CHINAHOY

29-July-2013

Chengdu: La vie au ralenti

 
La rue touristique Jinli, à Chengdu

 

JIAO FENG, membre de la rédaction

Cui Jian, le père du rock chinois, n’a pas la réputation d’être un sentimental. Avec des albums tels que Vagabond’s Return, Nothing Left et Power of the Powerless, le rocker vieillissant fait figure de contestataire pour la génération des Chinois nés dans les années 1960.

Mais même Cui Jian craque devant les charmes de la ville de Chengdu. En fait, il s’est tant épris de la capitale de la province du Sichuan au Sud-Ouest de la Chine qu’il lui a consacré un film : Chengdu, I love you, qu’il a réalisé en coopération avec Fruit Chan, et qui est sorti en avant-première au 66e festival international du film de Venise. Il y raconte deux histoires d’amour ayant pour cadre Chengdu, et qui évoluent sur une période de 52 ans, entre 1976 et 2029.

Maison de thé, mahjong et mets fins

Que Chengdu ait ensorcelé une rock star au cœur rebelle n’a rien d’étonnant. Au cours de ses 2 300 ans d’histoire, la ville a séduit d’innombrables voyageurs qui ne purent résister à la tentation d’y goûter le calme d’un séjour plus ou moins prolongé, et de se délasser dans les alentours. Le climat est doux, les produits sont frais, et le paysage, époustouflant. Les voyageurs de sexe masculin pourront en outre profiter de la beauté des femmes locales, réputées parmi les plus attrayantes de Chine.

Un vieux proverbe chinois explique que « les gens devraient passer leurs vieux jours à Chengdu, jamais leur jeunesse ». La raison en est que la vie à Chengdu est presque trop confortable : à quels efforts serait-on encore prêt à consentir si l’on est déjà au paradis ? Longer les rives du lac Chaoyang ; passer une après-midi dans une maison de thé ; s’absorber dans une partie de mahjong jouée à même la rue… Si les tentations et les loisirs de Chengdu sont aux antipodes du dynamisme de la jeunesse, pour les seniors par contre, il n’y a pas de meilleur endroit.

Se décontracter dans des maisons de thé est un des passe-temps favoris de la population locale. Une maison de thé bondée de monde à trois heures de l’après-midi un jour de semaine, voilà qui est tout à fait ordinaire. Les établissements offrant les variétés les plus délicates des thés locaux se voient partout : sur le bord des routes, sous les ponts, dans les parcs et même à l’intérieur des temples ou sur d’autres sites historiques importants.

Les maisons de thé à la mode ancienne se trouvent aujourd’hui encore un peu partout en Chine. Mais à Chengdu, on n’a pas l’impression qu’elles aient le moins du monde changé depuis la création de ce breuvage. Les habitants locaux s’assoient sur de jolies petites chaises en bambou et boivent dans un service à thé traditionnel qui a tout d’une antiquité lui-même. Les serveurs de la maison courent en tous sens avec des plateaux chargés d’une douzaine de services à thé, et des bouilloires munies d’un très long bec pour verser l’eau chaude sur les meilleurs thés qui soient.

La culture du thé, ce n’est pas que le thé. Les habitants de Chengdu ne convergent pas à la maison de thé seulement pour partager leur boisson favorite, mais aussi pour bavarder avec leurs amis, jouer aux cartes, et tenter leur coup au mahjong.

Avant que les journaux n’existent, c’était dans les maisons de thé qu’on apprenait les dernières nouvelles de la ville et d’au delà, et peut-être aussi où l’on pouvait s’échanger des bribes de potins croustillants. Aujourd’hui à Chengdu, cette tradition est bien vivante : les habitants locaux lisent leurs journaux chez eux, puis se rendent à la maison de thé pour discuter de ce qu’ils y ont vu avec leurs amis. Pour ceux qui n’aiment pas lire les journaux, il suffit sans doute d’aller s’asseoir dans une maison de thé pour avoir une idée de ce qui se passe dans le monde.

 

Le mahjong, un passe-temps indispensable à la vie des habitants de Chengdu.
 

En termes de loisirs, jouer au mahjong ne le cède qu’à la maison de thé aux yeux des autochtones.

Le mahjong est un aspect essentiel de la culture chinoise, et celui de Chengdu est particulièrement renommé. Au nouveau venu, le mahjong paraîtra revêtir pour les habitants de la ville la même importance que manger ou dormir. Des tables de mahjong se trouvent partout, pas seulement dans les maisons de thé et les parcs, mais aussi dans les trains et les bus. Sur un train reliant Chongqing et Chengdu entré en service en avril de cette année, un wagon entier a été réservé pour les passagers voulant y jouer.

Dans les quelques rares cas où les badauds de Cheng-du ne sont pas à la maison de thé ou occupés à jouer au mahjong, ils sont probablement en train d’admirer les beautés naturelles des alentours de la ville. Les week-ends et les jours fériés, les habitants se rendent à la campagne pour profiter d’une randonnée ou d’une croisière au fil de l’eau.

À la campagne, les produits sont encore plus frais qu’en ville. Après une matinée passée à arpenter un sentier de randonnée, un simple casse-croûte dans un restaurant sur le bord de la route peut se transformer en un tournemain en banquet somptueux de trois heures.

Chaque habitant de Chengdu est un gourmet. Il vit pour goûter des plaisirs du palais. La cuisine du Sichuan est en fait l’une des quatre grandes traditions culinaires chinoises. Les restaurants de Chengdu, quels que soient leur taille ou leur emplacement, se doivent de posséder au moins une spécialité de la maison ou une marque distinctive d’innovation culinaire. Si ce n’était pas le cas, ils ne survivraient pas au milieu de la rude concurrence.

Le rythme de vie au ralenti caractéristique de Cheng-du compte de nombreux adeptes. Les autochtones accueillent avec joie les touristes, ils savent que leur ville est un trésor, et partagent volontiers ses joies. Chengdu a été élue « ville la plus heureuse de Chine » depuis maintenant plusieurs années consécutives. Ce titre est amplement mérité.

Petites ruelles et vieilles bourgades

Un autre loisir qui s’offre au visiteur de Chengdu, c’est d’aller se perdre dans le dédale de petites ruelles de la vieille ville. Pour les candidats au voyage, il vaut mieux s’y prendre tôt, car au rythme actuel de l’expansion urbaine, de nombreuses vieilles ruelles et venelles auront bientôt disparu, même si quelques unes d’entre elles, comme la rue Wenmiao et la rue Daosangshu, sont désormais protégées.

On peut soutenir que la venelle de Kuanzhai est la plus célèbre des anciennes allées de Chengdu, et qu’elle va le rester. Aujourd’hui le passage est fermé au trafic, et les piétons ont champ libre.

La venelle de Kuanzhai est constituée de trois segments : les venelles de Kuan, de Zhai et de Jing. Elles ont été reliées pour former une unique et longue allée sous la dynastie des Qing. Étant un des symboles de Chengdu, la venelle a survécu aux changements qui ont transformé les autres parties du paysage urbain. Certains endroits sur l’allée ont subi des rénovations ou des restaurations, mais son authenticité a été préservée jusqu’à aujourd’hui.

La rue Jinli est également célèbre, mais pour des raisons très différentes. Jouxtant le sanctuaire de Wuhou, Jinli est une rue commerçante animée qui possède une longue histoire. Les visiteurs qui ne veulent pas faire du troc peuvent trouver de quoi s’occuper dans les nombreux bars, cafés, boutiques d’artisans et maisons d’hôtes.

Dans la périphérie de Chengdu, il y a de nombreuses bourgades qui ont été bien préservées. Elles fournissent un lieu propice à la relaxation, loin de l’agitation du centre-ville. La plus belle d’entre elles est peut-être la bourgade de Huanglongxi, laquelle a été élue plus belle vieille ville du Sichuan en 2012.

La bourgade de Huanglongxi est séparée en deux par la rivière Fuhe. Plusieurs ponts suspendus en fer enjambent la rivière, reliant les deux parties de la petite ville. Sur une des berges se tient un vieux banian aux racines noueuses. On dit qu’il est âgé de plus de 1 000 ans. Plusieurs familles de la bourgade sont installées là depuis des générations, mais peut-être pas depuis aussi longtemps que leur voisin banian. Les habitants vivent du tourisme : ils vendent des en-cas et des souvenirs dans leurs échoppes à front de rue, et résident dans les pièces à l’arrière de la maison.

Huanglongxi revendique la paternité de nombreuses traditions, dont la plus singulière est peut-être la danse du Dragon de feu. Dans la première moitié du premier mois du calendrier lunaire, tous les jours, 20 jeunes hommes costauds torses nus effectuent la danse traditionnelle au centre-ville, qui comprend un usage spectaculaire de feux d’artifice. Il faut le voir pour le croire.

 

Le premier « Espace pour la jeunesse » a vu le jour le 28 mai 2013, dans l’arrondissement Jinjiang de Chengdu. (PHOTO: CFP)
 

Personnages historiques et nouvelles stars

2 000 ans d’histoire ont laissé une empreinte indélébile sur l’héritage culturel de Chengdu. Celle-ci fut la capitale de la monarchie des Shu (221-263) pendant la période des Trois Royaumes (220-280). Selon le gouvernement local, la ville compte 127 sites culturels d’importance qui sont protégés par l’État.

Mais l’histoire de Chengdu continue à vivre aujourd’hui dans la mémoire de ses habitants. Tous connaissent encore l’histoire des personnages célèbres qui ont fait la gloire de la cité.

Zhuge Liang (181-234) est indéniablement le représentant le plus éminent de la période des Trois Royaumes. Il est reconnu comme le plus grand stratège, politicien et inventeur du pays. Il est aussi devenu un symbole de la sagesse chinoise. Un proverbe d’usage répandu encore aujourd’hui décrit quelqu’un d’intelligent comme « suffisamment doué pour rivaliser avec Zhuge Liang ». Le sanctuaire de Wuhou à Chengdu est dédié à sa mémoire. Chaque année, il attire des millions de touristes, étant en même temps l’un des trois plus influents musées spécialisés dans l’époque des Trois Royaumes.

La maison au toit de chaume de Du Fu à Chengdu comprend un parc et un musée. Le complexe fut reconstruit en l’honneur de ce poète (712-770), un des plus grands de l’histoire de Chine. On dit que l’homme avait fui à Chengdu pour échapper aux turbulences de la guerre. Il construisit une chaumière près du pittoresque cours d’eau Huanhua, où il vécut quatre ans et écrivit plus de 200 poèmes. Rénové de fond en comble au cours des siècles, l’actuelle demeure n’a plus grand chose à voir avec celle qu’avait construite Du Fu. Toutefois, en se baladant autour de la maison et en goûtant son élégance et la beauté des paysages qui l’environnent, les visiteurs passent une après-midi mémorable tout en rendant hommage au génie créateur du poète. En tout, le barde a laissé plus de 1 000 poèmes à la postérité.

Un autre épisode célèbre de l’histoire de Chengdu est la romance entre le célèbre écrivain Sima Xiangru (179-118 av. notre ère) et Zhuo Wenjun, une belle et intelligente veuve. Wenjun est tombée amoureuse des talents littéraires de Sima Xiangru, l’a séduit et s’est enfuie avec lui contre l’avis de sa famille. Ils se sont établis finalement à Chengdu où ils ont ouvert un magasin de liqueurs sur la rue Qintai, pour gagner leur vie.

Aujourd’hui, la rue Qintai n’est plus la petite allée pavée de pierres bleues qu’elle était autrefois. Mais des briques taillées sur un kilomètre le long de la route donnent au visiteur une idée des coutumes et des traditions à l’époque de la dynastie des Han, il y a plus de 2 000 ans. Les sculptures en brique montrent d’anciens rituels, y compris ceux qui concernent les banquets, les chants, les danses et la chasse.

L’histoire ne se fige pas dans le passé, elle se fait à chaque jour qui passe. Aujourd’hui, Chengdu reste une pépinière de talents, surtout dans l’industrie du spectacle. Li Yuchun, Zhang Liangying et Zhang Jie par exemple, tous trois originaires de Chengdu, font parmi les meilleures ventes en pop chinoise. Qui sait, peut-être les habitants de Chengdu raconteront-ils leurs histoires pendant 2 000 ans encore.

 

La Chine au présent

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