CHINAHOY

2-December-2016

Un district se mobilise pour la protection des enfants de travailleurs migrants

 

Pendant les vacances, des cours sont proposés dans la « maison d'amour » du village de Yuezhai.

 

 

LI YANAN* et YANG QIAN*

 

Yi Yi, âgée de 12 ans, aime bien la chanson Song of Seven Sons – Macao, la chanson du retour de Macao à la Chine, inspirée d'un poème écrit en 1925 par le célèbre patriote Wen Yiduo. Une phrase la touche particulièrement : « Je vous ai laissée trop longtemps, Mère ! »

 

Yi Yi est née dans le district de Tongxu, dans la province du Henan. Elle n'a pas vu sa mère depuis quatre ans. Elle a un frère âgé de 9 ans. Les deux enfants sont élevés par leurs grands-parents.

 

Le district compte 660 000 habitants, dont 160 000 travailleurs migrants. Plus de 6 800 enfants ont été laissés sur place par leurs parents, comme Yi Yi. Les parents travaillent en ville et n'ont pas le temps de s'occuper d'eux.

 

Au mois de février 2016, le Conseil des affaires d'État a publié une proposition sur le renforcement de la protection des enfants laissés dans les campagnes. C'est la première fois que l'on élabore un document de haut niveau à ce sujet. En tant que site pilote, le district de Tong-xu a entrepris, depuis 2011, des actions concrètes. Lu Yun, secrétaire du comité du Parti communiste chinois du district, explique l'importance de ce travail : « Si nous sommes prêts à payer des millions de yuans pour construire une route, pourquoi ne pas consacrer quelques ressources à l'amélioration de la vie des enfants ? »

 

Des parents disparus

 

Nous avons rencontré Yi Yi au collège no 2 du bourg de Sunying à la fin du mois de septembre. Malgré le temps frais, elle portait encore des sandales d'été. Comme elle vit en dortoir à l'école et qu'elle ne veut pas déranger ses grands-parents âgés et affaiblis, elle ne peut changer de chaussures que lorsqu'elle rentre le week-end.

 

Peu loquace, Yi Yi est gênée par nos questions. Elle ne veut pas révéler son monde intérieur à des inconnus. Lorsqu'on lui demande si elle pense à ses parents, elle se met à pleurer d'un seul coup. Pour le moment, son père travaille à Suzhou, dans le Jiangsu, et sa mère n'est pas rentrée depuis bien longtemps.

 

Yi Yi nous raconte son souvenir le plus vif, lorsque son père a plié un billet de 100 yuans en forme de cœur et lui a offert en l'encourageant à bien travailler à l'école. Elle s'est sentie pleine de joie lorsque son père est resté des jours entiers avec elle et lui a acheté de nouveaux vêtements pendant les vacances de la fête du Printemps. Son souhait le plus ardent est d'aller dans la ville où son père travaille, puis de construire une grande maison quand elle sera grande, dans laquelle tous les membres de sa famille habiteront ensemble.

 

Les grands-parents de Yi Yi ont 65 ans. Assez chétifs, ils s'occupent de plus de 0,3 ha de terre. Ils habitent une maison en briques très basse, dont les fenêtres n'ont pas de vitres et sont couvertes de tissu. Sur le rebord, un carton encourage les enfants à « Étudier dur et faire des progrès tous les jours » à côté des 26 lettres de l'alphabet occidental. Selon sa grand-mère Xu Xiu'e, Yi Yi a écrit cet alphabet pour l'enseigner à son frère cadet le week-end.

 

Han Han, âgée de 8 ans, n'a pas vu ses parents depuis plusieurs années. En 2012, son père est mort d'un cancer de l'estomac. Pour acquitter les dettes de la famille, sa mère est partie travailler en ville, laissant au village Han Han et son frère cadet de deux ans.

 

Han Han et son frère vont à l'école primaire de Xiaogangguo, à Tongxu. Leur grand-père nous dit que Han Han est une fille sage et intelligente. Pendant la saison des travaux agricoles, elle se lève très tôt pour aider sa grand-mère à faire le petit-déjeuner, puis emmène son frère à l'école. Dès son plus jeune âge, elle a su faire de la soupe et faire cuire du riz, ainsi qu'aider son frère à s'habiller et à faire la lessive.

 

Dès que l'on mentionne ses parents, des larmes jaillissent des yeux de Han Han. « J'ai vu ma mère pour la dernière fois pendant les vacances de la fête du Printemps. Elle est partie en secret sans me le dire, parce qu'elle avait peur que je sois triste », raconte-t-elle. Han Han aime beaucoup la Barbie que sa mère lui a achetée. Elle la sort délicatement de sa boîte pour nous la montrer. Au moment de la photographie, la tête de la Barbie tombe. Elle la ramasse et la replace rapidement. Elle serre la Barbie contre elle, comme si elle avait peur de la perdre.

 

Des enfants jouent sous la conduite d'une enseignante, dans la « maison d'amour » du village de Donglushi. PHOTOS : LI BO

 

Une chaîne familiale incomplète

 

YiYi et Han Han sont deux exemples de la situation de nombreux enfants de travailleurs migrants. Quelle que soit l'insuffisance des conditions matérielles, les questions liées à la psychologie, à la sécurité et à l'éducation causées par le manque d'affection parentale sont plus conséquentes et plus fondamentales pour leurs années formatives.

 

Long Long, âgé de 15 ans, étudie à l'école secondaire no 1 du bourg de Shugang. Ses notes sont bonnes, et il assume la fonction de chef de classe. Il vit avec ses grands-parents et ne voit son père qu'une ou deux fois par an. Celui-ci est parti travailler dans le Xinjiang lorsque Long Long avait 5 ans. Pendant les dernières vacances d'été, Long Long a travaillé en tant que serveur dans un restaurant de Zhengzhou, chef-lieu du Henan, pour augmenter le revenu familial. Son salaire pour deux mois a été de 3 000 yuans.

 

Selon lui, le plus grand problème des enfants des travailleurs migrants est le manque d'éducation familiale. Dans certains cas graves, des enfants rebelles refusent d'aller à l'école, agissent contre leur famille, voire transgressent la loi. « Heureusement, mon père me parle beaucoup à chaque fois qu'il revient, il me montre l'exemple à suivre, dit Long Long. Il se met parfois en colère et il est très sévère, mais c'est la personne la plus proche de moi et la plus gentille avec moi. Je ne me plains jamais. Ce que je souhaite plus que tout est qu'il ne travaille plus si loin. »

 

Selon la publication par le district de Tongxu en 2011 d'un rapport sur les enfants délaissés, les personnes âgées qui s'occupent de leurs petits-enfants ont en général un bas niveau d'éducation (seulement 30 % sont allés au collège ou au-delà), ce qui signifie des lacunes dans l'éducation familiale. Même les enfants qui étudient bien à l'école font face à un fort contraste lorsqu'ils rentrent chez eux.

 

Par ailleurs, le rapport montre qu'à peu près 56 % des enfants délaissés ont des résultats d'examen inférieurs à la moyenne. 9 % seulement ont de bons résultats, et 35 % ont des notes passables.

 

Les insuffisances provoquées par l'absence des parents font que les enfants ne reçoivent pas d'encouragement quand ils font des progrès, ni de remontrances quand ils ne travaillent pas. Les enfants délaissés ressentent parfois de l'incompréhension, de la méfiance, et même du ressentiment ou une certaine résistance à l'encontre de leurs parents. Selon le rapport du district de Tongxu, plus de 53 % des enfants des travailleurs migrants ne sont pas satisfaits de leurs rapports avec leurs parents, et à peu près 10 % des enfants disent qu'ils ne pensent plus à leurs parents.

 

Services bénévoles

 

Shi Mengdan, âgée de 14 ans, se souvient toujours du moment où elle a rejoint ses parents à Beijing, il y a deux ans. Dans une humble chambre d'hôte de 10 m2 située à l'ouest de la capitale chinoise, elle a préparé un repas pour ses parents.

 

Ses parents travaillent tous deux à Beijing. Au mois de juillet 2014, elle a rejoint un groupe de quinze enfants de travailleurs migrants pour un voyage réalisé avec les employés de la Fédération des femmes de Tongxu. Elle nous raconte qu'elle s'était levée très tôt ce jour-là, vers 4 heures du matin. En admirant les paysages qui défilaient par la fenêtre du train, elle imaginait la scène de retrouvailles. Quand le train est entré lentement en gare de l'Ouest, elle était incapable de retenir son émotion. En retrouvant son père qui l'attendait à la sortie, elle n'a pas pu s'empêcher de pleurer.

 

« C'était une scène émouvante, se rappelle son père Shi Shuangyan. Grâce au voyage organisé par le district, les enfants et leurs parents ont visité ensemble la place Tian'anmen, le Musée national de Chine, l'université Tsinghua, afin de donner plus d'affection parentale aux enfants tout en améliorant leurs connaissances. »

 

Tirant les leçons de la dure réalité décrite par le rapport, le district de Tongxu est déterminé à venir en aide aux enfants délaissés. Le voyage de retrouvailles est un programme parmi d'autres. « Les enfants des travailleurs migrants représentent une question sociale. L'aide financière et l'organisation d'activités pendant les vacances ne sont qu'un travail superficiel, cela ne saurait régler de manière fondamentale le problème. Il faut construire un mécanisme permanent », estime Lu Yun.

 

Dirigé par son chef, le district de Tongxu a fondé en 2012 un groupe destiné à la protection des enfants des travailleurs migrants, en créant un système de conférence conjointe comprenant 25 établissements, et en allouant chaque année 600 000 yuans de fonds spéciaux. On a établi un centre de soins de district avec dix employés à temps plein, des centres de soins au niveau des bourgs avec deux employés à temps plein, ainsi que des « maisons d'amour » dans les villages, les communautés et les écoles, avec un employé à temps plein. « Nos efforts consistent à nous assurer qu'il y ait toujours des responsables, des personnes d'action et des fonds dans le réseau de soins au niveau du district, des bourgs et des villages », explique Yin Chunhua, chef du district de Tongxu.

 

« Maman, j'ai eu de bonnes notes au dernier examen, quelle sera ma récompense ? » demande Yu Shuhan, une adolescente de 13 ans, qui bavarde souvent en vidéo conférence avec ses parents travaillant à Shanghai. Elle les contacte depuis la « maison d'amour » située dans le collège no 1 du bourg de Changzhi. Elle s'y rend très souvent durant les vacances, pour y étudier et s'amuser avec d'autres enfants de travailleurs migrants, et communiquer avec ses parents. « Je me sens moins seule ici », confie-t-elle.

 

Pour le moment, on compte 167 « maisons d'amour » dans le district de Tongxu, réalisant une couverture complète des villages.

 

Résolution fondamentale

 

En plus de la plate-forme, une forte participation est nécessaire. En effet, il est impossible de fournir des services à tous les enfants délaissés à Tongxu par quelques dizaines d'employés, c'est pourquoi le district a établi un mécanisme de participation sociale, par lequel on développe des activités bénévoles.

 

Il y a 87 enfants de travailleurs migrants à l'école Donglushi du bourg de Changzhi. « La construction d'une maison d'amour dans notre école s'est faite avec l'assistance d'un établissement caritatif. Sous les recommandations du district, nous avons pris contact avec l'université des Géosciences de Chine à Beijing, qui envoie chaque été des étudiants bénévoles servir dans notre école, pour enseigner aux enfants la musique, la peinture et le taekwondo », nous raconte Chen Haiyong, directeur de l'école Donglushi. Au mur de la maison d'amour sont collés des photos, témoins du temps passé ensemble avec les étudiants et les élèves, ainsi que des messages des bénévoles aux enfants. Les bénévoles ont établi un groupe de communication en ligne, pour envoyer des photos des enfants à leurs parents. Aujourd'hui, six universités, dont l'université des Géosciences de Chine et l'université du Henan, ont placé leur base d'expérience pratique dans le district de Tongxu, envoyant pendant les vacances d'été des étudiants dans les maisons d'amour.

 

Par ailleurs, le district a mobilisé un groupe féminin de bénévoles, composé de 176 cadres et de 3 800 bénévoles membres de la famille des cadres. Grâce à cette initiative, plus de 6 800 enfants dont les parents travaillent dans d'autres régions ont une « seconde mère ».

 

« La solution définitive au problème réside dans le développement économique, qui permettrait de faire revenir leurs parents dans les villages pour y travailler », affirme le chef du district Yin Chunhua. Depuis 2014, le district a accordé des crédits d'entrepreneuriat de 98 millions de yuans sans intérêts, ce qui a fait revenir 35 000 travailleurs migrants. Presque 2 700 enfants auparavant délaissés vivent désormais avec leurs parents.

 

« N'ayant pas d'avantages économiques directs, les effets du travail destiné aux enfants délaissés sont beaucoup moins marqués que l'invitation à l'investissement, mais il s'agit d'un projet lié au futur et au destin d'une génération, nous devons y déployer tous nos efforts », conclut Lu Yun.

 

 

*LI YANAN est journaliste au XinhuaDaily Telegraph News.

 

*YANG QIAN est stagiaire au XinhuaDaily Telegraph News.

 

 

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