CHINAHOY

2-June-2017

« Le taï chi fonctionne à tous les âges, mais différemment »

 

Le 7 avril 2017, à Suining (Sichuan), un homme fait du taï chi.

 

(France) CHRISTOPHE TRONTIN

Depuis 2015, Patrick Grondin est professeur de taï chi dans la petite ville bressane de Louhans. « On sent chez les gens un réel besoin de reprendre contact avec soi-même pour retrouver la tranquillité », affirme-t-il. « D'ailleurs il suffit d'observer l'explosion du nombre d'activités proposées dans le domaine énergétique, entre le yoga, le qi gong, la réflexologie, la sophrologie, les différentes versions de taï chi... En 2000, lorsque j'ai commencé à m'initier au taï chi, il n'y avait pas plus de quatre professeurs dans la région, maintenant on en compte une bonne vingtaine. »

En arrivant au Centre chiropratique, je me suis glissé silencieusement dans la salle où le cours se terminait. Une musique méditative planait sur l'assistance silencieuse d'une demi-douzaine d'élèves allongés sur des tapis mousse, dans une lumière tamisée. Patrick, assis en tailleur, en costume traditionnel chinois brodé au logo du club, murmurait d'une voix douce ses instructions pour sortir en douceur de la relaxation. « Aujourd'hui on a commencé à étudier le sourire intérieur... Lorsque vous avez des soucis, posez-vous, essayez de vous relaxer, souriez à vos reins. Lorsque vous êtes sous l'emprise de la colère, souriez à votre foie... c'est une discipline que l'on acquiert à force d'exercices, c'est ça, le sourire intérieur. »

Les élèves rouvrent les yeux, s'étirent, s'asseyent. Patrick les interroge : « Comment vous sentez-vous ? Comment ça s'est passé ? » La première à se lancer évoque la fatigue qui lui tombe sur les épaules. « C'est normal ! s'exclame Patrick, la méditation n'est pas un simple repos. L'esprit est un peu sauvage ; les Chinois disent qu'il est toujours tenté, comme le singe, de sauter de branche en branche. C'est difficile de le garder assis et concentré. Il faut l'apprivoiser. Coordonner la méditation avec la respiration, c'est un effort. » Une autre adepte du taï chi évoque les distractions qui la perturbent lorsqu'elle fait ses exercices à la maison, alors qu'ici « on est comme dans un cocon de calme ». Patrick rebondit sur cette remarque : « Il ne faut pas toujours méditer dans le calme. Au fur et à mesure de vos progrès, vous apprenez à rester concentré même en milieu hostile. Mon prof, à Paris, m'a emmené plusieurs fois méditer dans le métro. À l'heure de pointe, des gens vous poussent, vous entendez les bruits, le wagon qui vous secoue, des odeurs viennent vous importuner... Au début je n'arrivais à rien ! C'est un entraînement. »

C'est la fin du cours. Les élèves reprennent leurs affaires, on papote. La moitié environ sont retraités, d'autres plus jeunes souffrent du stress au travail. Si la plupart sont débutants, c'est parce qu'aucun cours n'était proposé dans les environs. Aller jusqu'à Mâcon ou Chalon pour une heure de taï chi, c'était trop compliqué. « Lorsque j'ai entendu parler du cours de Patrick ici, à Louhans, je me suis dit : cette fois, je me lance ! Ça fait longtemps que je voulais essayer. Ça me plaît ! » raconte cette jeune femme un peu enveloppée, les yeux brillants. Une autre souligne que c'est son médecin qui lui a conseillé le taï chi pour sa rééducation suite à une opération du dos. Patrick m'explique qu'il guide actuellement une vingtaine d'élèves dans quatre villes de la région. Sa spécialité est le taï chi chen, c'est à dire la version originale, celle qui s'est construite à partir du XVIe siècle, ainsi que le raconte la légende de Zhang Sanfeng, ce moine qui observa le combat d'un serpent et d'une grue et qui a mis au point sa discipline en décomposant leurs gestes pleins de grâce. C'était la naissance du taï chi : art martial à l'origine, il a ensuite évolué en incorporant des savoirs liés à la santé et à la méditation. Différents maîtres ont développé des écoles diverses, le chen (du nom de Chen Wangting, qui vécut au XVIIe siècle), puis de disciple en disciple, sont apparus les styles yang (développé par Yang Luchan), le wu (du nom de Wu Quanyou), le li (de Li Hoxian)... les unes plus tournées vers l'intérieur et les autres vers l'extérieur. Le style chen a conservé un aspect martial très net et demande donc des qualités corporelles de vitesse et de puissance. Le style yang est peut-être le plus populaire en Occident, cette gymnastique lente qui privilégie la « force souple ». Relaxation, méditation, développement de la souplesse, de la force, de la précision, de l'équilibre, auto-défense... Chacun son taï chi ! Des disciplines variées qui cultivent des approches similaires et pourtant différentes. Des accessoires sont parfois employés, comme l'épée, l'éventail, la balle... Patrick en pratique plusieurs avec ses différents groupes d'élèves. « L'éventail et l'épée se rapprochent des sports de combat, avec des gestes imprévisibles qui allient rapidité, souplesse et précision. Les exercices avec la balle consistent surtout en des positions d'équilibre, une recherche de la coordination entre le haut et le bas du corps... »

« À l'origine, je faisais du karaté. De 1990 à 2000, je me suis entraîné, j'ai passé ma ceinture noire, je faisais des compétitions. Mais le karaté, c'est un sport où on se fait mal. J'ai eu des problèmes de dos, des migraines, des problèmes de sommeil. J'ai eu envie d'un sport où l'on se fait du bien. Mon prof d'alors m'a orienté vers le taï chi. J'ai tout de suite adoré. Ça m'a rappelé ces films de Bruce Lee que je regardais dans ma jeunesse. Pendant quatre ans, j'ai pratiqué avec lui, jusqu'à ce qu'il me dise : je n'ai plus rien à t'apprendre, tu dois te chercher un maître plus avancé. » Patrick s'est alors installé à Paris pour apprendre avec Jian Liujun, un maître chinois, médecin, à l'institut du Quimetao. « J'ai 53 ans, mais je suis bien plus souple qu'à 20 ans lorsque je faisais du karaté ! » C'est avec lui qu'il a progressé, puis passé son diplôme de professeur de taï chi. Depuis 2015, il s'est établi comme micro-entrepreneur et les cours de bien-être forment son activité principale : il donne des cours en semaine, suit quelques élèves en individuel, anime des stages les week-ends et pendant les vacances d'été. Par ailleurs, il organise aussi des randonnées dans la région. « Des randonnées dans l'esprit du taï chi : pas question de grimper comme des fous à l'assaut des sommets ! On marche, on médite, on observe. Fleurs, insectes, vieilles pierres : il y a tant de belles choses à voir quand on veut en prendre le temps. »

« Un des projets qui m'occupent actuellement, c'est développer une discipline destinée aux personnes âgées. J'y travaille depuis un an avec une de mes élèves, une vieille dame de 84 ans. Pour elle, évidemment, il ne s'agit pas d'épée ni d'acrobaties, elle m'explique ses besoins concrets. Ce qui l'intéresse, ce sont des choses absolument pratiques : lacer ses chaussures, se tenir correctement pour éviter les maux de dos, se déplacer sans canne. » Il m'explique son approche par un exemple : « Les personnes âgées tombent parfois. Beaucoup craignent ces chutes qui les prennent au dépourvu. Comment faire pour ne pas paniquer, pour se relever sans aide ? On décompose les mouvements nécessaires pour passer d'une position d'équilibre à la suivante. On s'entraîne. On répète. » Patrick développe avec son élève un programme qu'il prévoit de proposer à des maisons de retraite pour aider leurs pensionnaires à développer et à conserver leur autonomie de mouvement.

Patrick n'est jamais allé en Chine. « Mon maître m'a dit que là-bas, le taï chi est surtout pratiqué par les personnes âgées, qu'il se perd chez les jeunes plus occupés à travailler et à gagner de l'argent. En Europe, c'est le contraire : il connaît un fort développement et il intéresse beaucoup de jeunes. »

« Le taï chi fonctionne à tous les âges, mais différemment », conclut-il.

 

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