CHINAHOY

31-May-2016

Cybersécurité ou cybersurveillance ?

 

Ce qui est drôle lorsqu'on vit en Chine, c'est voir à quelles contorsions la presse démocratique est prête à se livrer lorsqu'elle raconte ce pays. Pas de bonnes nouvelles de ce côté du globe, et toute info est systématiquement tordue dans le sens le plus pessimiste possible. Bien sûr, certains thèmes demandent plus d'agilité que d'autres et parfois, des prouesses sémantiques qui vous laissent pantois...

CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction

La surveillance massive des internautes chinois est l'un des marronniers favoris de la presse démocratique. Et c'est vrai qu'entre Internet+, Big Data et autres « villes connectées », le pays met le paquet pour produire et stocker de la donnée.

« Cybersécurité. Les États-Unis préparent des sanctions sans précédent contre la Chine » titre Le Courrier international, tandis que Le Figaro ironise entre guillemets « La Chine, "défenseur de la cybersécurité" » et L'Informaticien affirme que « La Chine renforce le contrôle d'Internet ». Quant à l'ONG Reporters sans frontières, elle ne qualifie que cinq pays d'« ennemis d'Internet », dont évidemment la Chine.

La presse en déverse des tonnes sur la censure et le contrôle des citoyens en Chine, comme si ces choses étaient absolument exotiques et impensables sous nos démocratiques latitudes... Elle décrit sous un jour sombre et totalitaire des pratiques chinoises qui sont considérées comme normales ou inévitables chez nous.

« Le système de censure chinois s'organise en trois cercles qui tentent de réduire le plus possible l'espace de liberté de millions d'internautes », « selon les experts [anonymes], la Chine serait à l'origine de près d'un tiers des "programmes malveillants" de la planète » explique dans Le Monde Arnaud de La Grange, qui poursuit : « WeChat s'est transformé en une plateforme sociale tentaculaire sur laquelle 600 millions de personnes jouent, font leur shopping, commandent des taxis ou contractent des prêts. » Choix des mots, choc des concepts : « malveillant » ou « tentaculaire », WeChat est bien sûr tout le contraire de Facebook ou de Twitter qui sont des espaces de liberté ludique.

« La nouvelle directrice de Twitter en Chine inquiète les utilisateurs » titre Le Monde. Sans craindre d'en rajouter un peu dans le trémolo, l'auteur affirme sans rire « son profil affole les utilisateurs. » Bigre : de quoi s'est-elle donc (par avance) rendue coupable ? « elle serait un peu trop proche du Parti communiste chinois. »

C'est que, nous apprend l'auteur, « sécurité » veut souvent dire « surveillance » en Chine. Petite leçon de chinois suivie d'une mise en garde grotesque : « Dans un pays où des messages critiquant le Parti peuvent valoir de longs séjours en prison... » Reporters sans frontières, qui tient un décompte précis des affaires liées à la cyber-criminalité en Chine, ne dénombre que 69 personnes emprisonnées pour activités illégales en ligne, sur 700 millions d'internautes. On aimerait bien connaître, pour pouvoir comparer, le nombre de lanceurs d'alerte poursuivis pour « espionnage » et pour « trahison » aux États-Unis, ou dans d'autres pays démocratiques. Mais l'ONG ne se préoccupe pas des peccadilles qui se produisent en territoire ami.

Presque tous ces articles pleurnichent que « par le biais de la répression de la pornographie, les autorités viennent de s'attaquer aux SMS en interdisant les "textos coquins". En cas d'audace textuelle, l'opérateur bloque la fonction. » Alors qu'il est bien connu que si justement Facebook censure systématiquement tout contenu un peu olé-olé, WeChat laisse tout passer. Contrairement aux journalistes occidentaux qui insinuent et suggèrent des contre-vérités, les chercheurs et les activistes de la liberté du net sont formels : « Il semble clair que Twitter est désormais engagé dans la censure. [...] L'élaboration de systèmes de censure automatisé est une décision politique et intentionnelle de Twitter » a affirmé Paul Dietrich, activiste et chercheur américain, lorsqu'un de ses messages qui portait sur l'enquête de The Intercept sur les frappes de drones américaines a été censuré.

Nicolas Mazzuchi, chercheur à l'Iris, constate que « Facebook a déjà le savoir-faire en matière de censure, notamment pour les contenus à caractère sexuel. Ils passeront simplement d'une censure sexuelle à une censure politique.» Les spécialistes s'accordent à le dire, multinationales et États sont comme larrons en foire pour siphonner et exploiter les métadonnées des internautes. Dans ce domaine, la Chine ne fait que suivre le mouvement.

« La Chine est devenue incontournable pour les entreprises high-tech américaines. Mais entrer sur le marché chinois a un prix, qu'elles semblent désormais prêtes à payer : accepter les règles liberticides qui y encadrent Internet », explique Jamal El-Hassini dans Le Monde. Précisons tout de même que Google, Facebook et autres Twitter font cela dans tous les autres pays, jouant le rôle d'interface ludique de la NSA qui aspire et stocke absolument tout, sans souci de légalité ou de vie privée.

Edward Snowden et d'autres lanceurs d'alerte ont dénoncé la collecte et l'analyse systématique des données des citoyens, notamment occidentaux. Quelle a été la réaction des autorités élues dans ces pays ? Des lois sur le renseignement qui, au lieu d'encadrer et de recadrer les pratiques, se contentent tout bonnement de les légaliser... rétroactivement !

L'appétit vient en mangeant. Une fois lancée, la boulimie de surveillance des États ne connaît aucune limite. Au lieu de se lamenter sur le sort des internautes chinois, la presse de nos pays ferait bien de surveiller de près ce qui se passe chez nous. Selon la façon dont il est régulé, Internet peut être un facteur de liberté ou un moyen d'oppression.

 

La Chine au présent

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