CHINAHOY

1-September-2017

La priorité aux droits de l’homme varie selon la situation réelle

(France) CHRISTOPHE TRONTIN

 

Ce qui est drôle lorsqu’on vit en Chine, c’est voir à quelles contorsions la presse démocratique est prête à se livrer lorsqu’elle raconte ce pays. Pas de bonnes nouvelles de ce côté du globe, et toute info est systématiquement tordue dans le sens le plus pessimiste possible. Bien sûr, certains thèmes demandent plus d’agilité que d’autres et parfois, des prouesses sémantiques qui vous laissent pantois...

 

À en croire une certaine presse, la Chine serait un enfer pour ses citoyens privés de pratiquement tout droit. Pas étonnant que des voix s’élèvent pour dénoncer une situation qui, toujours à en croire les gazettes occidentales, ne ferait qu’empirer. Ainsi La Croix rappelle que la Chine est « accusée depuis des décennies de ne pas respecter les droits et les libertés de ses citoyens », tandis que Le Monde affirme que, depuis 2013, « le bilan des droits de l’homme en Chine est affligeant ». Atlantico renchérit en citant un rapport (américain) qui déclare la Chine « moins libre, plus opprimante, et méprisant de plus en plus les normes internationales », postulat qu’entonne en chœur toute la « presse libre » dès qu’il s’agit pour un dirigeant occidental de rencontrer son homologue chinois. « Parler des droits de l’homme à Beijing » est devenu l’exercice obligé de toute visite officielle d’un dignitaire occidental.

Depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, on pourrait croire l’affaire entendue. Ce texte fondateur des libertés individuelles énumère les droits inaliénables et imprescriptibles qui s’attachent (ou devraient s’attacher) à toute personne. Las ! Comme dans toutes les affaires humaines, tout est affaire d’interprétation. Et la Chine, de par sa culture et son histoire, a une vision des droits de l’homme assez différente de celle qui prévaut en Occident.

Alors qu’on se focalise, en Occident, sur certains droits bien particuliers garantis par l’État, comme celui de voter ou de caricaturer, d’autres droits y sont tout simplement livrés en pâture au marché. L’accès à la nourriture, à la culture, à l’éducation, à la santé, à l’habitat, n’y sont pas considérés comme des droits mais comme des questions de pouvoir d’achat. Une étude récente publiée par Gallup indique que 19 % des ménagères américaines déclarent avoir connu, dans les douze derniers mois, « une situation où elles ne disposaient pas de l’argent nécessaire pour acheter la nourriture dont leur famille avait besoin ». Contre seulement 6 % en Chine.

Ainsi que le souligne Zhang Weiwei, auteur de l’ouvrage The China Wave : Rise of A Civilizational State, aucun pays ne peut garantir le respect simultané de tous les droits humains. Dans chaque pays, sa situation particulière et la sensibilité nationale créent une hiérarchie des droits spécifique à ce pays qui dicte les priorités. Le droit de ne pas mourir de faim peut paraître à certains plus indispensable que celui de voter. Dans d’autres pays, c’est celui de ne pas être emprisonné sans raison qui peut passer pour plus nécessaire que celui de caricaturer publiquement le prophète. Ou inversement.

De fait, résume-t-il, la question des droits de l’homme est une recherche d’équilibre entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif. La priorité occidentale accordée aux droits individuels est certainement louable dans un environnement où le niveau d’éducation et de revenus est suffisant pour permettre l’accès pour tous à un appareil judiciaire équitable. Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, elle conduit au contraire à des situations ubuesques. Il cite l’Inde où seuls les propriétaires sont indemnisés lorsqu’un bidonville est rasé ; ces bidonvilles abritent principalement des locataires pauvres, et cette lutte contre l’insalubrité ne fait donc que déplacer la précarité. Il aurait pu parler également de cette usine Coca Cola que de riches Indiens ont installée dans la province semi-désertique du Rajasthan et qui gaspille les maigres ressources en eau potable de la région. Le droit individuel de ces entrepreneurs fait fi du droit des paysans rajahsthanis à irriguer leurs cultures.

L’auteur pointe d’autres contradictions assez curieuses qui frappent même des pays « champions des droits de l’homme » : la France interdit aux femmes musulmanes le port du voile et certains édiles locaux se sont mis à sévir contre le burkini sur les plages. Des diktats vestimentaires qui semblent parfaitement absurdes vus de Chine. De même, l’objectif d’une couverture sociale généralisée semble toujours inatteignable aux États-Unis en dépit des promesses des présidents successifs. Peut-être devrait-on approcher ce problème du point de vue des droits humains ? En Chine, pratiquement 100 % de la population bénéficie d’une couverture de base.

L’équilibre des droits est une chose complexe car le droit des minorités contredit souvent les désirs de la majorité, et le désir de liberté s’oppose à celui, tout aussi légitime, de sécurité.

Les pays les plus puissants militairement doivent apprendre à résister à la tentation d’imposer leurs normes à l’étranger. Les exemples tragiques ne manquent pas : en allant défendre les droits de l’homme dans des pays étrangers, ils continuent de produire un surcroît de violence dans des régions qu’il s’agissait d’apaiser. 

 

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