ne s'est jamais arrêté de peindre. Il économisait pour acheter du papier de riz xuanzhi et des pigments, et visitait souvent les musées des beaux-arts pour admirer les tableaux. Il mangeait seulement un repas par jour, et sa santé s'est détériorée. Il mesure 172 cm, et pesait alors seulement 47 kg. Il a rendu visite à beaucoup de maîtres de calligraphie et de peinture à Beijing, notamment Zhang Boju, Pan Su et Pan Jiezi. « J'ai rendu visite à beaucoup de maîtres de peinture chinoise, mais j'ai surtout appris seul », explique-t-il.

 

En 1978, il a obtenu la première place parmi plus de 1 000 candidats à un examen de peinture organisé par le Musée du Palais impérial. C'est ainsi qu'a commencé sa carrière de reproduction de peintures anciennes.

 

Une copie réservée pour les générations futures

 

Grâce à ses résultats, Chang Baoli a eu la chance d'être en contact avec les objets anciens les plus précieux dès qu'il est arrivé au Musée du Palais impérial. C'est une chance que certains cherchent toute une vie.

 

« Nous effectuons la reproduction de tableaux endommagés anciens, mais célèbres et précieux. La reproduction de peintures est comme le fait de réserver une copie pour nos descendants. » Selon Chang Baoli, dans la Chine ancienne, la reproduction était entreprise par l'administration de la maison impériale, et dans les cours d'artistes. Dans l'histoire chinoise, beaucoup de maîtres ont commencé leur carrière avec la reproduction de tableaux. C'est le cas de Gu Kaizhi (348-409), Huang Gongwang (1269-1354), Qi Baishi (1864-1957) et Chang Dai-Chien (1899-1983). Beaucoup de tableaux anciens, comme Lantingxu (Préface au Recueil des poèmes composés dans le pavillon aux orchidées) de Wang Xizhi (303-361), Han Xizai Yeyan Tu (Festivités nocturnes de Han Xizai) de Gu Hongzhong (910-980), et Qingming Shanghe Tu (Scène de vie le long de la rivière Bianhe le jour de la fête Qingming) de Zhang Zeduan des Song du Nord (960-1127), sont encore visibles aujourd'hui grâce à la reproduction.

 

Cependant, la reproduction n'est pas un art aussi fascinant que dans notre imagination. « C'est ennuyeux, confie Chang Baoli. Il faut au moins plusieurs années, parfois une dizaine, pour reproduire une peinture. Par exemple, le maître Feng Zhonglian a mis 22 ans à reproduire Scène de vie le long de la rivière Bianhe le jour de la fête Qingming. Même si l'on enlève les dix ans de la Révolution culturelle, pendant lesquels il a interrompu son travail, cela fait encore 12 ans. » Quant à Chang Baoli, il a mis six ans à reproduire Nanji Shouxing Tu (Le Dieu de la Longévité) de Guo Xu (1456-1532). Selon lui, la reproduction n'est pas simplement une imitation d'une peinture, c'est tout un ensemble émotionnel. « Les tableaux anciens sont flous, nous devons donc bien saisir les émotions que contient le tableau, et faire la reproduction en revenant à cet état flou. C'est la grande difficulté de la reproduction de tableaux. » Selon lui, les anciens ne distinguent pas le vrai du faux, ils distinguent l'original de la copie. Mais ils admirent aussi la reproduction de haut niveau. Par exemple, des tableaux reproduits sous les Song (960-1279) ont obtenu un niveau similaire aux originaux. Les anciens estiment que l'original est le meilleur, mais la reproduction est aussi remarquable. Par exemple, la reproduction de Lantingxu de Feng Chengsu (617-672) sous les Tang est considérée comme une version magnifique.

 

À la poursuite de la qualité des originaux, Chang Baoli s'est formé aux techniques de peinture qui remontent aux Tang (618-907) et aux Song. Au fil de ses trente ans, il a achevé la reproduction de Liuzunzhe Xiang (Six vénérables) de Lu Lengjia des Tang ; Tianshui Mo Zhang Xuan Guoguo Furen Youchun Tu (Reproduction du tableau Dame Guoguo partant faire une promenade au printemps de Zhang Xuan) de Zhao Ji (1082-1135) des Song ; Renqi Tu (Homme à cheval) de Zhao Mengfu (1254-1322) des Yuan ; Mo Xiao Zhao Zhongxing Ruiying Tu (Reproduction de la peinture Zhongxing Ruiying de Xiao Zhao) de Qiu Ying (1494-1552) des Ming, etc. Il a aussi été chargé de la reproduction de deux tableaux du patrimoine national : Youqi Tu (Voyage à cheval) des Tang et Zhang Guo Jian Minghuang (Zhang Guo à l'audience de l'empereur Minghuang) de Ren Renfa (1254-1327) des Yuan.

 

Depuis trente ans, Chang Baoli a l'habitude de partir le dernier pour fermer le bureau et vérifier plusieurs fois les pièces. En septembre 2015, le tableau Scène de vie le long de la rivière Bianhe le jour de la fête Qingming a été exposé au Musée du Palais impérial de Beijing, attirant 100 000 visiteurs. Chang Baoli, qui connaît bien cette peinture, est fier de dire : « Je laisse beaucoup de mes traces sur les tableaux anciens chinois. »

 

En plus de la reproduction, Chang Baoli s'attache aussi à la création. Il est doué en peinture à l'encre de style classique, en particulier en chevaux de bataille. Son talent pour la peinture de chats lui a conféré le surnom « Le roi des chats ». En 1979, à l'âge de 27 ans, il a présenté pour la première fois une exposition à Hong Kong. En 1998, le ministère de la Culture lui a demandé de peindre pour Gu Zhenfu, président de la Fondation pour les échanges à travers le Détroit, lors de la première visite de ce dernier en Chine.

 

L'héritage de la reproduction de tableaux

 

« Quand je regarde un arbre, j'imagine aussi les racines sous la terre profonde. La reproduction de tableaux ressemble à cela, il faut prendre le sens de la profondeur et de l'espace. On peut ressentir les émotions des anciens à travers leurs tableaux », affirme Chang Baoli avec philosophie.

 

Dans les tableaux anciens, il a non seulement étudié les techniques de peinture, mais aussi les institutions, les textiles, l'agriculture, la médecine, le jardinage, la porcelaine de la Chine d'autrefois. « Le proverbe dit que pour enrichir ses connaissances, il faut lire dix mille ouvrages et voyager sur une distance de dix mille li. Cela veut dire que nous devons apprendre au quotidien. » Chang Baoli a associé d'autres connaissances à la reproduction de tableaux. Par exemple, il a observé sa mère en train de coudre et a mieux compris la peinture des costumes anciens. Il a appris la maçonnerie auprès de son oncle, afin de mieux comprendre les techniques de peinture des murs. Grâce aux connaissances accumulées dans sa vie, Chang Baoli est devenu un bon peintre et un héritier du patrimoine culturel immatériel chinois.

 

Cependant, avec la popularisation des techniques par ordinateur, la reproduction manuelle de tableaux est sur le point de disparaître. Bien que le studio de reproduction de tableaux du Palais impérial soit encore ouvert, le nombre de postes diminue. « L'ordinateur peint avec précision, mais il manque toujours un peu d'émotion par rapport à la reproduction manuelle », selon lui. Il pense que la reproduction de tableaux doit renfermer les émotions et l'énergie de l'être humain.

 

« Les experts de la reproduction de tableaux sont rares dans le monde. Si cet art se perd, ce serait vraiment regrettable. » Chang Baoli exprime son inquiétude pour le futur, et veut mieux faire connaître la reproduction de tableaux en Chine. Dans cet objectif, il participe à beaucoup d'activités, donne des discours, collectionne des documents et enseigne gratuitement aux étudiants les techniques de peinture des anciens.

 

Chang Baoli espère convaincre les jeunes artistes de participer à l'art de la reproduction pour assurer son héritage. Dans les grandes villes, avec le rythme rapide de la vie, rares sont les jeunes qui recherchent le calme et la patience de la peinture, mais il ne baisse pas les bras.

 

 

 

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