CHINAHOY

1-April-2014

La passion des Chinois pour les mini-films

 

En novembre 2013, a commencé le tournage de Le Parfum des fleurs d'osmanthe, un court-métrage écrit, réalisé et joué par des « cadres étudiants » du district de Dongxiang (province du Jiangxi).

 

VERENA MENZEL, membre de la rédaction

En 2012, le court-métrage A Bed Affair a fait sensation sur Internet en Chine. À travers les yeux d'un cambrioleur surpris par le retour soudain des propriétaires de l'appartement qu'il s'apprêtait à dévaliser, le réalisateur Zhang Yuan nous plonge 36 minutes durant dans l'intimité d'une chambre à coucher chinoise ordinaire. Mais les internautes n'assistent pas à d'intenses scènes d'amour, mais plutôt à une violente dispute qui éclate entre Zhang Cheng (joué par Shen Teng) et sa femme Li Xiaoyun (Li Xinyun) à propos d'un préservatif manquant.

Les cinéastes tissent leur drame émouvant autour de l'élément central qu'est le grand lit du jeune couple marié. L'amour, le désespoir et la réconciliation se succèdent dans l'intimité de la chambre. Par conséquent, il semble presque logique que le logo de l'entreprise de literie De Rucci Bedding Company, partenaire publicitaire du film, apparaisse à l'écran à la fin de l'histoire.

Certains appellent cela du sponsoring, d'autres, une publicité de 36 minutes. En tout cas, de plus en plus d'entreprises en Chine voient les weidianying (mini-films ou courts-métrages) comme des supports commerciaux très prometteurs, tant et si bien que ce genre de films est actuellement en plein boom dans la République populaire.

Techniquement, la seule différence entre les mini-films et leurs grands frères projetés dans les salles de cinéma est leur durée. Certains ne durent que quelques minutes (mini-films), certains plus de 30 minutes (courts-métrages).

Mais pour les annonceurs, la production de mini-films offre des avantages significatifs. Contrairement à la production coûteuse d'un long-métrage, qui devra d'abord se frayer une place dans les salles de cinéma, puis compter sur la vente de tickets et sur d'énormes contrats publicitaires pour générer des revenus, l'investissement pour les mini-films et courts-métrages diffusés exclusivement sur Internet est comparativement faible.

Le coût de production d'un film de 10 à 15 minutes en Chine varie entre 30 000 et 50 000 yuans (grosso modo entre 3 500 et 6 000 euros). Les coûts de distribution sont aussi bien inférieurs à ceux des films traditionnels. Qui plus est, le tournage ne prend en général pas plus d'une semaine. Dans la plupart des cas, la réalisation d'un mini-film, de la pré-production à la post-production, s'effectue en moins d'un mois.

L'importance de l'audience qui peut être touchée est également très tentante : ces films peuvent être vus très facilement et n'importe quand sur Internet, et les internautes partagent ceux qu'ils aiment sur la toile très rapidement. Le court-métrage Going Home, par exemple, qui a été mis en ligne pour le Nouvel An chinois 2011, a été vu plus de 20 millions de fois en seulement 10 jours.

Gros business

Compte tenu de l'accélération du rythme des moyens de communication actuels, traduite par les micro-blogs, les SMS et les mini-vidéos, les mini-films collent totalement avec les habitudes de toute une génération. La forme de ces films courts coïncide non seulement parfaitement avec les préférences de leur public majoritairement jeune, mais leur faible coût et leur bref délai de production, leur large audience et les multiples opportunités d'interaction qu'ils offrent, font rêver les annonceurs.

Le marché chinois des nouveaux médias est devenu l'un des plus rentables au monde. Le pays compte plus de 618 millions d'internautes et plus de 900 millions d'utilisateurs de téléphones portables, ce qui fait de la Chine le leader mondial dans ces domaines. En 2010, le montant total du marché publicitaire en ligne en Chine s'élevait à 32,1 milliards de yuans (3,8 milliards d'euros). Selon les estimations de la société d'étude de marchés ChinaIRN, ce chiffre dépassera les 156,5 milliards de yuans (18,5 milliards d'euros) cette année. Le taux de croissance moyen de ce chiffre est de 49 % par an.

Le volume du montant publicitaire du marché des vidéos en ligne a également rapidement crû ces dernières années. Selon les prévisions de ChinaIRN, le revenu des mini-films disponibles en ligne atteindra les 70 milliards de yuans (8,3 milliards d'euros) en 2014, un chiffre 13 fois supérieur à celui de 2010. Le volume de la publicité devrait atteindre les 45 milliards de yuans (5,3 milliards d'euros) cette année, presque 10 fois plus qu'il y a 4 ans.

Les utilisateurs chinois de smartphones représentent également une manne particulièrement lucrative dans le domaine. Les mini-films possèdent le format parfait, grâce à leur durée, pour meubler son temps libre, et pas seulement lors de longs trajets en bus ou aux heures de pointe dans le métro. De 2010 à 2013, le chiffre d'affaires du marché des vidéos sur téléphones mobiles est passé de 667 millions de yuans (78,5 millions d'euros) à 11,61 milliards de yuans (1,36 milliard d'euros), ce qui représente un taux de croissance annuel de 159 %. Plus de 90 % des revenus proviennent des dépenses des utilisateurs.

À qui profite cette mode ?

Quatre grands acteurs sont impliqués dans le secteur en pleine expansion des mini-films : les agences publicitaires, les professionnels de la musique et de la culture, des entreprises indépendantes qui se servent de ces films pour faire leur promotion ou qui les financent, et les grandes plates-formes de vidéos en ligne chinoises.

Presque tous les sites Internet chinois qui hébergent des vidéos ont établi leur propre chaîne dédiée aux mini-films. Des plates-formes, comme Youku, LeTV, iQIYI ou Tudou, attirent des millions de visiteurs grâce à leurs weidianying-channels. Dans certains cas, les sites de vidéos en ligne achètent les droits d'exclusivité ou de première diffusion de certains mini-films prometteurs, ou lancent même leurs propres séries de mini-films.

L'amour, le travail et la jeunesse sont les sujets les plus populaires parmi les internautes chinois selon une enquête récemment conduite par le portail ChinaByte.

Néanmoins, il y a un bémol à mettre à ce boom de la publicité : bien que la production de ces mini-films soit devenue de plus en plus experte ces dernières années, la professionnalisation de la réalisation et de la publicité a toujours du mal à suivre l'évolution du secteur des vidéos en ligne.

La demande du marché est immense, tandis que les équipes de production qualifiées et les bons scénarios sont rares. De plus, la combinaison de petits budgets, de pression liée aux coûts et d'une audience parfois faible donne lieu à un grand nombre de productions de mauvaise qualité, qui menacent de détériorer l'image du secteur tout entier. Les experts mettent en garde que, si les bonnes productions deviennent aussi rares et difficiles à trouver qu'une aiguille dans une botte de foin, les amateurs du genre pourraient bien perdre leur intérêt pour ces films.

Selon certains critiques, le fait que l'industrie publicitaire ait découvert le potentiel marketing de ces mini-films diffusés en ligne pourrait à terme nuire au genre des mini-films ou des courts-métrages dans son ensemble, car de plus en plus de scripts sont écrits dans le but de promouvoir des produits ou des marques. La ligne entre histoire fictionnelle et publicité devient de plus en plus confuse, au détriment de la qualité.

Néanmoins, Li Xiang, directeur général des ventes de Sina Weibo (le plus grand portail de micro-blog chinois), ne pense pas que ce boom publicitaire relèguera ces mini-films au rang de « longues publicités ». « Bien qu'ayant des visées commerciales et orientées vers un objectif de vente, les mini-films sont construits différemment d'une publicité », dit-il.

Prenant le contre-pied des critiques, de nombreux professionnels de l'industrie du film voient cette mode des mini-films comme une opportunité pour les scénaristes, réalisateurs et acteurs en devenir, qui peuvent s'exprimer sur ce terrain créatif que constituent ces petites productions diffusées sur Internet.

« Les représentants de la désormais célèbre génération de réalisateurs chinois ont généralement commencé comme scénaristes », rappelle Zhang Xiaobei, critique cinématographique. Mais il est très important pour un réalisateur ou une réalisatrice de se perfectionner techniquement sur le terrain. Vus sous cet angle, les mini-films offrent de grandes opportunités », conclut-il.

Le scénariste Guo Dan voit les mini-films comme d'extraordinaires opportunités pour les cinéastes créatifs de s'essayer à tous types de sujets. « C'est là que réside la plus grande valeur des mini-films, dans le vaste domaine de la réalisation de films », exprime-t-il.

Par conséquent, les spectateurs chinois et étrangers feraient bien de garder un œil sur ce que cette « génération weidianying » apportera au paysage cinématographique chinois dans les années à venir.

 

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