CHINAHOY

2-December-2016

Xitang : entre plaisir et désillusion

 

Photo prise sur le pont Yongning.

 

 

WANG WENJIE, membre de la rédaction

 

Xitang a toujours été une destination extrêmement attrayante pour moi. Du moment où j'ai entendu pour la première fois ce nom il y a dix ans, au jour où j'ai fait mes bagages pour y aller en évitant la haute saison, le lieu avait toujours joué le rôle de « village d'eau de rêve » dans mon esprit. C'est pourquoi je me suis décidée à y aller après avoir visité la plupart des anciens villages fameux à l'intérieur du pays. J'ai gardé le meilleur pour la fin.

 

Bien que les paysages naturels de Xitang soient indéniablement remarquables, mon sentiment lors de ma visite n'est pourtant pas à la hauteur de mon imagination. Je ne sais pas si c'est le village qui a changé au cours de la dernière décennie ou bien si c'est moi qui deviens trop exigeante. Je n'y suis peut-être pas restée assez longtemps, ou serait-ce que j'ai entretenu des illusions irréalistes. En un mot, ce voyage à Xitang constitue une expérience qui plaît à mes yeux, mais pas à mon cœur. Cela ne signifie pas que Xitang n'est pas un bel endroit ; ce que je voudrais exprimer est qu'il pourrait être meilleur. Quand les paysages pittoresques rencontrent des activités commerciales de bas niveau, ce contraste me donne un sentiment de frustration.

 

Un village millénaire vivant

 

Le village ancien Xitang est situé dans le district de Jiashan (province du Zhejiang), à 90 km à l'ouest de Shanghai, à 110 km à l'est de Hangzhou (chef-lieu du Zhejiang) et à 85 km au sud de Suzhou (chef-lieu du Jiangsu). Il n'est pas difficile de s'y rendre, du fait que les trains entre les quatre coins du pays et les trois villes susmentionnées sont très nombreux. Par le TGV, on n'a besoin que de 25 minutes en partant de la gare Shanghai Hongqiao pour aller jusqu'à la gare du sud de Jia-shan. À la sortie de la gare, il y a un bus direct pour le village.

 

Étant l'un des berceaux de la culture du Jiangsu et du Zhejiang, Xitang a une très longue histoire. La légende raconte que les installations hydrauliques de Xitang ont été construites par Wu Zixu (559-484 av. J.-C.), fonctionnaire et stratège du royaume de Wu. On a commencé à construire des maisons le long de la rivière à Xitang au cours de l'époque Kaiyuan (713-741) de la dynastie des Tang (618-907) ; une bourgade a été formée pendant la dynastie des Song du Sud (1127-1279) ; le commerce s'est ouvert pendant la dynastie des Yuan (1271-1368) ; en tant que terre d'abondance et connu pour la soie, Xitang est devenu pendant la dynastie des Ming (1368-1644) et des Qing (1644-1911) un carrefour important en matière de commerce et d'artisanat dans le Sud du Yangtsé. Les nombreuses grandes maisons qui existent aujourd'hui témoignent de la prospérité d'alors de cette région.

 

Du fait que tout passait par le transport fluvial à Xitang et qu'il y avait peu de dérangements extérieurs, ce village d'eau a réussi à maintenir son écologie originale.

 

Xitang est un endroit inspirant où ont vécu de nombreuses personnes exceptionnelles. On y compte 19 jinshi (candidats ayant réussi à passer l'examen impérial) et 31 juren (candidats ayant réussi à passer l'examen provincial) dans l'histoire, ainsi que beaucoup d'artistes et de lettrés. Yang Mao (dates de naissance et de mort inconnues) et Zhang Cheng (dates de naissance et de mort inconnues) sont deux grands maîtres de l'art artisanal à Xitang. Leurs œuvres exceptionnelles, qui incarnent le plus haut niveau technique de gravure de surface laquée de la dynastie des Yuan, peuvent se comparer à la porcelaine de Jingdezhen (province du Jiangxi) à cette époque-là. Gu Xidong (1924-2003), célèbre dramaturge contemporain, est né et a grandi à Xitang. Il a créé une grande quantité de pièces de théâtre, contribuant considérablement au développement de l'opéra Yue (ou l'opéra de Shaoxing).

 

Deux hommes dessinent sur le vif à Xitang.  (PHOTOS : WANG WENJIE)

 

Des ponts romantiques

 

Le terrain de Xitang est plat. Plusieurs cours d'eau s'y entrecroisent, et la plupart des terres sont liées par des ponts. En se promenant dans le village, on passe par d'innombrables ponts, et chaque pont a son charme et son histoire propres. Ici, les ponts et les passants constituent ensemble un paysage, tout comme le dit un petit poème connu : « Vous regardez le paysage depuis le pont, tandis que celui qui admire le paysage à l'étage vous regarde. »

 

Le pont Yongning attire le plus grand nombre de photographes. L'apparence du pont a peu de particularités, mais il est doté de la meilleure vue. La photo sur le billet d'entrée et sur beaucoup de brochures publicitaires de Xitang est prise depuis ce pont. En se penchant sur le pont, on peut voir des auberges d'un côté, et une longue galerie de pluie qui s'allonge du côté droit. La plupart des rues à Xitang sont couvertes par un préau, ce qui protège les marchands et les passants du soleil et de la pluie.

 

Le pont Anjing (littéralement « la stabilisation des territoires ») est le centre de transports du village. Très proche du pont Yongning, il est également un site de prédilection pour la photographie. Le pont Yongning traverse un cours d'eau d'est en ouest, tandis que le pont Anjing, lui, enjambe un cours d'eau du sud au nord. Construit pendant la dynastie des Ming, le pont Anjing traversait alors différents territoires, du fait que le cours d'eau sud-nord fut la rivière frontalière de deux bourgs. C'est pourquoi on lui donna ce nom.

 

Situé près du Musée de la culture de l'alcool de Chine, le pont Wan'an est bien visible. En 2005, le film Mission Impossible 3 a tourné sur plusieurs sites de Xitang, parmi lesquels le pont Wan'an accueille la dernière scène.

 

Mesurant 31,46 m de long, 4,95 m de large et 5,5 m de haut, le pont Wolong (littéralement « le dragon couché ») est le plus grand pont à Xitang. Son plancher est fabriqué à partir d'une seule dalle de pierre. On peut lire deux phrases parallèles inscrites sur le corps du pont : « Réparer la route qui était sinueuse pendant plusieurs centaines d'années ; construire le pont pour faciliter la vie de millions de gens. » En fait, il y a une légende sur cette phrase. On dit que le pont Wolong était auparavant un pont en bois vétuste. Un jour, un artisan qui vivait auprès du pont s'est résolu à le réparer après avoir assisté à la noyade d'une personne. Pour réunir des fonds, il se fit bonze et partit en quête d'aides financières. Dix ans plus tard, il avait accumulé une certaine quantité d'argent, et les travaux ont ainsi commencé. Malheureusement, il manquait encore la pierre destinée au plancher du pont quand les fonds s'épuisèrent et le moine mourra de fatigue. Au moment où les travaux étaient sur le point d'être suspendus, deux immortels arrivèrent à Xitang. En goûtant des aliments typiques locaux, ils perdirent par accident un morceau de tofu (fromage de soja) séché, qui tomba précisément sur le pont en travaux et en fit son sol.

 

Le pont Wufu (cinq bonheurs) et le pont Songzilaifeng (rapporter la naissance d'un fils ou d'une fille) ont tous deux un nom très propice. L'expression « wufu » provient du Shu Jing (le Canon de l'Histoire), d'après lequel les cinq bonheurs comprennent la longévité, la richesse et noblesse, la bonne santé et tranquillité interne, la bonté en respectant la nature, ainsi que la fin paisible de la vie. Cependant, il y a également une explication folklorique sur les cinq bonheurs, qui est la bonne fortune, la position politique élevée, la longévité, la joie, ainsi que la richesse.

 

La caractéristique du pont Songzilaifeng réside dans la manière de le franchir. La partie sud du pont est en forme de perron, tandis que la partie nord est en pente. Selon la tradition, les hommes qui traversent le pont par le perron peuvent avoir un statut social de plus en plus élevé et les femmes qui traversent le pont par la pente peuvent mener une vie assurée et paisible. Par ailleurs, un vieux dicton local dit : « Après avoir franchi ce pont, le nouveau couple aura bientôt un enfant : un fils si l'on marche dans la partie sud, une fille dans la partie nord. » Selon la légende, un grand oiseau survola le pont lors de la phase finale des travaux, et un enfant est né à la suite de l'achèvement des travaux dans la famille qui vivait auprès du pont. Par conséquent, le pont a reçu un nom propice. En 2001, Huang Li, concepteur de timbres, a créé sur le pont Songzilaifeng Le village d'eau Xitang, le dernier ouvrage parmi sa série de timbres sur les six anciens villages d'eau (respectivement Luzhi, Zhouzhuang, Tongli, Wuzhen, Nanxun et Xitang) publié par le ministère chinois des Postes et Télécommunications. Mais aujourd'hui, le pont Songzilaifeng est recouvert de barbouillages et de graffitis de bas niveau, ce qui ne correspond pas à l'ambiance du village. Un peu regrettable à mon goût.

 

Charme du matin et du soir

 

Longues et étroites, les ruelles telles le squelette de Xitang, mènent en général à un lieu calme et isolé ou à une beauté inattendue. La dénomination de beaucoup de ruelles provient du nom de la grande famille qui y vit, comme par exemple la ruelle de la famille Wang ou la ruelle de la famille Su. On compte au total 122 ruelles à Xitang, dont la plus célèbre est Shipinong (la ruelle Shipi). Pourtant, je ne m'en étais pas rendu compte à mon premier passage. Ce sont des touristes qui se prenaient successivement en photo près d'une pierre où il est inscrit Shipinong qui ont attiré mon attention lors que j'y suis passée pour la deuxième fois.

 

Shipinong est un passage entre deux maisons des descendants de la famille Wang, le sol y est couvert de 216 dalles de pierre. Avec une longueur de 68 m, elle mesure entre 0,8 m et 1,1 m de large. Mais en fait, elle n'est pas la ruelle la plus étroite du village. La championne est la ruelle Yemao, située auprès du pont Huanxiu, qui mesure au maximum 0,3 m de large !

 

Le matin et le soir sont les moments les plus émouvants et les plus purs à Xitang. Pour presque tous les anciens villages bien développés, mon opinion est qu'il faut y passer une nuit afin d'admirer tout d'abord leur scène nocturne avec une lumière tamisée, puis leur calme sous les premières lueurs du jour. Pour Xitang, qui est toujours peuplé de touristes, ce point est particulièrement important. Alors que le soleil se lève à peine, la brume estompe le village, et celui-ci déborde d'une paisible douceur. Où que vous séjourniez, dans les ruelles ou sur la rive, à l'aube, vous n'aurez pas à subir la foule de touristes. Avant l'ouverture des magasins et l'arrivée des touristes venant des villes voisines, on peut contempler les anciennes constructions ou sentir le chemin dallé sous nos pieds.

 

Lorsque le soleil descend sous l'horizon, les lanternes rouges sur les deux rives sont allumées. À la lumière des néons multicolores des magasins, la rivière devient plus belle. Des wupengchuan (une sorte de bateau à bâche noire) y vont et viennent. Je regrette beaucoup d'avoir choisi un hôtel en dehors de la zone touristique, je suis obligée de regarder d'un œil envieux les touristes dans les auberges près de l'eau, qui peuvent s'asseoir sur une chaise à bascule sur leur terrasse et se laisser bercer tout en dégustant du thé autour d'une petite table. Le plus merveilleux est qu'ils peuvent voir, en ouvrant la fenêtre le lendemain matin, les murs blancs et les tuiles grises se projeter dans l'eau.

 

Sans m'en apercevoir, j'ai déjà passé un jour et une nuit dans l'ancien village. Lorsque je regarde mes photos une fois rentrée chez moi, je regarde avec émotion les ponts et les eaux sous le coucher du soleil, et les louanges sur Xitang que j'ai lues sur Internet me reviennent. Les beaux paysages sur les photos compensent plus ou moins mon sentiment de frustration. Si seulement il y avait davantage d'endroits culturels, artistiques et innovants ! À mon sens, ses magasins omniprésents pleins de marchandises bon marché et ses bars excessivement bruyants aux lumières éblouissantes altèrent sa beauté.

 

Certes, l'impression de voyage est en principe subjective, d'autant plus que chacun a ses propres goûts. Malgré mon sentiment partagé, Xitang demeure un village millénaire vivant, qui maintient sa vigueur en recherchant une orientation au cours des changements du monde.

 

 

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